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les-mêmes, autant de respect que pour leurs oracles ; s’ils ne les regarderent pas comme des divinités, ils les crurent au moins d’une nature qui tenoit le milieu entre les dieux & les hommes. Lactance prétend que la Tiburtine étoit honorée comme une déesse à Rome. M. Spon rapporte que près du lieu que les gens du pays disent être l’antre de la sibylle Tiburtine, on voit les ruines d’un petit temple qu’on croit lui avoir été consacré. On peut remarquer ici que les habitans de Gergis dans la petite Phrygie, avoient coutume de représenter sur leurs médailles la sibylle qui étoit née dans cette ville, comme étant leur grande divinité.

Pour terminer cet article, je n’ajouterai qu’un mot du tombeau & de l’épitaphe de la sibylle Erythrée, la plus célebre de toutes. Dans ses vers, dit Pausanias, elle se fait tantôt femme, tantôt sœur, & tantôt fille d’Apollon. Elle passa une bonne partie de sa vie à Samos, ensuite elle vint à Claros, puis à Délos, & de-là à Delphes où elle rendoit ses oracles sur une roche. Elle finit ses jours dans la Troade ; son tombeau, continue-t-il, subsiste encore dans le bois sacré d’Apollon smintheus, avec une épitaphe en vers élégiaques, gravés sur une colonne, & dont voici le sens. Je suis cette fameuse sibylle qu’Apollon voulut avoir pour interprete de ses oracles ; autrefois vierge éloquente, maintenant muette sous ce marbre, & condamnée à un silence éternel. Cependant par la faveur du dieu, toute morte que je suis, je jouis de la douce société de Mercure & des nymphes mes compagnes.

Ceux qui seront curieux d’approfondir davantage l’histoire des sibylles, peuvent parcourir les savantes dissertations de Gallæus : sex Gallœi dissertationes de sibyllis, Amst. 1688, in-4°. Le traité qu’en a fait M. Petit médecin de Paris, Pet. Petiti de sibyllà tractatus, Lips. 1686, in 8°. L’ouvrage de Th. Hyde, de religione Persarum. Van Dale, de oraculis Ethnicorum, & Lactance qui nous a conservé sur les sibylles l’ancienne tradition, qu’il dit avoir puisée dans les écrits de Varron. (Le Chevalier de Jaucourt.)

Sibylle de Delphes, (Antiquit. grecq.) prophétesse qui prononçoit des oracles. Diodore de Sicile, Denis d’Halycarnasse, Plutarque & Pausanias, nous la représentent comme une femme vagabonde, qui alloit de contrée en contrée débiter ses prédictions. Elle étoit en même tems la sibylle de Desphes, d’Erythrée, de Babylone, de Cumes & de beaucoup d’autres endroits. Plusieurs peuples se disputoient l’honneur de l’avoir pour concitoyenne. Elle-même dans un de ses oracles, que nous avons encore, se dit fille d’un pere mortel, & d’une mere immortelle. Il ne faut pour tant pas la confondre avec la Pythie, puisqu’elle prophétisoit sans le secours des exhalaisons qui sortoient de l’antre de Delphes, & qu’elle n’a jamais monté sur le sacré trepié. D’ailleurs, la vraie Pythie ne sortoit jamais du temple d’Apollon, dès qu’une fois elle avoit été consacrée à ce dieu ; la sibylle au contraire, étoit étrangere, & toujours errante. Voyez Pythie. (D. J)

