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examiné avec attention, assurent que sans exagérer la soie que chaque coque contient suffiroit pour former la longueur de 6 milles d’Angleterre.

Au bout de dix jours, la coque est dans sa perfection : il faut pour lors la détacher des feuilles de mûrier où le ver l’avoit attachée. Mais ce point demande beaucoup d’attention ; car il y a des vers qui sont plus paresseux les uns que les autres : & il est dangereux d’attendre qu’ils se fassent eux-mêmes un passage, ce qui arrive autour du quinzieme jour de la lune.

On conserve les premieres coques, les plus fines & les plus fortes, pour en avoir des œufs : on devide les autres avec soin : ou si on veut les garder toutes, ou bien s’il y en a trop pour pouvoir les devider toutes à-la-fois, il faut les mettre quelque tems dans un four dont la chaleur soit moderée, ou bien les exposer plusieurs jours de suite à la plus grande ardeur du soleil, afin de faire mourir l’insecte qui sans cette précaution ne manqueroit pas de se faire passage pour sortir & faire usage des nouvelles aîles qu’il a acquises dans la coque.

Ordinairement on ne devide que les plus belles coques. On met à part celles qui sont doubles, ou foibles, ou trop grossieres : ce n’est pas qu’elles soient mauvaises ; mais parce que n’étant pas propres pour être devidées, on les reserve pour être filées en écheveau.

Il y a des coques de plusieurs couleurs ; les plus ordinaires sont jaunes, orangées, isabelle, ou couleur de chair. Il y en a aussi quelques-unes qui sont verd de mer, d’autres couleur de soufre, & d’autres blanches : mais il n’est pas nécessaire de séparer les couleurs & les nuances pour les devider à part ; car toutes ces couieurs se perdent dans les autres préparations nécessaires à la soie.

Les différentes préparations que la soie essuie avant que d’être propre à être employée dans les manufactures d’étoffes de soie, sont de la filer, la devider, la passer au moulin, la blanchir & la teindre.

Nous donnerons à la suite de cet article la maniere de la filer, devider, passer au moulin, après avoir parlé des différentes sortes de soie. Quant à la maniere de la blanchir & de la teindre, nous renverrons à l’article Teinture.

On donne à la soie différens noms, suivant les différens états dans lesquels elle est :

Soie crue, est celle qu’on tire de la coque sans feu & sans coction : telle est toute, ou du moins la plus grande partie de celle qu’on fait venir du Levant en Angleterre.

Dans les manufactures de soie en France, la plus grande partie de cette soie crue passe pour être un peu meilleure qu’une espece de fin fleuret : cependant elle fait un fil luisant, & sert pour les manufactures d’étoffes de moyen prix. Mais les soies crues du Levant, d’où nous tirons la plus grande partie des nôtres, sont extrémement belles & fines. Cette différence vient de ce qu’en France on jette les meilleures coques dans l’eau bouillante pour les filer & les devider, & on ne fait de soie crue qu’avec le rebut ; au lieu qu’au Levant on ne sait ce que c’est que de filer & devider la soie au feu ; mais on envoie toutes les soies en balle ou paquet, telles qu’elles ont été tirées de dessus les coques, de sorte qu’on ne les distingue que par leurs qualités de fine, moyenne & grosse.

Soie bouillie, est celle qu’on a fait bouillir dans l’eau, afin de pouvoir la filer & la devider plus facilement. C’est la plus fine de toutes les sortes de soies qu’on travaille en France, & on ne s’en sert guere que pour les étoffes les plus riches, comme velours, taffetas, damas, brocards, &c.

Il y a aussi une autre espece de soie bouillie qu’on

prépare à aller au moulin en la faisant bouillir, & qui ne peut pas recevoir cette préparation sans avoir auparavant passé par l’eau chaude.

Il est défendu par les lois de France de mêler de la soie crue avec la soie bouillie, parce que cela ôteroit la teinture, & que la soie crue gâte & coupe la soie bouillie.

La soie torse & retorse, est celle qui indépendamment du filage & du devidage, a de plus passé par le moulin & a été torse.

Elle reçoit cette préparation par degré, selon qu’on la passe plus ou moins souvent sur le moulin. Cependant, à proprement parler, les soies torses sont celles dont les fils sont tors en gros & retors ensuite différentes fois.

Soie plate, est celle qui n’est point torse, mais qui est préparée & teinte pour faire de la tapisserie ou autres ouvrages à l’aiguille.

Soie d’Orient ou des Indes orientales : celle qu’on appelle proprement ainsi, n’est pas l’ouvrage des vers à soie ; mais elle vient d’une plante qui la produit dans des cosses semblables à celles que porte l’arbre du coton. La matiere qui est renfermée dans ces cosses, est extrèmement blanche, fine & passablement luisante : elle se file aisément, & on en fait une espece de soie qui entre dans la composition de plusieurs étoffes des Indes & de la Chine.

Soie de France. Ce n’est que dans les provinces les plus méridionales de la France qu’on cultive la soie, qu’on plante des mûriers, & qu’on nourrit des vers à soie. Les principales sont le Languedoc, le Dauphiné, la Provence, Avignon, la Savoie & Lyon. Cette derniere ville fournit à la vérité bien peu de soie de son propre crû : mais c’est un entrepôt considérable, ou les marchands de Paris & des autres villes vont s’en fournir : du-moins ils sont obligés de les faire passer par Lyon, quand même ils les tireroient d’ailleurs, soit par terre ou par mer.

On compte qu’il en entre dans Lyon, année commune, 6000 balles, à cent soixante livres par balle : desquelles 6000 balles il y en a 1400 qui viennent du Levant, 1600 de Sicile, 1500 d’Italie, 300 d’Espagne, & 1200 du Languedoc, de Provence & de Dauphiné.

Dans le tems que les manufactures de Lyon étoient dans un état florissant, on y comptoit 18000 métiers employés aux étoffes de soie ; mais elles sont tellement tombées, que même en 1698, il y en avoit à peine 4000. Il n’y a pas moins de diminution dans celles de Tours : on y voyoit anciennement 700 moulins pour devider & préparer les soies, 8000 métiers occupés pour fabriquer les étoffes, & 40000 personnes employées à préparer & travailler les soies. Tout ce nombre est réduit à présent à 70 moulins, 1200 métiers, & 4000 ouvriers.

Soies de Sicile. Le commerce des soies de Sicile est fort considérable : ce sont les Florentins, les Génois & les Luquois qui le font : ils en tirent une grande quantité tous les ans de ce royaume, & principalement de Messine, dont une partie sert à entretenir leurs propres manufactures ; & ils vendent le reste avec profit à leurs voisins les François, &c. Les Italiens, & surtout les Génois, ont cet avantage sur les autres peuples, que comme ils ont de grands établissemens dans cette île, ils sont regardés comme les naturels du pays, & ne payent point de droits pour les transporter.

La soie qu’on fait en Sicile est en partie crue, & le reste est filé & mouliné ; pour cette derniere espece, celle qui vient de Sainte-Lucie & de Messine est la plus estimée. Les soies crues qui ne sont point travaillées s’achettent toujours argent comptant ; les autres se vendent quelquefois en échange d’autres marchandises.