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le nord, on trouve des amas de pierres arrondis, & de gallets ou cailloux, qui paroissent n’avoir pu y être transportés que de fort loin ; on y voit aussi du grais, qui est la pierre la plus commune des environs ; on a remarqué quelquefois dans ce grais, des masses assez grosses de charbon de terre : au couchant on rencontre différentes couches. Le terrein y est sablonneux ; au-dessous du sable, dont l’épaisseur varie, on trouve une pierre composée d’un amas de petits cailloux & de coquilles, liés ensemble par du quartz, qui en fait des couches très-solides ; cette pierre composée forme un lit, qui a depuis un jusqu’à trois piés d’épaisseur : au-dessous, est une nouvelle couche de sable qui n’est point par-tout également épaisse, mais qui contient aussi des coquilles de mer, dont plusieurs sont dans un état de destruction, tandis que d’autres n’ont éprouvé aucune altération. On donne ensuite sur un banc d’un grais quartzeux & bleuâtre, qui a de 6 à 8 pouces d’épaisseur, & qui est d’une dureté extraordinaire. Ce banc est suivi d’une nouvelle couche de sable, dont on n’a point encore pu sonder la profondeur. A environ une lieue de Wieliczka, on rencontre une grande quantité de soufre natif ; près de-là est aussi une source d’eau minérale d’une odeur très-fétide. Le soufre est répandu en petites masses, de la grosseur d’un pois, dans une pierre d’un gris cendré, semblable à de la pierre ponce, & remplie de trous comme elle. Toutes ces circonstances prouvent que le terrein qui renferme ces fameuses mines de sel, a éprouvé des révolutions très-considérables, tant de la part des eaux, que de celle des feux souterreins.

Les mines de Wieliczka sont très-étendues ; tout le terrein sur lequel cette ville est bâtie, est creusé par-dessous, & même les galeries souterreines vont beaucoup au-delà des bornes de la ville ; 450 ouvriers sont employés à l’exploitation de ces mines. D’orient en occident, elles ont environ 600 lachters ou verges, c’est-à-dire 6000 piés de longueur ; du nord au midi, elles ont 200 verges, ou 2000 piés ; leur plus grande profondeur est de 80 lachters, ou 800 piés. On y trouve encore à cette profondeur des couches immenses de sel gemme, qui vont d’orient en occident, & dont on ignore l’étendue. Voici les différentes couches dont la terre est composée en cet endroit. 1°. La terre franche. 2°. De la glaise. 3°. Un sable très-fin mêlé d’eau, que l’on nomme zyc. 4°. Une argille noire très-compacte ; enfin on trouve la couche qui renferme le sel gemme. Ces mines ont dix puits ou ouvertures quarrées, tant pour y descendre, que pour épuiser les eaux, & pour faire monter le sel gemme que l’on a détaché sous terre. On descend dans l’un de ces puits par un escalier qui a 470 marches ; tous sont revêtus de charpente, pour empêcher l’éboulement des terres. Quand on est parvenu à cette profondeur, on rencontre une infinité de chemins ou de galeries qui se croisent, & qui forment un labyrinte, où les personnes les plus habituées courent risque de s’égarer. Ces galeries sont étayées par des charpentes ; en de certains endroits on laisse des masses de roches pour soutenir les terres qui sont en dessus. L’on a pratiqué dans quelques souterreins des niches, des chapelles & des statues, taillées dans le sel même. Quand on est arrivé dans ces galeries, on n’est encore qu’au premier étage, on descend plus bas par de nouveaux puits ; dans un de ces puits, nommé janina, on a fait un escalier qui a dix piés de large, & dont la pente est si douce, que les chevaux y peuvent monter & descendre sans peine.

Au premier étage de ces mines, le sel gemme se trouve par blocs d’une grandeur prodigieuse ; mais au second étage, il se trouve par couches suivies, & dans une quantité inépuisable. On se sert de pio-

ches, de ciseaux & de maillets pour détacher le sel ;

on détache souvent des masses de sel en prismes quarrés, de 7 à 8 piés de longueur, & de deux piés & demi d’épaisseur ; on nomme ces parallélepipedes battawanes ; on est quelquefois parvenu à en détacher qui avoient 32, & même 48 piés de longueur. Les ouvriers s’acquittent de leur travail avec assez de facilité ; par le son que rendent les masses, ils connoissent le moment où elles vont se détacher ; & alors ils pourvoient à leur sureté. Ces blocs se roulent sur des cylindres de bois, jusqu’aux puits qui descendent dans les galeries, d’où ils sont élevés par des machines à moulettes très-fortes, & tournées par douze chevaux. Quand aux petits morceaux, on les met dans des tonneaux.

On a fait des excavations si prodigieuses dans le fond de ces mines, pour en retirer le sel gemme, qu’on y voit des cavités assez amples pour contenir une très-grande église, & pour y ranger plusieurs milliers d’hommes ; ces sortes d’endroits servent de magasins pour les tonneaux, & d’écuries pour les chevaux, qui restent toujours dans ces mines, & qui y sont au nombre de quatre-vingt.

On trouve quelquefois des creux qui sont remplis d’eaux si chargées de sel, que lorsqu’on vient à les faire sortir, les roches environnantes restent comme tapissées de crystaux, qui présentent le coup d’œil le plus agréable.

Un phenomene très-remarquable pour les naturalistes, c’est que les masses salines qui se trouvent dans ces mines, renferment souvent des gallets ou des cailloux arrondis, semblables à ceux que roulent la mer & les rivieres ; on y rencontre des coquilles & d’autres corps marins ; & souvent on trouve au milieu des couches de sel gemme, des masses énormes d’une roche composée de couches ou de bandes de différentes especes de pierres. De plus, on voit souvent dans ce sel, aussi bien que dans la substance qui l’environne, des morceaux de bois, semblables à de fortes branches d’arbres, brisées & morcelées ; ce bois est noir comme du charbon ; ses fractures sont remplies de sel, qui sert pour ainsi dire à recoller les différens morceaux ; ce bois est d’une odeur très-désagréable & très-incommode pour les ouvriers, sur-tout, lorsque le renouvellement de l’air ne se fait point convenablement. Ce bois s’appelle dans ces mines wagti-solni, c’est-à-dire charbon de sel.

Un autre inconvénient de ces mines, c’est qu’elles sont sujettes à des exhalaisons minérales ou moufettes très-dangereuses ; elles sortent avec sifflement par les fentes des rochers, s’allument subitement aux lampes des ouvriers, font des explosions semblables à celles du tonnerre, & produisent des effets aussi funestes. Ces vapeurs inflammables, s’amassent sur-tout dans les souterreins, lorsque les jours de fêtes ont empêché qu’on n’y travaillât, alors il est très-dangereux de descendre dans les puits avec de la lumiere, parce que la vapeur venant à s’enflammer tout d’un coup, fait un ravage épouvantable. Même sans s’allumer, ces vapeurs sont capables d’étouffer les ouvriers qui s’y exposent imprudemment ; elles sont plus fréquentes dans les mines de sel de Bochnia, que dans celles de Wieliczka.

On retire de ces mines du sel gemme de différentes qualités, & à qui on donne des noms différens. La premiere espece se nomme zielona, ce qui signifie sel verd ; ce sel n’est qu’un amas de crystaux cubiques, forme qui est propre au sel marin ; les côtés de ces crystaux ont quelquefois deux à trois pouces, ils sont fort impurs & entremêlés des parties terrestres & de glaise. Le prix du quintal du sel, appellé zielona, est de florins de Pologne, (environ 45 sols) en blocs, & de 22 florins (treize livres quinze sols) le