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qu’un verbe est actif, transitif, ou relatif, quand il l’aura montré employé à la voix passive, comme calesur, egetur, curritur, peccatur, ou bien quand il en trouvera le participe en dus, da, dum, ou seulement le gérondif en dum, usité dans quelques auteurs.

Pour ce qui est de la premiere espece de preuve, il faut voir si le verbe est employé à la voix passive, avec un sujet au nominatif, ou sans sujet.

Si le verbe est employé sans sujet, la forme est passive si l’on veut, mais le sens est actif & non passif ; on n’indique aucun sujet passif, & il n’y a aucune passion sans sujet ; on ne veut alors exprimer que l’existence de l’action ou de l’état sans désignation de cause ni d’objet : caletur ne veut point dire calor caletur, mais calere est ; & de même egetur, c’est egere est ; curritur, c’est currere est ; & peccatur, peccare est : expressions en effet tellement synonymes, du moins de la maniere que tous les synonymes le sont, qu’on les trouve employées assez indistinctement, & que nous les rendons en françois de la même maniere par notre on. Voyez Passif & Impersonnel.

Si le verbe est employé à la voix passive avec un sujet au nominatif, je conviens qu’il suppose alors une voix active qui a le sens relatif, & qui auroit pour complément objectif ce qui sert de sujet à la voix passive ; cependant Périzonius ne veut pas même en convenir dans ce cas ; il prétend (ibid. not. 10.) que de pareilles locutions ne sont dûes qu’à la catachrese, ou plutôt à l’erreur où peuvent être tombés des écrivains qui n’ont pas bien compris le sens de l’usage primitif. L’observation de ce savant critique est en soi excellente ; mais quelque défaut qu’il y ait à l’origine des mots ou des phrases, dès que l’usage les autorise, il les légitime, & il faut oublier la honte de leur naissance, ou du-moins le souvenir qu’on en conserve ne doit ni ne peut tirer à conséquence. Cependant il peut y avoir tel auteur, dont l’autorité ne constateroit pas le bon usage, & les meilleurs même ne sont pas irrépréhensibles ; on trouve des défauts contre l’usage dans Boileau, dans Racine, dans Labruyere, &c.

Ce que je viens de dire de la voix passive, doit s’entendre aussi du participe en dus, da, dum, & même de celui en us, a, um, lorsqu’ils sont en concordance avec un sujet. Mais si on ne cite que le gérondif en dum, ou le supin en um, Sanctius ne peut rien prouver ; car ces mots sont en effet à la voix active, qui peut être indifféremment absolue ou relative (voyez Gérondif, Supin, Participe, Impersonnel.) Æternas pœnas in morte timendum est, Lucr. castra sine vulnere introïtum est, Sall. & tous ces exemples sont analogues à multos videre est, où il n’y a certainement point de tour passif.

Ces deux observations suffisent déjà pour faire rentrer dans la classe des verbes neutres ou absolus, un grand nombre de ceux dont Sanctius fait l’énumération. Il ne sera pas difficile d’en faire disparoître encore plusieurs, si l’on fait attention que dans beaucoup des exemples cités, où le verbe est accompagné d’un accusatif, cet accusatif n’est point le régime du verbe même, mais celui d’une préposition sous-entendue : par exemple, senem adulterum latrent suburanæ canes, c’est-à-dire in senem adulterum, après un vieux paillard. Histrio casum meum toties collacrymavit, Cic. Et Sanctius remarque sur cet exemple, sed hic potest deesse præpositio, & cognatus casus lacrymas. Sur quoi voici la note de Périzonius (28) : si l’accusatif casum meum peut être régi par une préposition sous-entendue, pourquoi ne diroit-on pas la même chose dans mille autres occurrences ? Pour ce qui est de l’accusatif lacrymas, il est entierement étranger à cette construction : si collacrymavit gouverne un accusatif, c’est casum meum ; s’il ne gouverne pas casum meum, il n’en exige aucun, c’est un

