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près de la mer ; les flotes des Indes viennent y apporter l’or & l’argent du nouveau monde, & on y convertit ces métaux en monnoie.

Elle est située dans une belle & vaste plaine à perte de vue, qui lui donne ses fruits & les riches toisons de ses brebis. Un aqueduc de six lieues de long, ouvrage des Maures qui subsiste encore, fournit de l’eau à tous ses habitans.

Elle est de figure ronde, ceinte de hautes murailles flanquées de tours, avec des barbacanes, & fermées de douze portes. On distingue entre ses fauxbourgs, celui de Triana, situé à l’autre bord du fleuve, où on passe de la ville sur un pont de bateaux. Long. suivant Cassini, 11. 21. 30. latit. 37. 36.

Séville portoit dans l’antiquité le nom d’Hispalis : les Maures, qui n’ont point de p, ont fait Isbitia, & de-là est venu par corruption le nom Sévilla ; comme c’est de nos jours une des plus riches ville d’Espagne, c’étoit aussi la plus opulente ville des Maures ; Ferdinand III. roi de Castille & de Léon, en fit la conquête en 1248. & elle ne retourna plus à ses anciens maîtres. La mort qui termina la vie de ce prince quatre ans après, mit fin à ses brillans exploits.

Les maisons de cette ville sont toujours construites à la moresque, & mieux bâties que celles de Grenade & de Cordoue ; mais les rues sont étroites & tournantes. Les églises y sont fort riches ; la cathédrale est en particulier la plus belle église, & la plus régulierement bâtie qui soit dans toute l’Espagne ; sa voute, extrémement élevée, est soutenue de chaque côté, par deux rangs de piliers ; elle est longue de 175 pas, & large de 80. Son clocher est d’une hauteur extraordinaire, bâti tout entier de briques, percé de grandes fenêtres, qui donnent du jour à la montée ; il est composé de trois tours l’une sur l’autre, avec des galeries & des balcons ; l’escalier a la montée si douce, qu’on peut la parcourir en mule & à cheval, jusqu’au plus haut, d’où l’on découvre toute la ville & la campagne.

L’archevêque de Séville, dont le siege est fort ancien, a pris quelquefois le titre de primat d’Espagne ; on prétend que ce prélat a plus de cent mille ducats de revenu ; la fabrique de l’église en a trente mille, & quarante chanoines ont chacun trente mille réaux.

La plûpart des autres églises de Séville sont belles, & particulierement celles qu’on voit dans quelques maisons religieuses ; on y compte 85 bénéfices, & plus de trois mille chapelles ; l’église de S. Salvador, qui servoit autrefois de mosquée aux Maures, est par conséquent bâtie à la moresque, c’est-à-dire qu’elle est faite en arcades, soutenues par des piliers qui forment plusieurs portiques.

L’université de Séville a été fondée en 1531. par Roderique Fernandez de Santaella, savant espagnol de son tems ; ensuite les rois d’Espagne lui ont accordé les mêmes privileges qu’à celle de Salamanque, d’Alcala, & de Valladolid ; elle a toujours pour patron quelque grand seigneur espagnol, qui pour cela ne la fait pas fleurir davantage.

Au midi de la ville, près de l’église cathédrale, est le palais royal, nommé alcaçar, bâti en partie à l’antique par les Maures, & en partie à la moderne par le roi D. Pedro, surnommé le cruel ; mais l’antique est infiniment plus beau que le moderne. On donne à ce palais un mille d’étendue ; il est flanqué de tours, qui sont faites de grosses pierres taillées en quarré.

La bourse où les marchands s’assemblent, est derriere l’église cathédrale ; elle est faite en quarré, d’ordre toscan, & composée de quatre corps de logis : chaque façade a deux cens piés de longueur avec trois portes & dix-neuf fenêtres à chaque étage : elle a deux étages, dont l’un sert pour les consuls ; les appartemens sont de grandes salles lambrissées, où les marchands traitent ensemble des affaires du commer-

ce ; ce bâtiment, commencé en 1584, & qui n’a été

fini que soixante ans après, a couté prodigieusement, puisque l’achat de l’emplacement seul, fut payé soixante & cinq mille ducats.

