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sortent participent de tous ses différens modes, & elles se trouvent imprégnées de parties de sel à proportion des différences de leurs positions.

La mer est trop éloignée pour s’imaginer qu’elle soit la cause de la salure de ces eaux ; l’eau filtrée dans les terres pendant un si long trajet, se dépouilleroit nécessairement de son sel, à-moins qu’on ne supposât qu’elles sont apportées de la mer ici par un canal fort droit & fort large, ce qui s’oppose à la raison & à l’expérience, par laquelle nous remarquons que l’eau de ces sources vient par différentes embouchures, & qu’elles croissent ou diminuent suivant que la saison est seche ou pluvieuse.

On remarque même que plus elles sont abondantes, plus elles sont salées ; ce qui provient de ce qu’ayant alors plus de volume, de poids & de vitesse, elles frappent avec plus de violence & émoussent avec plus de facilité les angles des sinuosités qu’elles parcourent, & en entraînent aussi les particules jusqu’où le niveau leur permet d’arriver.

Voilà ce qui nous restoit à ajouter à cet article, d’après lequel on aura, je crois, une connoissance suffisante de ce que c’est que les fontaines salantes ; & les usines qu’on appelle salines. Voyez encore les articles Sel, Sel gemine, Sel marin, & l’art. suiv.

Salines de Franche-Comté, il y en a deux dont l’abondance des sources, la qualité des eaux, & le produit en sel sont fort différens. La saline de Montmorrot inférieure en tout à celle de Salins, n’a sur elle que l’avantage de l’avoir précédée. Mais détruite par le feu, ou abandonnée pour quelque autre raison, elle a été oubliée pendant plusieurs siecles, & c’est seulement vers le milieu de celui-ci que l’on a pensé à la relever. Au contraire depuis plus de douze cens ans que la saline de Salins subsiste, elle a toujours été entretenue avec un soin particulier, & a paru mériter l’attention de tous les souverains à qui elle a appartenu. Elle est beaucoup plus considérable que l’autre, & c’est par elle que nous commencerons cet article.

Saline de Salins,[1] elle est divisée en deux parties que l’on distingue par grande & petite saline. Il y a une voûte soûterreine de 206 piés de longueur, 7 piés 5 pouces de haut, & 5 piés de largeur, qui donne communication de l’une à l’autre, ensorte qu’elles ne font ensemble qu’une seule & même maison. Elle est située au centre de Salins, dans une gorge fort étroite. Le rempart la sépare de la riviere de Furieuse, & elle est fermée par un mur du côté de la ville, à qui elle a donné la naissance & le nom. Car Salins a commencé par quelques habitations construites pour les ouvriers qui travailloient à la formation du sel.

Les eaux précieuses de cette saline en avoient fait un domaine d’un grand revenu, & ce fut un de ceux que S. Sigismond, roi de Bourgogne, donna au commencement du vj. siecle, pour doter le monastere d’Agaune. Ce monastere posséda dès-lors Salins en toute propriété jusqu’en 943, que Meinier, abbé d’A-

gaune, le donna en fief à Albéric, comte de Bourgogne & de Mâcon. Nous ne trouvons rien qui nous

apprenne si l’établissement de cette saline est de beaucoup antérieur au vj. siecle. Strabon assure qu’on faisoit grand cas à Rome des chairs salées dans le pays des Séquanois ; mais ce passage ne peut pas s’appliquer à la saline de Salins plutôt qu’à celle de Lons-le-Saunier, qui est sûrement plus ancienne, & à laquelle par cette raison il semble mieux convenir.

La grande saline occupe un terrein irrégulier qui a 143 toises dans sa plus grande longueur du septentrion au midi, & 50 toises dans sa plus grande largeur du levant au couchant. La petite saline placée au septentrion de la grande, & dans la même position, a 40 toises de longueur & 25 de largeur.

