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ou d’érection trahissent elles-mêmes, & manifestent leur origine & leur dépendance. Mais la société religieuse n’ayant point un but ni des moyens conformes à ceux de l’état, donne par-là des preuves intérieures de son indépendance ; & elle les confirme par des preuves extérieures, en faisant voir qu’elle n’est pas de la création de l’état, puisqu’elle existoit déja avant la fondation des sociétés civiles. Par rapport à une dépendance fondée sur une cause civile, elle ne peut avoir lieu. Comme les sociétés religieuses & civiles different entierement & dans leurs buts, & dans leurs moyens, l’administration de l’une agit dans une sphere si éloignée de l’autre, qu’elles ne peuvent jamais se trouver opposées l’une à l’autre ; en sorte que la nécessité d’état qui exigeoit que les lois de la nation missent l’une dans la dépendance de l’autre, ne sauroit avoir lieu, si l’office du magistrat civil s’étendoit au soin des ames, l’église ne seroit alors entre ses mains qu’un instrument pour parvenir à cette fin. Hobbes & ses sectateurs ont fortement soutenu cette thèse. Si d’un autre côté l’office des sociétés religieuses s’étendoit aux soins du corps & de ses intérêts, l’état courroit grand risque de tomber dans la servitude de l’église. Car les sociétés religieuses ayant certainement le district le plus noble, qui est le soin des ames, ayant ou prétendant avoir une origine divine, tandis que la forme des états n’est que d’institution humaine ; si elles ajoutoient à leurs droits légitimes le soin du corps & de ses intérêts, elles réclameroient alors, comme de droit, une superiorité sur l’état dans le cas de compétence ; & l’on doit supposer qu’elles ne manqueroient pas de pouvoir pour maintenir leur droit : car c’est une conséquence nécessaire, que toute société dont le soin s’étend aux intérêts corporels, doit être revêtue d’un pouvoir coactif. Ces maximes n’ont eu que trop de vogue pendant un tems. Les ultramontains habiles dans le choix des circonstances, ont tâché de se prévaloir des troubles intérieurs des états, pour les établir & élever la chaire apostolique au-dessus du trône des potentats de la terre, ils en ont exigé, & quelquefois reçu hommage, & ils ont tâché de le rendre universel. Mais ils ont trouvé une barriere insurmontable dans la noble & digne résistance de l’Eglise gallicane, également fidele à son Dieu & à son roi.

Nous posons donc comme maxime fondamentale, & comme une conséquence évidente de ce principe, que la société religieuse n’a aucun pouvoir coactif semblable à celui qui est entre les mains de la société civile. Des objets qui different entierement de leur nature, ne peuvent s’acquérir par un seul & même moyen. Les mêmes relations produisant les mêmes effets, des effets différens ne peuvent provenir des mêmes relations. Ainsi la force & la contrainte n’agissant que sur l’extérieur, ne peuvent aussi produire que des biens extérieurs, objets des institutions civiles ; & ne sauroient produire des biens intérieurs, objets des institutions religieuses. Tout le pouvoir coactif, qui est naturel à une société religieuse, se termine au droit d’excommunication, & ce droit est utile & nécessaire, pour qu’il y ait un culte uniforme ; ce qui ne peut se faire qu’en chassant du corps tous ceux qui refusent de se conformer au culte public : il est donc convenable & utile que la société religieuse jouisse de ce droit d’expulsion. Toutes sortes de société quels qu’en soient les moyens & la fin, doivent nécessairement comme société avoir ce droit, droit inséparable de leur essence ; sans cela elles se dissoudroient d’elles-mêmes, & retomberoient dans le néant, précisément de même que le corps naturel, si la nature, dont les sociétés imitent la conduite en ce point, n’avoit pas la force d’évacuer les humeurs vicieuses & malignes ; mais ce pouvoir utile & néces-

saire est tout celui & le seul dont la société réligieuse

ait besoin ; car par l’exercice de ce pouvoir, la conformité du culte est conservée, son essence & sa fin sont assurées, & le bien-être de la société n’exige rien au-delà. Un pouvoir plus grand dans une société religieuse seroit déplacé & injuste.

Société, (Jurisprud.) signifie en général une union de plusieurs personnes pour quelque objet qui les rassemble. La plus ancienne de toutes les sociétés est celle du mariage, qui est d’institution divine.

Chaque famille forme une société naturelle dont le pere est le chef.

Plusieurs familles réunies dans une même ville, bourg ou village, forment une société plus ou moins considérable, selon le nombre de ceux qui la composent, lesquels sont liés entre eux par leurs besoins mutuels & par les rapports qu’ils ont les uns aux autres ; cette union est ce qu’on appelle société civile ou politique ; & dans ce sens tous les hommes d’un même pays, d’une même nation & même du monde entier, composent une société universelle.

Outre ces sociétés générales, il se forme encore dans un même état, dans une même ville, ou autre lieu, diverses sociétés particulieres ; les unes relatives à la religion, qu’on appelle communautés & congrégations, ordres religieux ; les autres relatives aux affaires temporelles, telles que les communautés d’habitans, les corps de ville ; d’autres relatives à l’administration de la justice, telles que les compagnies établies pour rendre la justice ; d’autres relatives aux arts & aux sciences, telles que les universités, les colleges, les académies, & autres sociétés littéraires ; d’autres encore relativement à des titres d’honneur, telles que les ordres royaux & militaires ; enfin d’autres qui ont rapport aux finances, ou au commerce, ou à d’autres entreprises.

Les sociétés qui se contractent entre marchands, ou entre particuliers, sont une convention entre deux ou plusieurs personnes, par laquelle ils mettent en commun entre eux tous leurs biens ou une partie, ou quelque commerce, ouvrage, ou autre affaire, pour en partager les profits, & en supporter la perte en commun, chacun selon leur fonds, ou ce qui est réglé par le traité de société.

Quand la part de chacun dans les profits & pertes n’est pas réglée par la convention, elle doit être égale.

Les portions peuvent être réglées d’une maniere inégale, soit eu égard à l’inégalité des fonds, ou à ce que l’un met plus de travail & d’industrie que l’autre.

On peut aussi convenir qu’un associé aura plus grande part dans les profits qu’il n’en supportera dans la perte, & même qu’un associé ne supportera rien de la perte, pourvu néanmoins que la perte soit prélevée avant qu’on regle sa part des profits, autrement la société seroit léonine.

Aucune société ne peut être contractée que pour un objet honnête & licite, & elle ne doit rien contenir de contraire à l’équité & à la bonne foi, qui doit être l’ame de toutes les sociétés ; du reste, elles sont susceptibles de toutes les clauses & conditions licites.

Pour former une société, il faut le consentement de tous les associés.

On peut avoir quelque chose en commun, comme des cohéritiers, des colégataires, sans être pour cela associés.

L’héritier d’un associé n’est même pas associé, parce qu’il n’a pas été choisi pour tel ; on peut cependant stipuler, que le droit de l’associé décédé passera à son héritier.

Si l’un des associés s’associe une autre personne,