A l’entrée du fauxbourg nommé Triana, est le cours, où toute la ville va prendre le frais en été ; il est fait comme un jeu de mail double, partagé en deux allées de grands arbres, avec de petits fossés pleins d’eau.

La boucherie, par une plus sage politique que celle de Paris, est hors de la ville ; mais par une délicatesse de luxe, également cruelle & effrénée, on prend soin avant que d’égorger les bœufs, de les faire combattre contre les dogues, afin que leur chair en soit plus tendre.

En rentrant dans la ville par le pont de bateaux, on voit à l’entrée du port, qui est spatieux, le long du bord du Guadalquivir, une grande place nommée l’Arénal, la maison de l’or, où l’on décharge les effets, & où l’on met l’or & l’argent qui viennent des Indes. Cette maison a un grand nombre d’officiers qui tiennent registre de toutes les marchandises qui arrivent du Nouveau-monde, ou qu’on y porte.

On compte plus de cent hôpitaux dans Séville, la plûpart richement dotés ; il y en a un où l’on donne à chaque malade ses mets particuliers, selon l’ordonnance des médecins ; les gentilshommes, les étudians de l’université, y sont reçus, & ont les uns & les autres, des chambres séparées ; c’est une fort belle institution.

Enfin Séville est une ville d’Espagne des plus dignes de la curiosité des voyageurs ; elle est moins peuplée que Madrid, mais plus grande & plus riche ; aussi fournit-elle seule au roi un million d’or par an. Le pays dans lequel elle est située, est extrémement fertile en vin, en blé, en huile, & généralement en tout ce que la terre produit pour les besoins, ou pour les délices de la vie. Le Guadalquivir lui fournit du poisson, & la marée qui remonte deux lieues au-dessus de Séville, y jette entr’autres, quantité d’aloses & d’esturgeons ; cependant tout ce beau pays, & la ville même, peuvent être regardés comme déserts, en comparaison du tems des Maures ; on en sera bien convaincu si l’on lit l’histoire d’Espagne, sous le regne du roi Ferdinand.

Le commerce des Indes & de l’Afrique, fait qu’on se sert beaucoup à Séville d’esclaves qui sont marqués au nés, ou à la joue ; on les vend & on les achete à prix d’argent, comme des bêtes, & on les fait travailler de même, sans que le christianisme qu’ils embrassent, serve à rendre leur sort plus heureux.

Je n’entrerai pas dans d’autres détails sur Séville, parce qu’on peut s’en instruire dans plusieurs ouvrages traduits en françois ; mais il faut que je parle de quelques hommes célebres dans les lettres, dont elle a été la patrie.

Avenzoar (Abu Merwan Abdalmalck Ebn Zohr), célebre médecin arabe, qui florissoit dans le xij siecle ; Léon l’afriquain place sa mort à 92 ans, dans l’année 564 de l’hégire, qui tombe à l’an 1167-8. de J. C. Né dans la medecine, & d’une famille de médecin, il eut pour maître Averroës, & exerça son art avec beaucoup de gloire dans Séville sa patrie. Il rejetta les vaines superstitions des astrologues, suivit principalement Galien dans sa théorie, & a cependant inséré dans ses écrits des choses particulieres, dont il parle d’après sa propre expérience. Son ouvrage intitulé, Tagassir filmadavat waltadhir, qui contient des regles pour les remedes & la diete dans la plûpart des maladies, a été traduit en hébreu l’an de J. C. 1280. & de l’hébreu en latin, par Paravicius.

Alcasar (Louis de), jésuite, a fait un ouvrage sur l’apocalypse, qui passe pour un des meilleurs des catholiques romains ; il est intitulé, Vestigatio arcani