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Les femmes qui sont belles ne demeurent pas long-tems dans le temple de Vénus, mais celles qui ne sont pas favorisées des graces de la nature y font quelquefois un séjour de quelques années, avant que d’avoir eu le bonheur de satisfaire à la loi de la déesse ; car elles n’osent retourner chez elle qu’avec la gloire de ce triomphe.

Strabon confirme en deux mots le récit d’Hérodote. C’est la coutume, dit-il, des Babyloniennes de chercher à devenir la conquête de quelque étranger. Dans ce dessein, elles accourent en foule extrèmement parées dans le temple de Vénus ; l’étranger jette de l’argent à celle qui lui plaît, l’emmene hors du temple & couche avec elle ; mais l’argent qu’il lui donne est consacré à la déesse.

Il semble que Baruch fasse allusion à cette pratique infâme, dans le chap. vj. vers. 42. & 43. de ses prophétie : « Les femmes entourées de cordeaux sont assises ou brûlant des noyaux d’olives ; & lorsque quelqu’une d’elles accueillies par quelque étranger va dormir avec lui, elle reproche à sa voisine qu’elle n’a pas eu la même faveur, & que son cordeau n’a pas été rompu ». (D. J.)

SOCQUEURS, (Fontaines salantes.) ouvriers employés dans les salines de Franche Comté ; ainsi appellé de leur fonction le soccage. Voyez l’article Saline.

SOCRATIQUE, philosophie, ou Histoire de la philosophie de Socrate, (Hist. de la Philos.) le système du monde & les phénomenes de la nature avoient été, jusqu’à Socrate, l’objet de la méditation des philosophes. Ils avoient négligé l’étude de la morale. Ils croyoient que les principes nous en étoient intimement connus, & qu’il étoit inutile d’entretenir de la distinction du bien & du mal, celui dont la conscience étoit muette.

Toute leur sagesse se réduisoit à quelques sentences que l’expérience journaliere leur avoit dictées, & qu’ils débitoient dans l’occasion. Le seul Archélaüs avoit entamé dans son école la question des mœurs, mais sa méthode étoit sans solidité, & ses leçons furent sans succès. Socrate son disciple, né avec une grande ame, un grand jugement, un esprit porté aux choses importantes, & d’une utilité générale & premiere, vit qu’il falloit travailler par rendre les hommes bons, avant que de commencer à les rendre savans ; que tandis qu’on avoit les yeux attachés aux astres, on ignoroit ce qui se passoit à ses piés ; qu’à force d’habiter le ciel, on étoit devenu étranger dans sa propre maison ; que l’entendement se perfectionnoit peut-être, mais qu’on abandonnoit à elle-même la volonté ; que le tems se perdoit en spéculations frivoles ; que l’homme vieillissoit, sans s’être interrogé sur le vrai bonheur de la vie, & il ramena sur la terre la philosophie égarée dans les régions du soleil. Il parla de l’ame, des passions, des vices, des vertus, de la beauté & de la laideur morales, de la société, & des autres objets qui ont une liaison immédiate avec nos actions & notre félicité. Il montra une extréme liberté dans sa façon de penser. Il n’y eut aucune sorte d’intérêt ou de terreurs qui retînt la vérité dans sa bouche. Il n’écouta que l’expérience, la réflexion, & la loi de l’honnête ; & il mérita, parmi ceux qui l’avoient précédé, le titre de philosophe par excellence, titre que ceux qui lui succéderent ne lui ravirent point. Il tira nos ancêtres de l’ombre & de la poussiere, & il en fit des citoyens, des hommes d’état. Ce projet ne pouvoit s’exécuter sans péril, parmi des brigands intéresses à perpétuer le vice, l’ignorance & les préjugés. Socrate le savoit ; mais qui est-ce qui étoit capable d’intimider celui qui avoit placé ses espérances au-delà de ce monde, & pour qui la vie n’étoit qu’un lieu incommode

qui le retenoit dans une prison, loin de sa véritable patrie ?