SIBYLLINS, Livres, (Hist. rom.) anciens livres d’oracles & de prédictions extrèmement accrédités chez les Romains. Ils furent apportés à Tarquin le Superbe, ou, selon Pline, à Tarquin l’ancien, par une vieille mystérieuse qui disparut comme une ombre ; on la crut sibylle elle-même. On assembla les augures, on enferma les livres dans le temple de Jupiter au capitole ; on créa des pontifes pour les garder ; on ne douta point que les destinées de Rome n’y fussent écrites. Ces livres prophétiques périrent cependant dans l’incendie du capitole l’an 671 de Rome, sous la dictature de Sylla ; mais on se hâta de réparer cette perte. On en recueillit d’autres dans la ville d’Erithrée & ailleurs ; on les rédigea par

extraits. Auguste les renferma dans des coffres dorés, & les mit sous la base du temple d’Apollon Palatin qu’il venoit de bâtir. Ils y demeurerent jusqu’au tems d’Honorius en 405 de J. C. & cet empereur, dit-on, donna des ordres à Stilicon de les jetter dans le feu. Traçons en détail toute cette histoire d’après les écrits de M. Freret, & faisons-la précéder de ses réflexions intéressantes sur cette maladie incurable de l’esprit humain, qui, toujours avide de connoître l’avenir, change sans cesse d’objets, ou déguise sous une forme nouvelle les anciens objets qu’on veut lui arracher. Croyons que l’histoire des erreurs qui semblent les plus décriées, peut encore ne pas être aujourd’hui des recherches de pure curiosité.

Dans tous les siecles & dans tous les pays, les hommes ont été également avides de connoître l’avenir ; & cette curiosité doit être regardée comme le principe de presque toutes les pratiques superstitieuses qui ont défiguré la religion primitive chez les peuples policés, aussi-bien que chez les nations sauvages.

Les différentes especes de divination que le hasard avoit fait imaginer, & qu’adopta la superstition, consistoient d’abord dans une interprétation conjecturale de certains événemens qui par eux-mêmes ne méritoient le plus souvent aucune attention ; mais qu’on étoit convenu de prendre pour autant de signes de la volonté des dieux. On commença probablement par l’observation des phénomenes célestes, dont les hommes furent toujours très-vivement frappés ; mais la rareté de ces phénomenes fit chercher d’autres signes qui se présentoient plus fréquemment, ou même que l’on pût faire paroître au besoin. Ces signes furent le chant & le vol de certains oiseaux ; l’éclat & le mouvement de la flamme qui consumoit les choses offertes aux dieux ; l’état où se trouvoient les entrailles des victimes ; les paroles prononcées sans dessein, que le hasard faisoit entendre ; enfin, les objets qui se présentoient dans le sommeil à ceux qui par certains sacrifices ou par d’autres cérémonies, s’étoient préparés à recevoir ces songes prophétiques.

Les Grecs furent pendant plusieurs siecles sans connoître d’autres moyens que ceux-là de s’instruire de la volonté des dieux ; & chez les Romains, si on en excepte quelques cas singuliers, cette divination conjecturale fut toujours la seule que le gouvernement autorisa ; on en avoit même fait un art qui avoit ses regles & ses principes.

Dans les occasions importantes c’étoit par ces regles que se conduisoient les hommes les plus sensés & les plus courageux ; la raison subjuguée dès l’enfance par le préjugé religieux, ne se croyoit point en droit d’examiner un système adopté par le corps de la nation. Si quelquefois séduite par cette nouvelle philosophie, dont Tite-Live fait gloire de s’être garanti, elle entreprenoit de se révolter, bientôt la force de l’exemple, & le respect pour les anciennes opinions la contraignoient de rentrer sous le joug. En voulez-vous un exemple bien singulier ? le voici.

Jules César ne peut être accusé ni de petitesse d’esprit, ni de manque de courage, & on ne le soupçonnera pas d’avoir été superstitieux ; cependant, ce même Jules César ayant une fois versé en voiture, n’y montoit plus sans réciter certaines paroles, qu’on croyoit avoir la vertu de prévenir cette espece d’accident. Pline qui nous rapporte le fait, liv. XXVII. chap. ij. assure que de son tems, presque tout le monde se servoit de cette même formule, & il en appelle la conscience de ses lecteurs à témoin.

Du tems d’Homere & d’Hesiode, on ne connoissoit point encore les oracles parlans, ou du-moins