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grenouille qui a été exposée à un froid vif, ne peuvent pas se dissoudre par la chaleur qu’on leur communique en approchant la grenouille du feu ; mais dès que le mouvement du cœur augmente, les grumeaux se divisent dans un instant. Les mouvemens de circulation & de fluidité ne sont pas les seuls qu’on a attribués au sang ; on lui a encore voulu donner un mouvement de fermentation : le sang, dit-on, a des principes acides & alkalis qui, heurtant continuellement les uns contre les autres, doivent nécessairement produire le mouvement que l’on nomme fermentation, comme cela arrive aux liqueurs qui ont ces principes ; mais comme ces principes sont mêlés de parties sulphureuses qui les séparent, il s’ensuit que la fermentation ne doit se faire que peu-à-peu ; au premier instant quelques parties sulphureuses sortiront de l’entre-deux de quelques acides & de quelques alkalis ; au second instant la même chose arrivera à d’autres parties ; ainsi la fermentation se fera successivement : on apporte encore plusieurs autres raisons pour prouver qu’il y a dans le sang un tel mouvement fermentatif. 1°. Dit-on, le chyle se change en sang ; or dans le sang les parties sont changées, & la proportion des principes qui le composent n’est pas la même que dans les parties du chyle ; tout cela, selon plusieurs, ne peut se faire sans fermentation. 2°. Le sang se change en diverses humeurs, & dans ce changement il y a un changement de substance qui ne peut se faire sans fermentation. 3°. Dans le foin & l’avoine, on ne trouve pas de sel urineux ; cependant les animaux qui se nourrissent de ces matieres donnent beaucoup de ce sel par l’analyse ; or ce sel ne sauroit se former sans la fermentation non-plus que le sel salé ; toutes ces raisons sont soutenues de l’analyse de toutes les liqueurs du corps humain, que l’on peut voir à leurs articles particuliers, Salive, Suc pancréatique, Semence, Urine, Urine &c.

Quelque chose que l’on dise, on ne sauroit établir de fermentation dans le sang ; les matieres qui le composent sont fort huileuses : or on sait par la Chimie que l’huile empêche les fermentations ; les acides du vinaigre qui ont dissout le plomb, & qui sont mêlés avec beaucoup d’huile, comme l’analyse nous l’apprend, ne bouillonnent point avec les alkalis : il y a plusieurs autres exemples que je ne rapporterai pas. 2°. Jamais il n’y a eu de fermentation sans repos ; or comment trouver ce repos dans le sang qui est porté partout le corps avec une grande rapidité.

3°. Mais, objectera-t-on, comment se peut former du sel salé du sang, s’il n’y a pas de fermentation ? A cela je réponds que les acides du vinaigre qui a dissout le plomb, formeront le sel salé avec des alkalis ; cependant on n’y remarque pas de fermentation : d’ailleurs la pression du cœur & des vaisseaux, & la chaleur du sang, feront entrer les acides dans les alkalis, & cela suffira pour former un sel salé, &c.

Toutes ces raisons étant supposées, on peut prouver qu’il n’est pas besoin de fermentation pour former & entretenir la chaleur dans le corps humain. 1°. Les parties solides du corps humain sont très propres à s’échauffer par les frottemens : on l’expérimente à chaque moment par l’action des mains ou de quelque autre partie. 2°. Dès que le cœur viendra à agir par ses mouvemens alternatifs, il poussera les parois artérielles, qui par leurs vibrations fréquentes s’échaufferont peu-à-peu. 3°. Les vibrations des arteres ayant fort échauffé les autres parties solides, il arrivera que cette chaleur se communiquera aux fluides, ainsi les solides seront la seule cause de la chaleur dans le corps humain. 4°. Les parties fluides qui sont dans les vaisseaux, sont très-propres à s’échauffer, puisqu’elles sont fort huileuses ; ainsi elles pourront s’échauffer beaucoup. 5°. Par ce que nous venons de dire, on se débarrasse facilement de