Cette derniere renferme un puits appellé puits à muire. Il est à 66 piés de profondeur, depuis la voûte supérieure jusqu’au fond du récipient qui reçoit les eaux salées, & il a 30 piés de largeur, de toutes faces, présentant la forme d’un quarré. L’on y descend par un escalier, & l’on trouve au fond deux belles sources salées[2] qui dans 24 heures produisent 160 muids, mesure de Paris. L’eau claire, transparente, & à 17 degrés, est conduite par un tuyau de bois, dans le récipient des eaux salées. Il est à 5 piés de distance construit en pierre, & contient 47 muids. A côté de ce récipient, il en est un autre de la contenance de 61 muids, dans lequel se rassemblent les eaux de 4 sources[3] une fois plus abondantes que les deux premieres ; mais qui étant seulement à 3 degrés, sont pour cela nommées petites eaux. On en éleve une partie pour des usages qui seront expliquées dans la suite.

En termes de saline, l’on entend par degrés la quantité de livres de sel renfermées dans cent livres d’eau ; c’est-à-dire que 100 liv. pesant d’eau des deux premieres sources qui sont à 17 degrés, rendront après l’évaporation, 17 liv. de sel ; & par la même raison, 100 liv. des quatre dernieres sources, ou petites eaux à 5 degrés, n’en rendront que 5 liv. La pinte de Paris des eaux à 17 degrés, contenant 48 pouces cubes, pese 35 onces  ; & celle des eaux à 5 degrés, pese 32 onces .

On connoît le degré des eaux, en réduisant à siccité, par le moyen du feu, une quantité d’eau d’un poids connu, & celui du sel formé donne le degré. Sur cette opération, on a établi une éprouvette qui démontre d’abord la quantité de sel contenu dans 100 liv. pesant d’eau. Cette éprouvette est un cylindre d’étain, d’argent, &c. que l’on introduit perpendiculairement dans un tube de même matiere rempli de l’eau qu’on veut éprouver. Au haut du cylindre sont gravées des lignes circulaires distantes l’une de l’autre, dans des proportions déterminées par l’épreuve du feu. Ce cylindre se soutenant plus ou moins dans l’eau, suivant qu’elle est plus ou moins salée, & par conséquent plus ou moins forte, en désigne les degrés, par le nombre des lignes qui s’apperçoivent au-dessus du niveau de l’eau. Il ne faut pas que l’éprouvette soit en bois, parce que le sel s’y imbibant, donneroit ensuite à l’eau un degré de salure qu’elle n’auroit pas. D’ailleurs, le bois se gonflant ou se resserrant, suivant la sécheresse ou l’humidité de l’air, mettroit toujours un obstacle à la justesse de l’opé-

  1. La ferme générale soustraitant depuis long-tems la saline de Salins, il y a deux régies dans cette saline : celle de l’entrepreneur, dont nous indiquerons les employés dans la suite de ces notes, & celle de la ferme générale, dont nous allons d’abord donner une idée, parce qu’elle n’a point de rapport à toutes les manœuvres que nous détaillerons, & qui regardent l’entrepreneur.

    La régie de la ferme générale consiste à veiller à l’exécution du traité fait avec l’entrepreneur, à recevoir de lui les sels formés ; en faire faire les livraisons, percevoir le prix des sels d’ordinaire & Rozieres ; des Salaigres, Bez & Poussets, & de payer les dépenses assignées sur le produit.

    Ses employés sont un receveur général-inspecteur, un contrôleur des salines, un contrôleur à l’emplissage des bosses, un contrôleur au pesage, un contrôleur-géometre, deux contrôleurs aux passavants, huit guettes, faisant les fonctions de portier, & chargés de fouiller les ouvriers & ouvrieres qui sortent des salines ; deux gardes attachés à la saline.

  2. Il y en a même trois : 1o. la bonne source a dix-sept degrés : 2o. le surcroit a dix-huit degrés deux tiers : 3o. le vieux puisoir ; mais cette derniere source n’a que deux tiers de degrés. Aussi ne la réunit-on avec les deux premieres que lorsque l’on fait l’épreuve juridique des eaux. C’est un ancien usage qui n’en est pas plus raisonnable pour cela. Dès que l’épreuve est finie, on renvoie le vieux puisoir dans le puits des petites eaux.
  3. La premiere est le vieux puisoir dont on a parlé dans la note précédente : la seconde s’appelle le durillon ; les autres sont sans nom, & aussi foibles en salure.