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tains, comme dans la plûpart des glandes, elle répond très-peu aux irritations méchaniques, & dans certains autres elle s’y trouve concentrée dans un point qui peut passer pour mathématique, ou elle y est dans un degré de décroissement auquel l’industrie humaine ne sauroit jamais proportionner la ténuité ou la finesse des agens. Ainsi il ne faudroit pas, de ce qu’une partie piquée, déchirée ou brûlée dans un animal vivant ne produit aux sens que quelques mouvemens sans douleur, en conclure que cette partie n’est point sensible ; voyez la these de M. François de Bordeu, de sensibilitate & contractilitate &c. Le grand Harvée qui avoit fait sur les animaux un grand nombre d’expériences, avoit reconnu cette vérité. Il dit expressément : quidquid enim contra irritamenta & molestia motibus suis diversis nititur, id sensu præditum sit necesse est ; & peu après : quidquid enim sensûs planè expers est, non videtur ullo modo irritari, aut ad motum actionesque aliquas edendas, excitari posse videtur. Exercitatio 57. pag. 259. & 260. Il est sûr néanmoins que certaines parties paroissent n’avoir presque point de sentiment en comparaison des grands mouvemens qu’elles exercent naturellement, ou qu’elles sont capables d’exercer : mais qu’en conclure, sinon que les effets sont dans ces cas plus grands que les causes ? Vous pourriez avec la pointe d’une épingle jetter un animal dans les convulsions. C’est aussi sur la considération très-réfléchie de ces variétés, que M. de Bordeu a donné dans une thèse, cette belle division des fonctions de l’individu, en celles qui se font avec un mouvement manifeste & un sentiment obscur, occulto, comme la circulation & la respiration, & en celles qui se font avec un mouvement obscur & un sentiment manifeste, telles que celles des sens, soit externes, soit internes.

Après cette digression que nous avons cru nécessaire pour l’intelligence du système de M. de Bordeu, nous allons passer tout de suite au méchanisme des secrétions & des excrétions.

Nous commencerons, en suivant le plan de l’auteur, par l’excrétion, comme paroissant plus du ressort de l’Anatomie, & dont les auteurs n’ont parlé que très-succintement. Tous les Physiologistes avoient cru & enseigné jusqu’ici que les organes secrétoires se vuidoient à proportion qu’ils étoient comprimés, c’est-à-dire que l’excrétion étoit l’effet de la compression. Il est vrai que quelques auteurs avoient parlé de l’irritation, mais d’une maniere vague ; ils ne la regardoient même que comme une cause subsidiaire. Enfin M. de Bordeu démontre par des expériences & des dissections très-curieuses, que la plûpart des glandes sont situées de maniere à ne pouvoir être comprimées dans aucun cas par les parties environnantes ; on sent en effet quels inconvéniens résulteroient de cette compression, dont l’endurcissement & le rappetissement des glandes seroient le moindre. La glande parotide, qu’on allegue comme l’exemple & la preuve la plus sensible de cette compression, est à l’abri de tous les agens à l’action desquels on veut qu’elle soit exposée. Une légere inspection anatomique des parties en dit plus que tous les raisonnemens ; nous remarquerons seulement que l’espace entre l’angle de la mâchoire & l’éminence mastoïde dans lequel est logée une grande partie de la glande, augmente par l’abaissement de la mâchoire, ainsi qu’un célebre anatomiste l’a démontré dans les mémoires de l’académie des Sciences, & qu’on peut l’éprouver sur soi-même ; à l’égard des muscles, il n’y a que le masseter qui mérite quelque attention, non point par rapport à la glande qui ne porte pas sur ce muscle autant qu’on pourroit le croire, mais par rapport au conduit de Stenon qui rampe dessus. Enfin la peau qu’on renforcera, si l’on veut, de quelques fibres du muscle peaucier, est toujours au même point de

laxité dans les divers mouvemens de la mâchoire. Les expériences qu’on a faites sur les cadavres pouvant ne pas paroître suffisantes, en voici sur le vivant.

« Un homme avoit sur la peau qui recouvre la parotide, une tumeur qui la tendoit extrèmement, & qui comprimoit certainement la glande ; cependant il avoit la bouche seche du côté de la tumeur : pourquoi, si la compression favorisoit l’excrétion ?

» On pria un malade qui salivoit d’appuyer sa tête sur sa main, après avoir placé son coude sur une table ; la main portoit sur le corps de la parotide, & nous l’avions placé de façon que le conduit ne fût pas comprimé ; la salive, loin de sortir avec plus de force, étoit retenue ».

Parcourez les autres organes secrétoires l’un après l’autre, par-tout vous reconnoîtrez l’impossibilité de cette action méchanique sur eux, il n’y a guere que les amygdales & quelqu’autres glandes simples qui soient dans le cas d’exception, c’est-à-dire qui demandent à être plus ou moins comprimées, toutes ces différences sont renfermées dans une division des excrétions en actives, en passives & en mixtes, imitée de Stahl.

Quelle est donc la cause de l’excrétion ? C’est la vie de l’organe, dont nous parlions plus haut, sa sensibilité par la présence des nerfs, son action propre que certaines circonstances augmentent, comme les irritations, les secousses & les dispositions des vaisseaux : « ces circonstances ou ces changemens paroissent les uns mieux que les autres dans certains organes, mais ils sont nécessaires pour l’excrétion qui dépend principalement d’une espece de convulsion, d’état spasmodique, que nous appellerons érection ». Par ce dernier terme métaphorique il faut entendre la disposition d’un organe qui s’apprête à faire l’érection, une sorte de boursouflement singulier, ou un surcroit de force qui arrive à l’organe ; tel est le spasme des parties qui concourent à l’excrétion de la semence. Cette expression après tout ne doit pas paroître si étrange ; n’a-t-on pas dit que les trompes de Fallope se roidissoient, s’érigeoient pour empoigner l’œuf au sortir des ovaires ? Kusner a vu les papilles nerveuses de la langue s’ériger dans la gustation ; l’érection est donc la disposition préparatoire à l’excrétion d’une glande, c’est l’instant de son reveil ; les nerfs étant comme engourdis dans un organe relâché, ont besoin d’une nouvelle force qui les excite ; l’organe vit toujours sans doute, mais il lui faut cette augmentation de vie pour le disposer à une fonction. « Ainsi un homme qui sort d’un profond sommeil a les yeux ouverts pendant un certain tems, & ne voit pas les objets distinctement, à-moins que les rayons de lumiere n’ayent excité, pour ainsi dire, & reveillé sa rétine. On peut aisément appliquer à l’oreille ce que nous disons de l’œil.

» On sent même que dans ce qui regarde le tact, l’organe est d’abord excité par la solidité en général, avant qu’il puisse distinguer tel ou tel objet.

» Il y a dans chaque sensation particuliere une espece de sensation générale, qui est, pour ainsi parler, une base sur laquelle les autres sensations s’établissent ».

Les changemens qui arrivent à la glande se communiquent encore au conduit secrétoire, il s’érige à son tour, de tortueux ou de flasque qu’il étoit, il devient un canal droit ou roide, il se redresse sur lui-même en s’épanouissant ou élargissant ses parois pour faciliter la sortie des humeurs ; il en est de même que des conduits lactiferes qui se redressent quelquefois d’eux-mêmes en lançant de petits jets de lait au moindre spasme procuré aux mamelles par quelques légers chatouillemens, ou par un sentiment voluptueux.

Il faut donc croire que l’irritation, les secousses,