la difficulté qu’on fait d’ordinaire contre ce sentiment ; savoir comment il se peut faire que les fluides s’échauffent beaucoup dans notre corps sans fermentation, puisque l’eau qu’on bat ne s’échauffe jamais. On en trouve aisément la raison dans ce que nous venons de dire ; s’il n’y avoit que de l’eau dans le corps, la chaleur seroit suffoquée, mais il y a d’autres matieres : d’ailleurs si les parois des vaisseaux étoient bien fortes, & que l’eau n’empêchât pas l’esprit animal de couler dans les nerfs, la chaleur pourroit se faire sentir. On n’a qu’à imbiber d’eau des pieces de bois qui s’échauffent facilement, on verra que si on les frotte long-tems l’une contre l’autre, elles s’échaufferont : or cela ne peut se faire qu’il ne survienne quelque chaleur dans l’eau contenue dans les pores ; de plus, s’il y avoit un principe d’élasticité dans l’eau comme dans le sang, la chaleur surviendroit de même par les mouvemens de ce fluide, comme par le mouvement du sang. 6°. Il y a une expérience qui prouve que la cause primitive de la circulation & de la chaleur, est l’action des vaisseaux. Qu’on prenne une grenouille, qu’on l’ouvre & qu’on l’expose au froid, on verra que le sang qui est dans le mésentere se coagulera & se réduira en grumeaux. Si l’on présente ces vaisseaux au feu, les grumeaux subsistent toujours, l’action des parties ignées ne les résout point ; mais dès qu’on présente le cœur de la grenouille au feu, & qu’il commence à battre, dès lors tous les grumeaux disparoissent, & la circulation se revivifie, comme nous avons déja dit. De-là il s’ensuit évidemment que ce n’est pas la chaleur qui donne la fluidité au sang, que ce n’est que l’action des parties solides qui le divisent ; que sa chaleur est un effet du mouvement des vaisseaux, & qu’elle n’est pas même absolument nécessaire, puisqu’elle n’est qu’une suite du ressort des fibres. S’il arrivoit que ces fibres pussent avoir assez de force pour diviser le sang, mais qu’elles n’en eussent pas assez pour s’échauffer, le sang ne seroit nullement chaud, quoiqu’il fût fluide. 7°. On peut voir par tout cela que le sang qui sera trop agité par les parties solides, s’échauffera davantage, tendra à s’alkalifier, deviendra plus âcre. 8°. On peut expliquer pourquoi la chaleur devient plus forte quand la circulation trouve quelque obstacle : les arteres se trouvant plus dilatées, agissent avec plus de force ; ainsi la chaleur doit se faire sentir plus fortement. Voyez M. Senac, essais phys.

On peut concilier tout ce que nous venons de dire du sang, avec les différentes especes de tempéramens que les anciens ont établies. Si le sang abonde en globules rouges ou du premier genre, cet état sera celui que les anciens appelloient tempérament sanguin ; & on rendra raison par-là des symptomes particuliers à ce tempérament. Si les globules rouges sont en petite quantité dans le sang, & que celui-ci soit fluide & séreux, ce sera ce qu’ils appelloient tempérament phlegmatique. S’il arrive, par quelque cause que ce soit, que le sang se trouve surchargé de parties grossieres, épaisses, & difficiles à mettre en mouvement, parties que les anciens ont regardées comme les principaux ingrédiens de l’atrabile, ce sera pour lors cette constitution qu’ils ont appellée mélancolique, temperamentum melancolicum. Nos alimens en général sont d’une matiere acide, ou participent de cette qualité ; mais par les altérations qu’ils ont à souffrir dans notre corps, ils passent bientôt dans un état neutre : la structure du corps des animaux est telle, que la circulation par sa force en atténuant de plus en plus les parties du sang, corrige leur acidité, & les animalise pour ainsi dire ; elle les rend volatils & en état de passer par la voie de la transpiration : c’est cette même force qui les dispose enfin à devenir alkalins ; si rien ne s’oppose à cette transformation, l’haleine devient