Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 15.djvu/17

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mentale de ces mots : un homme savant, un homme savant en grammaire, un homme très-savant, un homme plus savant qu’un autre ; voilà l’adjectif savant pris sous quatre acceptions différentes, en conservant toujours la même signification. Il en seroit de même des adverbes & des verbes, selon qu’ils auroient tel ou tel complément, ou qu’ils n’en auroient point. Voyez Régime.

Il paroît évidemment par tout ce qui vient d’être dit, que toutes les especes d’acceptions, dont les mots en général & les différentes sortes de mots en particulier peuvent être susceptibles, ne sont que différens aspects de la signification primitive & fondamentale : qu’elle est supposée, mais qu’on en fait abstraction dans l’acception matérielle : qu’elle est choisie entre plusieurs dans les acceptions distinctives : qu’elle est déterminée à la simple désignation de la nature commune dans l’acception spécifique ; à celle de tous les individus de l’espece dans l’acception universelle ; à l’indication d’une partie indéfinie des individus de l’espece dans l’acception particuliere ; & à celle d’un ou de plusieurs de ces individus précisément déterminés dans l’acception singuliere : en un mot, la signification primitive est toujours l’objet immédiat des diverses acceptions.

1. Sens propre, sens figuré. Il n’en est pas ainsi à l’égard des différens sens dont un mot est susceptible : la signification primitive en est plutôt le fondement que l’objet, si ce n’est lorsque le mot est employé pour signifier ce pour quoi il a été d’abord établi par l’usage, sous quelqu’une des acceptions qui viennent d’être détaillées ; on dit alors que le mot est employé dans le sens propre, comme quand on dit, le feu brûle, la lumiere nous éclaire, la clarté du jour, car tous ces mots conservent dans ces phrases leur signification primitive sans aucune altération, c’est pourquoi ils sont dans le sens propre.

« Mais, dit M. du Marsais, Trop. Part. I. art. vj. quand un mot est pris dans un autre sens, il paroît alors, pour ainsi dire, sous une forme empruntée, sous une figure qui n’est pas sa figure naturelle, c’est-à-dire celle qu’il a eue d’abord : alors on dit que ce mot est dans un sens figuré, quel que puisse être le nom que l’on donne ensuite à cette figure particuliere : par exemple, le feu de vos yeux, le feu de l’imagination, la lumiere de l’esprit, la clarté d’un discours.... La liaison, continue ce grammairien, ibid. art. vij. §. 1. qu’il y a entre les idées accessoires, je veux dire, entre les idées qui ont rapport les unes aux autres, est la source & le principe de divers sens figurés que l’on donne aux mots. Les objets qui font sur nous des impressions, sont toujours accompagnés de différentes circonstances qui nous frappent, & par lesquelles nous désignons souvent, ou les objets mêmes qu’elles n’ont fait qu’accompagner, ou ceux dont elles nous rappellent le souvenir... Souvent les idées accessoires, désignant les objets avec plus de circonstances que ne feroient les noms propres de ces objets, les peignent ou avec plus d’énergie ou avec plus d’agrément. De-là le signe pour la chose signifiée, la cause pour l’effet, la partie pour le tout, l’antécédent pour le conséquent & les autres tropes, voyez Trope. Comme l’une de ces idées ne sauroit être réveillée sans exciter l’autre, il arrive que l’expression figurée est aussi facilement entendue que si l’on se servoit du mot propre ; elle est même ordinairement plus vive & plus agréable quand elle est employée à-propos, parce qu’elle réveille plus d’une image ; elle attache ou amuse l’imagination, & donne aisément à deviner à l’esprit.

» Il n’y a peut-être point de mot, dit-il ailleurs, §. 4. qui ne se prenne en quelque sens figuré,

c’est-à-dire, éloigné de sa signification propre & primitive. Les mots les plus communs, & qui reviennent souvent dans le discours, sont ceux qui sont pris le plus fréquemment dans un sens figuré, & qui ont un plus grand nombre de ces sortes de sens : tels sont corps, ame, tête, couleur, avoir, faire, &c.

» Un mot ne conserve pas dans la traduction tous les sens figurés qu’il a dans la langue originale : chaque langue a des expressions figurées qui lui sont particulieres, soit parce que ces expressions sont tirées de certains usages établis dans un pays, & inconnus dans un autre ; soit par quelqu’autre raison purement arbitraire.... Nous disons porter envie, ce qui ne seroit pas entendu en latin par ferre invidiam ; au contraire, morem gerere alicui, est une façon de parler latine, qui ne seroit pas entendue en françois ; si on se contentoit de la rendre mot-à-mot, & que l’on traduisît, porter la coutume à quelqu’un, au-lieu de dire, faire voir à quelqu’un qu’on se conforme à son goût, à sa maniere de vivre, être complaisant, lui obéir..... ainsi quand il s’agit de traduire en une autre langue quelque expression figurée, le traducteur trouve souvent que sa langue n’adopte point la figure de la langue originale ; alors il doit avoir recours à quelqu’autre expression figurée de sa propre langue, qui réponde, s’il est possible, à celle de son auteur. Le but de ces sortes de traductions n’est que de faire entendre la pensée d’un auteur ; ainsi on doit alors s’attacher à la pensée & non à la lettre, & parler comme l’auteur lui-même auroit parlé, si la langue dans laquelle on le traduit, avoit été sa langue naturelle ; mais quand il s’agit de faire entendre une langue étrangere, on doit alors traduire littéralement, afin de faire comprendre le tour original de cette langue.

» Nos dictionnaires, §. 5. n’ont point assez remarqué ces différences, je veux dire, les divers sens que l’on donne par figure à un même mot dans une même langue, & les différentes significations que celui qui traduit est obligé de donner à un même mot ou à une même expression, pour faire entendre la pensée de son auteur. Ce sont deux idées fort différentes que nos dictionnaires confondent ; ce qui les rend moins utiles & souvent nuisibles aux commençans. Je vais faire entendre ma pensée par cet exemple.

» Porter se rend en latin dans le sens propre par ferre : mais quand nous disons porter envie, porter la parole, se porter bien ou mal, &c. on ne se sert plus de ferre pour rendre ces façons de parler en latin ; la langue latine a ses expressions particulieres pour les exprimer ; porter ou ferre ne sont plus alors dans l’imagination de celui qui parle latin : ainsi quand on considere porter, tout seul & séparé des autres mots qui lui donnent un sens figuré, on manqueroit d’exactitude dans les dictionnaires françois-latins, si l’on disoit d’abord simplement, que porter se rend en latin par ferre, invidere, alloqui, valere, &c.

» Pourquoi donc tombe-t-on dans la même faute dans les dictionnaires latin-françois, quand il s’agit de traduire un mot latin ? Pourquoi joint-on à la signification propre d’un mot, quel qu’autre signification figurée, qu’il n’a jamais tout seul en latin ? La figure n’est que dans notre françois, parce que nous nous servons d’une autre image, & par conséquent de mots tout différens. (Voyez le dictionnaire latin-françois, imprimé sous le nom de R. P. Tachart, en 1727, & quelqu’autres dictionnaires nouveaux.) Mittere, par exemple, signifie, y dit-on, envoyer, retenir, arrêter, écrire ; n’est-ce pas comme si l’on disoit dans le diction-