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nomme sel commun, est le même sel que le verdâtre, mais il est plus chargé de vase.

Il faut toujours tâcher d’établir ses marais en un lieu autant uni que faire se pourra, & veiller à ce que les levées que l’on fera du côté de la mer empêchent l’eau de passer dessus : il est très-important de faire cette observation avant que de construire les marais, sur-tout ceux qui sont au bord de la mer, les autres n’en ont pas besoin. Lorsque l’on a trouvé le terrein, comme on le desire, il faut observer de situer autant qu’il est possible, les marais, de maniere à recevoir les vents du nord-est & un peu du nord-ouest. Car les vents les plus utiles sont depuis le nord-ouest, passant par le nord jusqu’à l’est-nord : les autres vents sont trop mous pour faire saler ; il ne faut pas ignorer qu’un vent fort & un air chaud font saler avec promptitude.

Pour construire un marais, l’on choisit la saison de l’hiver ; alors les laboureurs sont moins occupés, leurs terres sont ensemencées ; mais on peut les construire en tout tems, lorsqu’on a des ouvriers. Il est à propos d’avoir un entrepreneur dont le prix se regle par livre de marais ; c’est l’entrepreneur qui paye ses ouvriers, à moins qu’un particuliers ne fît travailler à la journée. Pour la conduite du marais il faut un homme entendu à la planimétrie, & qui ait la connoissance du flux & reflux de la mer, afin de faire creuser le jas, & de poser la vareigne ; ces deux points importent beaucoup à ce qu’un marais ne puisse manquer d’eau en aucun tems ; c’est en quoi la plus grande partie des marais de la saline de Marenne péche, faute d’expérience des constructeurs. Il seroit à souhaiter que tous les maîtres de marais fussent au fait de l’arpentage, & c’est ce qui n’est pas ; ils se contentent pour la plûpart de mesurer le tour d’une terre, & d’en prendre le quart, qu’ils multiplient par le même nombre pour avoir le quarré : cette méthode peut passer pour les terreins quarrés, mais elle devient insuffisante quand la terre a plusieurs angles rentrans. On sent combien il est important que celui qui a la conduite de l’ouvrage, connoisse le local du marais par pratique.

Chaque marais devroit avoir son jas à lui seul pour plus grande commodité ; on peut cependant les accoupler, comme il paroît sur notre plan, & sur celui de la prise du marais de Chatellars ; le marais en seroit toujours mieux, les sauniers seroient moins paresseux à fermer la vareigne ou écluse, & ne se remettroient pas de ce soin les uns aux autres, ce qui fait que bien souvent le marais manque d’eau. Il faut que la sole du jas ne soit élevée que de six pouces au plus, au-dessus du mort de l’eau ; par ce moyen, lors même que l’eau monte le moins, le marais ne peut en manquer ; il ne faut prendre que deux piés d’eau au plus, quoiqu’on en puisse prendre jusqu’à six dans la plus forte maline, ou au plus gros de l’eau, voilà sur quoi on doit se régler. Pour la vareigne, elle auroit huit piés de haut sur deux de large, qu’il ne faudroit pas de portillons, quoique les sauniers en demandent toujours ; ce portillon est sujet à bien des inconvéniens, le saunier se fiant sur ce que le portillon doit se refermer de lui-même quand la mer se retire, ne veille pas à son écluse, cependant le portillon s’engage, le jas se vuide & devient hors d’état de saler, si c’est sur la fin de la maline ; lorsque la maline d’après vient, le saunier prend de l’eau de tous les côtés, cette eau est froide, elle échaude le marais qui par conséquent devient bien souvent hors d’état de saler de plus d’un mois & par delà ; s’il avoit la précaution de mettre l’eau peu-à-peu, il ne tomberoit jamais dans cet inconvénient, le marais ne se refroidiroit pas.