verbe neutre. Ce cas, appellé cognatus, ou cognatæ significationis, ne feroit, comme je l’ai dit au mot Impersonnel, qu’introduire dans l’analyse une périssologie inutile, inexplicable, & insupportable. Pour justifier ce pléonasme, on cite l’usage des Hébreux, mais on ne prend pas garde que cette addition étoit chez eux un tour autorisé pour énoncer le sens ampliatif : s’ils ont dit venire veniet, ou selon l’ancienne version, veniens veniet, c’étoit pour marquer la célérité de l’exécution, comme s’ils avoient dit, brevis veniet, ou celeriter veniet, & ils ajoutent, comme pour rendre plus sensible cette idée de célérité, & non tardabit. Habac. 2.

Ajoutons à tout cela les changemens que les variantes peuvent autoriser dans plusieurs des textes cités par le grammairien espagnol ; & peut-être que des trois cens dix-huit verbes qu’il prétend avoir été pris mal-à-propos pour neutres, on aura bien de la peine d’en conserver cinquante ou soixante qui puissent justifier l’observation de Sanctius.

4°. Il y a aussi des adverbes relatifs, puisqu’on en trouve quelques-uns qui étant seuls n’ont qu’un sens suspendu, & qui exigent nécessairement l’addition d’un complément pour la plénitude du sens. Convenienter naturæ (conformément à la nature) ; relativement à mes vues ; indépendamment des circonstances, &c.

5°. Enfin toutes les prépositions sont essentiellement relatives, ainsi qu’on peut le voir au mot Préposition.

Je ne prétends poser ici que les notions fondamentales concernant les mots relatifs ; mais je dois avertir que l’on peut trouver de bonnes observations sur cette matiere dans la Logique de Leclerc, part. I. ch. iv. & dans son traité de la Critique, part. II. ch. iv. sect. 2. mais ces ouvrages doivent être lus avec attention & avec quelques précautions.

II. Les Grammairiens distinguent encore dans les mots le sens absolu & le sens relatif. Cette distinction ne peut tomber que sur quelques-uns des mots dont on vient de parler, parce qu’ils sont quelquefois employés sans complément, & par conséquent le sens en est envisagé indépendamment de toute application à quelque terme conséquent que ce puisse être : il n’est pas réellement absolu, puisqu’un mot essentiellement relatif ne peut cesser de l’être ; mais il paroit absolu parce qu’il y a une abstraction actuelle du terme conséquent. Que je dise, par exemple, Aimez Dieu par-dessus toutes choses, & votre prochain comme vous-mêmes, voilà les deux grands commandemens de la loi ; le verbe aimez essentiellement relatif, parce que l’on ne peut aimer sans aimer un objet déterminé, est employé ici dans le sens relatif, puisque le sens en est completté par l’expression de l’objet qui est le terme conséquent du rapport renfermé dans le sens de ce verbe ; mais si je dis, Aimez, & faites après cela tout ce qu’il vous plaît, le verbe aimez est ici dans un sens absolu, parce que l’on fait abstraction de tout terme conséquent, de tout objet déterminé auquel l’amour puisse se rapporter.

C’est la même chose de toutes les autres sortes de mots relatifs, noms, adjectifs, adverbes, prépositions. Je suis pere, & je connois à ce titre toute l’étendue de l’amour que je dois à mon pere ; le premier pere est dans un sens absolu ; le second a un sens relatif ; car mon pere, c’est le pere de moi. Une seule chose est nécessaire ; sens absolu : la patience est nécessaire au sage : sens relatif. Un mot employé {sc|relativement}} ; sens absolu : un mot choisi relativement à quelques vues secretes ; sens relatif. Vous marcherez devant moi ; sens relatif : vous marcherez devant, & moi derriere ; sens absolu.

Le mot relatif étant employé ici avec la même signification que dans l’article précédent, & par rap-