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laisser fondre, on ne laissera ce sel exposé à l’air que le moins qu’il sera possible, & on le conservera dans des flacons bouchés exactement pour l’empêcher de tomber en défaillance, & même de se combiner avec l’acide universel ; mais les sels lixiviels qui sont reconnus sels neutres, & non alkalis, n’ont pas besoin de cette derniere précaution.

Les cendres qui n’ont souffert qu’une lessive contiennent encore une grande quantité de sel qu’on enleve entierement par une lotion réïtérée. Pour rendre ce même sel plus blanc, on doit le dissoudre dans l’eau, le filtrer, le faire évaporer & calciner une seconde fois. On le formera en tablettes, si on le fait fondre dans un creuset, & qu’on le verse sur une table de marbre. Les plantes qui fournissent ce sel le plus abondamment sont ameres, âpres, telles que le chêne, le houblon, l’absynthe ; ou âcres, comme les laiteuses ; ou nourrissantes, comme les légumineuses ; ou sauvages, comme les épineuses. On doit toujours préférer ces dernieres à celles qui sont cultivées, ainsi que les feuilles & les branches au tronc. Ce procédé rendra environ un vingtieme du poids de la plante séchée, si elle réunit les qualités précédentes. Cette proportion seroit beaucoup moindre si la plante avoit séché sur pié, si elle étoit trop vieille, altérée, si elle avoit été, comme le veulent quelques chimistes, infusée avant la combustion dans l’esprit-de-vin ou l’eau. Neumann a éprouvé qu’il ne restoit alors qu’un centieme du sel qu’il attendoit. On rejettera la pratique de ceux qui, pour l’empêcher de tomber aussi aisément en défaillance, le calcinent avec un peu de soufre, & font par-là de l’alkali fixe une espece de tartre vitriolé.

La seconde méthode est dûe à Tackenius ; elle consiste à prendre telle quantité de plante fraîche que l’on veut, à la mettre dans une marmite de fer couverte de la même matiere avec soin, & en l’exposant à un feu vif, la convertir en charbon. Alors on pousse le feu avec plus de vivacité, on ôte le couvercle, le charbon s’embrase, se convertit en cendres pendant qu’on a soin de la remuer souvent & d’empêcher la flamme d’y pénétrer. On soutient le feu sous les cendres pendant une heure ou deux, enfin on lessive & on évapore, comme dans le procédé précédent.

Quelle est la nature de ces sels ? existoient-ils dans le végétal, ou sont-ils le produit du feu ? sont-ils tous semblables ? comment le feu les a-t-il dépouillés des autres principes ? quelles sont leurs vertus médicinales ? la méthode de Tackenius est-elle préférable ? Telles sont les questions qui ont partagé les Chimistes ; tâchons de les résoudre.

On ne peut regarder en général les sels lixiviels comme des alkalis fixes parfaits : les seules plantes nitreuses sont capables d’en fournir, leur acide se détruisant dans la combustion par la déflagration. Ils sont quelquefois absolument neutres, tel est le sel du tamarisc que M. Montel a démontré être un parfait sel admirable de Glauber. Le plus souvent ils sont mêlés d’alkalis fixes & de sels neutres. C’est ainsi que la potasse contient un tartre vitriolé, voyez Cardileucius, Grosse & Boulduc, le dernier dans les Mémoires de l’académie des Sciences 1734, que la soude renferme un sel marin, du sel de Glauber, & du tartre vitriolé. On sent aisément que l’alkali fixe des sels lixiviels est de deux sortes, marin ou tartareux. Il est toujours le même que la base du sel essentiel du végétal d’où on l’a tiré. Lorsque l’incinération a été lente, comme dans le procédé de Tackenius, le sel essentiel en est d’autant moins décomposé, & se trouve uni à une portion du phlogistique de la plante, qu’on a de la peine à dépouiller entierement par des calcinations & des lessives répétées.

