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ce sont des pieces que les ambassadeurs des princes y ont fait apporter, comme des glaces de France & de Venise, des tapis de Perse, des vases d’Orient. On dit que la plupart des pavillons y sont soutenus par des arcades, au-dessous desquelles sont les logemens des officiers qui servent les sultanes. Ces dames occupent les dessus, qui sont ordinairement terminés en dômes couverts de plomb, ou en pointes chargées de croissans dorés ; les balcons, les galeries, les cabinets, les belveders, sont les endroits les plus agréables de ces appartemens. Enfin à tout prendre de la maniere qu’on dépeint ce palais, il ne laisse pas de répondre à la grandeur de son maître ; mais pour en faire un bel édifice, il faudroit le mettre à-bas, & se servir des matériaux pour en bâtir un autre sur un nouveau modele.

L’entrée principale du serrail, est un gros pavillon à huit croisées ouvertes au-dessus de la porte ; une grande entrée qui est sur la porte même, quatre plus petites à gauche sur la même ligne, & autant de même grandeur à droite. Cette porte dont l’empire ottoman a pris le nom, est fort haute, simple, ceintrée en demi-cercle, avec une inscription arabe sous le ceintre ; & deux niches, une de chaque côté, creusées dans l’épaisseur du mur.

Elle ressemble plutôt à un corps-de-garde, qu’à l’entrée du palais d’un des plus grands princes du monde : c’est pourtant Mahomet II. qui la fit bâtir ; & pour marquer que c’est une maison royale, le comble du pavillon de l’entrée est relevé de deux tourillons : 50 capigis ou portiers, sont commandés pour la garde de cette porte ; mais ils n’ont ordinairement pour arme qu’une baguette à la main.

On entre d’abord dans une grande cour, beaucoup plus longue que large ; à droite sont les infirmeries, à gauche les logemens des azancoglans, c’est-à-dire des personnes destinées aux charges les plus viles du serrail ; la cour des azancoglans renferme les chantiers pour le bois qui se brûle dans le palais ; on y en met tous les ans quarante mille voies, & chaque voie est une charretée que deux bufles ont peine à tirer.

Tout le monde peut entrer dans la premiere cour du serrail ; les domestiques & les esclaves des pachas & des agas qui ont affaire à la cour, y restent pour attendre leurs maîtres, & prendre soin de leurs chevaux : mais on y entendroit pour ainsi dire voler une mouche ; & si quelqu’un y rompoit le silence par un ton de voix un peu trop élevé, ou qu’il parût manquer de respect pour la maison du prince, il seroit bâtonné sur le champ par les officiers qui font la ronde : il semble même que les chevaux connoissent où ils sont, & sans doute ils sont dressés à y marcher plus doucement que dans les rues.

Les infirmeries sont destinées pour les malades de la maison ; on les y conduit dans de petits chariots fermés, & tirés par deux hommes. Quand la cour est à Constantinople, le premier médecin & le premier chirurgien y font leurs visites tous les jours, & l’on assure que l’on y prend grand soin des malades : on dit même qu’il y en a plusieurs qui ne sont pas trop incommodés, & qui n’y vont que pour s’y reposer & pour y boire du vin ; l’usage de cette liqueur, défendue sévérement partout ailleurs, est toléré dans les infirmeries, pourvû que l’eunuque qui est à la porte, ne surprenne pas ceux qui le portent ; car en ce cas, le vin est répandu par terre, & les porteurs sont condamnés à deux ou trois cens coups de bâton.

De la premiere cour on passe à la seconde ; son entrée est aussi gardée par 50 capigis. Cette cour est quarrée, d’environ 300 pas de diametre, mais plus belle & plus agréable que la premiere ; les chemins en sont pavés, & les allées bien entretenues ; tout le

reste est en gazon fort propre, dont la verdure n’est interrompue que par des fontaines qui en entretiennent la fraicheur.

Le trésor du grand-seigneur, & la petite écurie sont à gauche, & l’on y montre une fontaine où l’on faisoit autrefois couper la tête aux pachas condamnés à mort ; les offices & les cuisines sont à droite, embellies de leurs dômes, mais sans cheminées : on y allume le feu dans le milieu, & la fumée passe par des trous dont les dômes sont percés. La premiere de ces cuisines est destinée pour le grand-seigneur ; la seconde pour la premiere sultane, & la troisieme pour les autres sultanes ; la quatrieme pour le capiaga ou commandant des portes ; dans la cinquieme on prépare à manger pour les ministres qui se trouvent au divan ; la sixieme est pour les pages du grand-seigneur, que l’on nomme ichoglans ; la septieme est pour les officiers du serrail ; la huitieme pour les femmes & les filles qui servent dans ce palais ; la neuvieme pour tous ceux qui sont obligés de se trouver dans la cour du divan les jours de justice. On n’y apprête guere de gibier ; mais outre les quarante mille bœufs que l’on y consomme tous les ans, frais ou salés, les pourvoyeurs doivent fournir tous les jours 200 moutons ; 100 agneaux ou chevreaux, suivant les saisons ; 10 veaux ; 200 poules ; 200 paires de poulets ; 100 paires de pigeons ; 50 oisons. Voilà pour nourrir bien du monde.

Tout à l’entour de la cour regne une galerie assez basse, couverte de plomb & soutenue par des colonnes de marbre. Il n’y a que le grand-seigneur qui entre à cheval dans cette cour ; c’est pour cela que la petite écurie s’y trouve, mais il n’y a de place que pour environ 30 chevaux ; on serre les harnois dans des salles qui sont au-dessus, & ce sont les plus riches harnois du monde, par la broderie & les pierres précieuses dont ils sont relevés.

La grande écurie dans laquelle on entretient environ mille chevaux pour les officiers du grand seigneur, est du côté de la mer sur le Bosphore. Les jours que les ambassadeurs sont reçus à l’audience, les janissaires proprement vétus se rangent à droite sous la galerie. La salle où se tient le divan, c’est-à-dire où l’on rend la justice, est à gauche tout au fond de cette cour ; à droite est une porte par où l’on entre dans l’intérieur du serrail : le passage n’en est permis qu’aux personnes mandées.

Pour la salle du conseil ou divan, elle est grande, mais basse, couverte de plomb, lambrissée & dorée assez simplement à la moresque. On n’y voit qu’un grand tapis étendu sur l’estrade, où se mettent les officiers qui composent le conseil ; c’est-là que le grand-visir, assisté de ses conseillers, juge sans appel de toutes les causes civiles & criminelles : le caïmacan tient sa place en son absence, & l’on y donne à manger aux ambassadeurs le jour de leur audience. Voilà tout ce qu’il est libre aux étrangers de voir dans le serrail ; pour pénétrer plus avant la curiosité coûteroit trop cher.

Les dehors de ce palais du côté du port, n’ont rien de remarquable que le kiosc ou pavillon, qui est vis-à-vis de Galata ; ce pavillon est soutenu par douze colonnes de marbre ; il est lambrissé, peint à la persienne & richement meublé. Le grand-seigneur y vient quelquefois pour avoir le plaisir de remarquer ce qui se passe dans le port, ou pour s’embarquer lorsqu’il veut se promener sur le canal.

Le pavillon qui est du côté du Bosphore, est plus élevé que celui du port, & il est bâti sur des arcades qui soutiennent trois salons terminés par des dômes dorés. Le prince s’y vient divertir avec ses femmes & ses muets : tous ces quais sont couverts d’artillerie, mais sans affuts ; la plûpart des canons sont braqués à fleur d’eau ; le plus gros qui est celui qui obligea,