Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 15.djvu/149

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la conformité entre les lois de Laos & celles de Siam, comme il y en a entre leurs religions. Cela ne prouve pas que l’un de ces royaumes ait donné sa religion & ses lois à l’autre, puisque tous les deux peuvent les avoir puisées dans une source commune. Quoi qu’il en soit, on veut à Siam que ce soit Laos qui leur ait donné ses lois, & même des rois : on veut à Laos, que leurs rois, & la plûpart de leurs lois viennent de Siam.

La figure des Siamois est indienne : leur teint est mêlé de rouge & de brun, leur nez court & arrondi par le bout, les os du haut de leur joue gros & élevés, leurs yeux fendus un peu en-haut ; leurs oreilles plus grandes que les nôtres ; en un mot, ils ont tous les traits de la physionomie indienne & chinoise, leur contenance naturellement accroupie, comme celle des singes, dont ils ont beaucoup de manieres, entr’autres une passion extraordinaire pour les enfans.

Leur religion est la même que celle des brahmans, qui, pendant plusieurs siecles, a été la religion des peuples qui habitent depuis le fleuve Indus jusqu’aux extrémités de l’orient, si on excepte la cour du grand-mogol, & les grandes villes de son empire, aussi bien que Sumatra, Java, Celebres, & les autres îles voisines, où le mahométisme a fait de si grands progrès, qu’il semble l’emporter sur elle. Ce paganisme universel (qu’il faut distinguer de la reliligion- des anciens persans, qui adoroient le soleil, laquelle est aujourd’hui presque éteinte) : ce paganisme, dis-je, quoique divisé en plusieurs sectes & opinions, selon les différentes coutumes, langues, & interprétations de ceux qui les professent, n’a pourtant qu’une seule & même origine.

Les Siamois représentent dans leurs temples le premier instituteur de leur religion sous la figure d’un négre d’une grandeur prodigieuse, qui est assis, & qui a les cheveux frisés, & la peau noire, mais dorée, comme par respect. On voit à ses côtés deux de ses principaux disciples ; & devant & autour de lui le reste de ses apôtres, tous de la même couleur, & la plûpart dans la même posture. Ils croyent, selon la doctrine des Brahmans, que la divinité habitoit en lui, & que cela paroît par sa doctrine, par sa maniere de vivre, & par ses prophéties.

Ils disent aussi que Wistnou, par où ils entendent la Divinité, après avoir pris différentes formes, pendant plusieurs milliers d’années, & visité le monde huit fois, parut la neuvieme sous la personne d’un négre, qu’ils appellent Sammana-Kutama (c’est dans nos écrivains françois Sammana Codom). Ce dieu, selon eux, a revétu dans le Gange seul cinq cens cinquante fois la forme humaine. Cette idée leur est commune avec tout le peuple de l’Inde sur la métamorphose de leurs dieux. Cette idée leur est encore commune avec les anciens Egyptiens, les Grecs & les Romains. « Une erreur si ridicule & si étendue, comme le dit M. de Voltaire, vient pourtant d’un sentiment raisonnable, qui est au fond de tous les cœurs. On sent naturellement sa dépendance d’un être suprême, & l’erreur se joignant à la vérité, a fait regarder les dieux dans presque toute la terre, comme des seigneurs qui venoient quelquefois visiter & réformer leurs domaines. »

Les principes de la morale des Siamois sont tous négatifs, & à-peu-près les mêmes que dans la plûpart des contrées des Indes. Ne rien tuer. Ne rien dérober. Ne point boire de liqueur qui enivre. Ne point exténuer ses forces par la fatigue. Ils suivent exactement ce dernier précepte, persuadés que la félicité suprême consiste à n’être point obligés d’animer une machine, & de faire agir un corps. Dans ces pays où la chaleur excessive énerve & accable, le repos est si délicieux, & le mouvement si pénible,

que ce système de métaphysique paroît naturel. A Siam, la possession d’un éléphant fait la gloire & l’honneur de son maître.

Leurs ecclésiastiques menent une vie retirée & austere : car ils aspirent dans ce monde à un état de perfection agréable au ciel, & suivi de grandes récompenses, en domptant leurs passions, & mortifiant leurs desirs. Ils ne se marient point tant qu’ils sont dans l’état ecclésiastique, mais vivent ensemble dans des monasteres près des temples. Ils vont presque nuds, n’ayant qu’un morceau de drap d’un jaune-brun autour de leur ceinture, & un autre morceau qui pend de dessus l’épaule gauche en plusieurs petits plis, & qu’ils déploient lors qu’il pleut pour s’en couvrir les épaules & la partie supérieure du corps. Ils ne couvrent jamais la tête, qui est rasée de près, & portent à la main un éventail de feuilles de palmier, ou de coupeaux de bois.

Il y a plusieurs rangs & plusieurs degrés différens d’ecclésiastiques siamois. Les plus jeunes prennent un nom qui revient à celui de frere ; & à l’âge de 20 ans, ils en prennent un autre qui répond à celui de pere. Les Péguans les appellent talapoi ; & comme ce nom a été premierement connu des étrangers, ils le donnent à l’heure qu’il est indifféremment à tous les prêtres & ecclésiastiques de la religion qui regne à Pégu, Siam, Gamboia, Aracan, Parma, Laos, Tonquin, & la Cochinchine.

Les peres siamois vivent en société dans une ou plusieurs maisons faites comme des monasteres, près de certains temples. Chacun de ces couvens est gouverné par un chef qu’ils nomment sompan. Tous les couvens de chaque province, sont soumis à un sompan en chef ; & ceux-ci de même que tout le clergé du royaume, sont sous la jurisdiction du prah-sankara, comme qui diroit le grand pontife. Ce primat souverain demeure à Judia (Siam), & son autorité est si grande, que le roi lui-même est obligé de s’incliner devant lui.

Chacun peut se faire moine, s’il a assez de crédit pour cela. Il y a même des hommes mariés qui quittent leur femme, & se mettent dans un monastere. Les voilà moines, & jouissant du privilege de ne pouvoir pas être punis par le bras séculier. Le roi lui-même, lorsqu’ils sont coupables de quelque crime capital, se contente de les bannir dans une île déserte, où il exile aussi ses mandarins & ses ministres d’état, quand il les disgracie.

Ces mêmes ecclésiastiques ont établi plusieurs fêtes annuelles qu’on célebre toujours ; une, par exemple, au commencement de l’année ; une, lorsque le roi va faire des offrandes dans un temple de Napathat, en carosse tire par des hommes : une autre quand ce prince va par eau faire ses dévotions dans un temple situé au-dessous de Siam ; & suivant l’opinion du petit peuple, pour couper les eaux, qui dans ce tems-là, sont dans leur plus grande hauteur, & leur commander de se retirer. On compte parmi les fêtes annuelles des Siamois, celles du lavement des éléphans qui se fait deux fois l’année, & ces deux jours-là, on lave la tête de ces animaux avec beaucoup de cérémonie. Les Siamois célebrent aussi le premier & le quinzieme jour de chaque mois, qui sont les jours de la nouvelle & de la pleine lune.

Ils commencent leur année le premier jour de la lune de Novembre ou de Décembre, suivant de certaines regles. Leur époque commence à la mort de leur grand dieu Sammona-Khodum ; ensorte qu’en 1670, ils comptoient 2304 ans. Ils ont, comme les Chinois, un cycle de 60 ans, quoiqu’il n’y ait que douze de ces années-là qui aient des noms particuliers, & qui étant répétés cinq fois font le cycle entier.

Donnons pour les curieux le nom des 12 années sia-