C’est à ce sel neutre essentiel, produit de l’union

d’un alkali fixe & d’un acide, qu’on doit le sel lixiviel. Voyez Sel essentiel. Ce qu’il est facile de démontrer par ces deux seules expériences. Les plantes qui contiennent une plus grande quantité du premier sel, en fournissent une proportionnée de second ; celles qui ont trempé quelque tems dans l’eau étant privées du suc de la terre, comme le bois flotté, ou qui ont été exposées à la pluie, perdent en même tems l’un & l’autre sel. L’alkali fixe existoit donc dans le végétal brûlé, le feu n’a fait que le dégager de l’acide, du phlegme, & de l’huile avec lesquels il étoit combiné. Il l’a laissé uni à une terre, dont on le sépare par la lessive : mais comment l’acide uni plus intimément aux alkalis fixes qu’aux huiles & à l’eau, a-t-il pu les abandonner pour se volatiliser avec les derniers ? L’action du feu peut seule décider ce problème ; elle vient à l’appui de deux unions qui se balancent, & elle entraîne l’acide volatil par sa nature : cet effet sera d’autant plus prompt & plus décidé que la flamme sera plus vive & le feu plus ardent ; car si le feu est lent, si on commence par réduire en charbon la plante avant de la brûler lentement, suivant la méthode de Tackenius, le sel neutre essentiel ne sera point entierement décomposé, comme nous l’avons vu, il sera plus gras, plus onctueux, moins blanc, moins déliquescent, & ce sel lixiviel en sera d’autant moins alkalin : il deviendra plus doux, & participera davantage des vertus de la plante dont on l’aura tiré ; ce qui nous feroit pancher pour donner la préférence à ces derniers dans l’usage médicinal, ce que nous soumettons cependant à l’expérience des médecins jusqu’ici mal faite & peu décisive.

Les vertus médicinales des sels lixiviels en général sont d’être anti-émétiques, anti-acides, fébrifuges, stomachiques, apéritifs, diurétiques & emmenagogues ; pris intérieurement d’être résolutifs, fondans, employés comme topiques : ils sont même caustiques, lorsqu’on n’a pas le soin de les étendre dans des opiates, des eaux, des cataplasmes, &c. ce qui fait qu’on ne doit jamais les employer seuls intérieurement, ni extérieurement, à-moins qu’on ne veuille cautériser. Leur dose doit être très-petite, ils se donnent par grains.

Sel marin, (Chimie.) le sel marin ou sel commun, que quelques auteurs désignent encore par le nom de sel des cuisines, sel culinare, est un sel naturel neutre, formé par l’union d’un acide spécial (voyez à la suite de cet article ), & d’un sel alkali fixe d’une espece particuliere & parfaitement analogue, ou plutôt exactement identique avec le natron ou alkali fixe minéral, avec le sel fixe de soude, avec la base du borax, avec celle du vrai sel de Glauber naturel, &c. Voyez Natron & Soude.

J’ai défini le sel marin qui est regardé comme le plus parfait, celui qui est le plus abondant dans la nature, le plus connu : car il y a un sel naturel connu des chimistes, entre autres noms sous celui de sel marin à base terreuse, & qui differe du précédent, comme cette dénomination l’annonce déja, en ce qu’il a une terre pour base. Les différentes especes de terre qui peuvent constituer cette base, donneroient aussi plusieurs autres especes de sels marins ; mais ce n’est que du premier que nous allons nous occuper d’abord.

Les sources ou magasins naturels du sel marin sont 1°. la mer, les étangs, les fontaines, les puits salans ; on doit rapporter à cette origine celui qui couvre des terreins bas, ou qui a pénétré la terre dans plusieurs pays ; car c’est là manifestement un produit de l’évaporation de quelques eaux salées. 2°. Les mines ou carrieres de sel gemme ou concret, voyez Sel gemme, Hist. nat. 3°. Les terres & matieres analogues, d’où on retire aussi le salpêtre par une simple lixiviation. 4°. Un très-grand nombre de plantes.