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Avant que de mettre une poële en feu, les maitres, socqueurs & salineurs l’établissent sur son fourneau, & sont dans l’usage de lui donner deux pouces à deux pouces & demi de pente sur le devant, parce que le feu de devant est toujours plus violent ; ensuite ils ferment les joints des platines avec des étoupes, & enduisent le fond de chaux détrempée : ce travail s’appelle clistrer une poële.

La poële clistrée, on passe les crocs dans les happes, on les place sur les bourbons, on établit entre les bourbons & la poële des éperlans ou rouleaux de bois d’un pouce & demi de diametre ou environ, pour contenir la poële & arrêter autant que faire se peut les efforts du feu : après quoi on ouvre les conduits des poëlons, & l’on charge la poële d’un pouce d’eau, pour empêcher que le feu d’environ 300 fagots qui ont été jettés dessous ne brûle les étoupes qui bouchent les joints des platines.

Ce premier travail s’appelle échauffée, & se commence entre onze heures & midi ; ensuite les salineurs jettent du bois de corde dans le fourneau, & chargent la poële d’eau jusqu’à 15 à 16 pouces de hauteur ; on diminue ensuite de moitié ou environ le volume d’eau que donnent les échenaux. Le salinage dure environ cinq heures, & consume à-peu-près huit cordes de bois ; pendant ce tems la poële bout toujours à grand feu, & est continuellement abreuvée de l’eau des poëlons. Quoique les poëlons fournissent sans cesse, cependant la poële se trouve réduite après le tems du salinage à 13 ou 14 pouces d’eau, parce que l’évaporation causée par l’ardeur d’un feu extraordinairement violent, est plus grande que le remplacement continuel qui se fait par le secours des poëlons.

Il paroît dans ce tems une crême luisante sur la superficie de l’eau, à-peu-près comme il arrive sur un bassin de chaux fraîchement éteinte : alors on ferme entierement les robinets ; & les maîtres, les salineurs & les sujets remettent la poële aux socqueurs. Ce passage des uns aux autres s’appelle rendre la mure aux socqueurs.

Les socqueurs à qui les brouetteurs ont fait provision de quatre cordes de gros bois, les jettent dans le fourneau à quatre reprises différentes, dans l’intervalle d’environ trois heures ; ils nomment ce travail la premiere, la seconde, la troisieme & la quatrieme chaude ; ces quatre chaudes donnent ordinairement une diminution de quatre pouces d’eau dans la poële.

Sur les dix à onze heures du soir les socqueurs remuent d’heure en heure les braises du fourneau jusqu’à deux heures du matin, & plus souvent, lorsque les braises s’amortissent trop promptement. On donne à ce travail le nom de raillées, parce que l’instrument que l’on emploie s’appelle raille. le raille n’est autre chose qu’une longue perche de toute la longueur du fourneau, au bout de laquelle est un morceau de planche.

La chaleur de ces braises donne à la mure presque le dernier degré de cuisson ; & sur les deux heures, lorsque les braises sont amorties, les socqueurs jettent dans le fourneau en deux ou trois fois seize chers de fascines de 20 fagots chacun : après quoi ils remuent de nouveau ces braises jusqu’à quatre heures du matin, que se fait la brisée.

Quelquefois par des accidens, soit de vents contraires à cette opération, soit par la mauvaise qualité des bois, ou parce qu’ils ont été mal administrés dans l’intervalle du salinage ou du soccage, les ouvriers sont forcés d’ajouter quatre à cinq cens fagots à la consommation ordinaire, pour hâter cette cuisson, sans quoi elle anticiperoit sur le tour suivant. C’est ce que les ouvriers appellent entr’eux courir à la paille.

Lorsque le premier sel est formé, les salineurs &

les sujets le tirent de la poële avec des pelles courbes, & le mettent égoutter sur deux claies appellées chevres, qui sont posées au milieu des deux côtés de la poële ; & à mesure que le monceau grossit, on l’entoure avec des sangles pour le soutenir & l’élever à la hauteur qu’exige la quantité du sel formé.

Après que le premier sel est tiré, les socqueurs jettent dans le fourneau environ 400 fascines à trois tems, ce qu’ils appellent donner trois chaudes ; & cette opération conduit au dernier degré de cuisson, ce qui reste dans la poële. Cette eau porte ordinairement 38 à 40 degrés de salure.

La formation de ce dernier sel ne finit que sur les dix heures du matin : on le met comme le premier sur les claies ou chevres, où ils restent l’un & l’autre pour se sécher & s’égoutter pendant le tems du tour suivant.

Il y a toujours un des 14 ouvriers de la brigade qui veille sur la poële à tour de rôle pendant la nuit ; ses fonctions consistent à avoir l’œil aux accidens imprévus, & à faire venir aux heures marquées les ouvriers de rechange au poste & au travail qui leur est assigné.

Nous venons de parcourir les différentes manœuvres qui s’employent à la fabrication du sel ; supposons maintenant qu’une abattue soit finie, pour voir ce qui se passe jusqu’à ce qu’une autre recommence.

Nous avons dit que l’on donnoit six jours d’intervalle entre chaque abattue ; pendant ce tems les maîtres & les socqueurs ôtent les cendres du fourneau, & les portent au cendrier dans des civieres appellées banasses : ces cendres appartiennent au fermier de l’ambauchure (voyez plus bas ce que c’est) ; il en retire environ 800 livres par an. Ensuite on laboure l’âtre du fourneau pour le remettre de niveau, en applanissant les bosses qui se sont faites par les gouttieres de la poële, & les crasses qui en proviennent, ainsi que l’écume que la poële a rendue pendant le tems de la formation, sont enlevées par les sujets & les brouetteurs, & répandues dans l’intérieur de la saline, tant pour élever les endroits qui sont encore inondés par les eaux de la seille, que pour empêcher que les habitans ne se servent des crasses & écumes, dont ils tireroient une assez grande quantité de sel en les faisant recuire.

Pendant le tems de la cuisson, l’écume se tire avec six cuilleres de fer appellées augelots, placées séparément entre les bourbons sur le derriere de la poële. On a fait l’épreuve d’en mettre au-devant ; mais ils ne se chargeoient que de sel, parce que le feu étant plus violent en cet endroit, & l’eau plus agitée par les bouillons, l’écume étoit chassée à l’arriere, comme il arrive à un pot au feu. L’augelot est à demeure appuyé sur le fond de la poële, & le mouvement de l’eau y porte les crasses, qui ensuite n’en sortent plus par l’effet de la composition de cet instrument. C’est une platine de fer dont les bords sont repliés de quatre pouces de haut ; le fond en est plat, & peut avoir 18 pouces de long sur 10 de large. Ce qui est une fois jetté dans ce réduit, ne recevant plus d’agitation par les bouillons, y reste jusqu’à ce qu’on l’ôte ; il a à cet effet une queue, ou plutôt une main de fer d’environ deux piés de long. On le retire ordinairement, quand les dernieres chaudes du soccage sont données.

Les six jours d’intervalle d’une abattue à l’autre sont employés non-seulement aux differentes opérations dont nous venons de parler, mais ils sont encore nécessaires à laisser reposer la poële, à la visiter, à y réparer les crévasses & le dommage que le feu peut y avoit causés, à l’écailler, & à la préparer à une autre abattue.

L’abattue finie, les maîtres, les salineurs aidés des socqueurs & des sujets, étançonnent la poële par-des-