Ensuite on fait les conches à même niveau, & on place le gourmas entre les conches & le jas, com-

me il est figuré AA, & au plan à la lettre P. Le

gourmas est une piece de bois percée d’un bout a l’autre, à laquelle on met un tampon du côté des conches ; on l’ôte pour faire courir l’eau du jas aux conches avec vivacité ; mais quand il y a 5 à 6 pouces d’eau sur les conches, on le remet pour se servir ensuite des trous qui sont dessus le gourmas au nombre de 4 à 5, d’un pouce de diametre ; le gourmas est sous l’eau au niveau de la solle, du jas, & des conches ; on le referme avec des chevilles ; quand le saunier prend de l’eau des conches pour entretenir les conchées & le maure, il ouvre une ou deux chevilles, & quelquefois les quatre, pour que l’eau vienne moins vite que par sa voie ordinaire, & par conséquent elle refroidit moins l’eau des conches.

Le maure est un petit canal d’un pié environ de largeur, marqué par la lettre S ; il fait le tour du marais un pouce plus bas que les conches ; lorsqu’il est au bout, il entre dans la table marquée D, & passe par divers pertuis marqués dd ; le pertuis est un morceau de planche percé de plusieurs trous, qui sont bouchés avec des chevilles, pour ménager l’eau nécessaire dans les tables qui ont au plus 2 pouces à 2 pouces d’eau ; de la table il va au muant marqué F, où il conserve la même hauteur d’eau ; du muant il entre par l’endroit marqué O dans le brassour désigné par les lignes ponctuées.

On fait au bout du brassour, avec la cheville V, qui a un pié de long sur huit lignes de diametre, des petits trous entre deux terres marqués e, e, e, e, au plan ; c’est par ces trous que l’on fait entrer un pouce d’eau au plus dans les aires pour faire le sel ; l’aire est de deux pouces plus bas que le brassour & le muant ; quand on voit qu’il y a assez d’eau dans les aires pour faire le sel, on referme les trous, en frottant le dedans du brassour avec une pelle marquée T ; on oblige les terres de se rapprocher & de boucher la superficie du trou, pour qu’il n’entre plus d’eau, & le trou reste fait.

Un bon marais doit avoir pour le muant 32 à 33 piés de largeur ; la longueur n’est pas fixe ; les tables avec le maure 30 piés. On met quelquefois une velle marquée H aux deux tiers de largeur du côté du marais, & un tiers du côté des bosses ou morts. Les aires ont 18 à 19 piés de longueur, sur autant de largeur ; elles sont inégales aux croisures de la vie marquée G, qui a 4 ou 5 piés de longueur. Les velles des deux côtés des aires sont de 18 pouces, & en-dedans de 17 piés. Ce sont les beaux marais qui sont faits sur ces proportions. Les aires des croisures qui font les chemins de traverse qui servent à porter le sel sur la bosse, sont plus petites, attendu que leur largeur est prise sur les aires les plus proches de ces mêmes croisures. Cet inconvénient se pourroit corriger si on vouloit y prêter attention : il y a de largeur 180 piés. Celui des marais de Chatelars a dans son milieu 126 piés de large, & au bout 162 ; c’est pourquoi il ne peut avoir que trois rangs d’aires, encore est-il gêné pour ses vivres. Sa longueur est de 195 toises. Quand on fait des marais, la longueur n’est pas déterminée, on se conforme au terrein ; observant cependant que le plus long est le meilleur.

Dans les anciens marais les jas n’ont pas de proportion, mais la grandeur de celui-ci est proportionnée au nombre de livres de marais : il a 19 toises. Les terres d’un jas de cette grandeur sont commodes à faire à cause du charroi ; l’étendue n’en étant pas considérable, rend le transport des terres facile. Les bosses entre jas & marais ont 8 toises ; elles seroient meilleures à 12 & même à 16, comme celles d’entre les deux jas, qui ont 15 toises & demie. La longueur s’en fait aussi à-proportion du marais. Les conches qui répondent aux jas par les gourmas marqués P sur une partie du marais mise en grand pour que l’on voie