Xénophon & Platon, ses disciples, ses amis, les témoins & les imitateurs de sa vertu, ont écrit son histoire ; Xénophon avec cette simplicité & cette candeur qui lui étoient propres, Platon avec plus de faste & un attachement moins scrupuleux à la vérité. Un jour que Socrate entendoit réciter un des dialogues de celui-ci ; c’étoit, je crois, celui qu’il a intitulé le lysis : ô dieux, s’écria l’homme de bien, les beaux mensonges que le jeune homme a dit de moi !

Aristoxene, Démétrius de Phalere, Panetius, Calisthene, & d’autres s’étoient aussi occupés des actions, des discours, des mœurs, du caractere, & de la vie de ce philosophe, mais leurs ouvrages ne nous sont pas parvenus.

L’athénien Socrate naquit dans le village d’Alopé, dans la soixante & dix-septieme olympiade, la quatrieme année, & le sixieme de thargelion, jour qui fut dans la suite marqué plus d’une fois par d’heureux événemens, mais qu’aucun ne rendit plus mémorable que sa naissance. Sophronisque son pere, étoit statuaire, & Phinarete sa mere, étoit sage-femme. Sophronisque qui s’apperçut bien-tôt que les dieux ne lui avoient pas donné un enfant ordinaire, alla les consulter sur son éducation. L’oracle lui répondit, laisse-le faire, & sacrifie à Jupiter & aux muses. Le bon homme oublia le conseil de l’oracle, & mit le ciseau à la main de son fils. Socrate, après la mort de son pere, fut obligé de renoncer à son goût, & d’exercer par indigence une profession à laquelle il ne se sentoit point appellé ; mais entraîné à la méditation, le ciseau lui tomboit souvent des mains, & il passoit les journées appuyé sur le marbre.

Criton, homme opulent & philosophe, touché de ses talens, de sa candeur & de sa misere, le prit en amitié, lui fournit les choses nécessaires à la vie, lui donna des maîtres, & lui confia l’éducation de ses enfans.

Socrate entendit Anaxagoras, étudia sous Archélaüs, qui le chérit, apprit la musique de Damon, se forma à l’art oratoire auprès du sophiste Prodicus, à la poésie sur les conseils d’Evenus, à la géométrie avec Théodore, & se perfectionna par le commerce de Diotime & d’Aspasie, deux femmes dont le mérite s’est fait distinguer chez la nation du monde ancien la plus polie, dans son siecle le plus célebre & le plus éclairé, & au milieu des hommes du premier génie. Il ne voyagea point.

Il ne crut point que sa profession de philosophe le dispensât des devoirs périlleux du citoyen. Il quitta ses amis, sa solitude, ses livres, pour prendre les armes, & il servit pendant trois ans dans la guerre cruelle d’Athènes & de Lacédémone ; il assista au siege de Potidée à côté d’Alcibiade, où personne, au jugement de celui-ci, ne se montra ni plus patient dans la fatigue, la soif & la faim, ni plus serein. Il marchoit les piés nuds sur la glace ; il se précipita au milieu des ennemis, & couvrit la retraite d’Alcibiade, qui avoit été blessé, & qui seroit mort dans la mêlée. Il ne se contenta pas de sauver la vie à son ami ; après l’action, il lui fit adjuger le prix de bravoure, qui lui avoit été décerné. Il lui arriva plusieurs fois dans cette campagne de passer deux jours entiers de suite immobile à son poste, & absorbé dans la méditation. Les Athéniens furent malheureux au siege de Delium : Xénophon renversé de son cheval y auroit perdu la vie, si Socrate, qui combattoit à pié, ne l’eût pris sur ses épaules, & ne l’eût porté hors de l’atteinte de l’ennemi. Il marcha sous ce fardeau non comme un homme qui fuit, mais comme un homme qui compte ses pas & qui mesure le terrein. Il avoit le visage tourné à l’ennemi, & on lui remarquoit tant d’intré-