Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 14.djvu/777

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

culée conception, chancelier de l’université, aumônier de Charles VI. trésorier de la Sainte-Chapelle, évêque, protégé de Boniface IX. & de Benoît XIII. pere du concile de Pise & de Constance, & cardinal. Il fut entêté d’astrologie. Tout tourne à mal dans les esprits gauches ; il fut conduit à cette folie par les livres qu’Aristote a écrits de la nature de l’ame, & par quelque connoissance qu’il avoit des mathématiques. Il lisoit tous les grands événemens dans les astres.

Jean Wessel Gansfort naquit à Groningue. Il eut des lettres ; il sut les langues anciennes & modernes, le grec, le latin, l’hébreu, l’arabe, le syriaque, le chaldéen : il parcourut l’ouvrage de Platon. Il fut d’abord scotiste, puis occamiste. On ne conçoit pas comment cet homme ne prit pas dans Platon le mépris de la barbarie scholastique. Il eut au-moins le courage de préferer l’autorité de la raison à celle de Thomas, de Bonaventure, & des autres docteurs qu’on lui opposoit quelquefois. On pourroit presque dater de son tems la reforme de la scholastique. Cet homme avoit plus de mérite qu’il n’en falloit, pour être persécuté, & il le fut.

Gabriel Biel naquit à Spire. Il forma la troisieme période de la Philosophie scholastique.

Nous n’avons rien de particulier à en dire, non plus que de Jean Botrell, de Pierre de Verberia, de Jean Conthorp, de Gregoire d’Arimint, d’Alphonse Vargas, de Jean Capréolus, de Jerôme de Ferraris, de Martinus Magister, de Jean Raulin, de Jacques Almain, de Robert Holcolh, de Nicolas d’Orbilli, de Dominique de Flandres, de Maurice l’hibernois, & d’une infinité d’autres, sinon qu’il n’y eut jamais tant de pénétration mal employée, & tant d’esprits gâtés & perdus, que sous la durée de la philosophie scholastique.

Il suit de ce qui précede, que cette méthode détestable d’enseigner & d’étudier infecta toutes les sciences & toutes les contrées.

Qu’elle donna naissance à une infinité d’opinions ou puériles, ou dangereuses.

Qu’elle dégrada la Philosophie.

Qu’elle introduisit le scepticisme par la facilité qu’on avoit de défendre le mensonge, d’obscurcir la vérité, & de disputer sur une même question pour & contre.

Qu’elle introduisit l’athéïsme spéculatif & pratique.

Qu’elle ébranla les principes de la morale.

Qu’elle ruina la véritable éloquence.

Qu’elle éloigna les meilleurs esprits des bonnes études.

Qu’elle entraîna le mépris des auteurs anciens & modernes.

Qu’elle donna lieu à l’aristotélisme qui dura si longtems, & qu’on eut tant de peine à détruire.

Qu’elle exposa ceux qui avoient quelque teinture de bonne doctrine, aux accusations les plus graves, & aux persécutions les plus opiniâtres.

Qu’elle encouragea à l’astrologie judiciaire.

Qu’elle éloigna de la véritable intelligence des ouvrages & des sentimens d’Aristote.

Qu’elle réduisit toutes les connoissances sous un aspect barbare & dégoûtant.

Que la protection des grands, les dignités ecclésiastiques & séculieres, les titres honorifiques, les places les plus importantes, la considération, les dignités, la fortune, accordées à de misérables disputeurs, acheverent de dégoûter les bons esprits des connoissances plus solides.

Que leur logique n’est qu’une sophisticaillerie puérile.

Leur physique un tissu d’impertinences.

Leur métaphysique un galimathias inintelligible.

Leur théologie naturelle ou révélée ; leur morale,

leur jurisprudence, leur politique, un fatras d’idées bonnes & mauvaises.

En un mot, que cette philosophie a été une des plus grandes plaies de l’esprit humain.

Qui croiroit qu’aujourd’hui même on n’en est pas encore bien guéri ? Qu’est-ce que la théologie qu’on dicte sur les bancs ? Qu’est-ce que la philosophie qu’on apprend dans les colleges ? La morale, cette partie à laquelle tous les philosophes anciens se sont principalement adonnés, y est absolument oubliée. Demandez à un jeune homme qui a fait son cours, qu’est-ce que la matiere subtile ? Il vous répondra, mais ne lui demandez pas qu’est-ce que la vertu ? il n’en sait rien.

Scholastique, s. m. (Hist. anc. & mod.) titre de dignité qui a été en usage dans divers tems pour diverses personnes, & dans un sens différent.

Des le siecle d’Auguste on donnoit ce nom aux rhéteurs qui s’exerçoient dans leurs écoles à faire des déclamations sur toutes sortes de sujets, afin d’enseigner à leurs disciples l’art de parler ; & sous Néton on l’appliqua à ceux qui étudioient le droit, & se disposoient à la plaidoyerie. De-là il passa aux avocats qui plaidoient dans le barreau. Socrate & Eusebe, qui étoient avocats à Constantinople, ont eu ce titre, aussi-bien que le jurisconsulte Harmenopule & plusieurs autres ; ce qui montre qu’il étoit alors affecté aux personnes qui se distinguoient dans la science des lois.

Depuis, quand Charlemagne eut conçu le dessein de faire refleurir les études ecclésiastiques, on nomma scholastiques les premiers maîtres des écoles où l’on enseignoit les lettres aux clercs. Quelques-uns cependant ont prétendu que par ce terme on n’entendoit que celui qui étoit chargé de leur montrer les langues, les humanités & tout ce qu’on comprend sous le nom de Belles-lettres ; mais cette occupation n’étoit pas la seule du scholastique. Il devoit encore former les sujets aux hautes sciences, telles que la Philosophie & la Théologie, ou du-moins ces deux fonctions auparavant séparées, furent réunies dans la même personne. Celui qu’on appelloit scholastique, se nomma depuis en certains lieux écolâtre & théologal, titres qui subsistent encore aujourd’hui dans la plûpart des cathédrales & autres chapitres de chanoines, quoiqu’il y ait long-tems qu’ils ne remplissent plus les fonctions des anciens scholastiques, surtout depuis que les universités se sont formées, & qu’on y a fait des leçons réglées en tout genre. On peut dire que depuis le neuvieme siecle jusqu’au quatorzieme, les auteurs qui ont pris le titre de scholastique, ne l’ont porté que comme une marque de la fonction d’enseigner qu’ils avoient dans les diverses églises auxquelles ils étoient attachés.

L’auteur du supplément de Morery a fait une remarque fort juste. C’est que le scholastique étoit le chef de l’école, appellé en quelques lieux où il y a université, le chancelier de l’université ; mais cette remarque ne détruit point ce que nous avons avancé ci-dessus, qu’on a donné le nom d’écolâtre ou de théologal en certains lieux à ceux qu’on appelloit auparavant scholastique ; car il est certain qu’il n’y avoit pas des universités partout où il y avoit des églises cathédrales, & que dans presque toutes les églises cathédrales il y avoit des écoles & un chef d’études qu’on nommoit scholastique, auquel a succédé le théologal ou l’écolâtre. De ce que le théologal n’est plus aujourd’hui ce qu’étoit le scholastique, il ne s’ensuit pas que le scholastique n’ait pas eu autrefois les mêmes fonctions dans les églises cathédrales ; & sous le nom de clercs que le scholastique devoit instruire, sont compris les chanoines auxquels le théologal est obligé de faire des leçons de Théologie.

Genebrard assure que ce nom de scholastique étoit