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petit faisceau de filets blancs, qu’on peut regarder comme les vésicules séminales. Ce petit faisceau remonte le long du canal déférent & les reins, & a environ six à sept lignes de long.

On a trouvé beaucoup de variété dans les testicules de cet animal. Le plus souvent il n’y en a que deux, qui sont d’un blanc jaunâtre, de la forme d’une petite feve, assez longs, & ayant chacun une espece de petite glande plus blanche, & presque transparente, appliquée sur la partie supérieure ; ensorte qu’elle semble ne faire qu’un corps avec le testicule, & qu’elle n’en est distinguée que par la couleur. Quelquefois les testicules sont en forme de poire assez irréguliere, & dont la pointe est tournée vers le bas. Assez souvent ils sont joints l’un à l’autre par une espece de petit corps glanduleux. Quelquefois on trouve distinctement quatre testicules, dont les deux inférieurs sont plus petits que les supérieurs. On remarque cette variété dans les différens âges & les différentes especes de salamandres mâles.

La partie supérieure de chaque testicule est attachée au sac pulmonaire vers le milieu de sa longueur par un petit vaisseau ligamenteux ; ou plûtôt ce petit vaisseau ne fait que passer dans la membrane qui attache le sac pulmonaire, & va se perdre dans la même membrane proche du canal déférent.

Le canal déférent se trouve vers l’anus ; dans cet endroit est un corps cartilagineux, long d’environ deux lignes, en forme de mitre, qui selon toutes les apparences, tient lieu de verge à cet animal ; car il est vraissemblable que la salamandre s’accouple réellement, quoiqu’aucun physicien n’ait peut-être pas encore vû cet accouplement ; mais ce qui doit persuader qu’il se fait, c’est que les salamandres sont vivipares.

Wurfbainius rapporte qu’il en a vû une faire trente-quatre petits tous vivans ; & M. Maupertuis assure avoir vû une fois dans une salamandre quarante-deux petits, & dans une autre cinquante-quatre, presque tous vivans, aussi bien formés & plus agiles que les grandes salamandres. Celui qui feroit une distinction & qui diroit que les salamandres terrestres sont vivipares, & par conséquent se doivent accoupler ; mais que les aquatiques sont ovipares, & frayent seulement à la maniere des poissons, on pourroit lui répondre que les organes paroissant les mêmes dans les unes que dans les autres, il y a apparence que la génération se doit faire de la même maniere.

Des parties de la génération de la salamandre femelle. On trouve dans les parties intérieures de la femelle, des différences très-sensibles, & les organes très distingués ; en ouvrant la capacité du ventre, on découvre les ovaires & les sacs graisseux. Lorsqu’on a enlevé les sacs graisseux, l’on voit que les ovaires sont composés de plusieurs lobes, renfermés par une même membrane, qui les separe entr’eux, & les attache aux sacs graisseux, aux trompes, & aux sacs pulmonaires. Cette membrane est toute parsemée de vaisseaux sanguins, qui se partagent en de très-petites branches, sur la surface des ovaires. Les œufs ne sont point flottans dans la capacité de l’ovaire, mais ils y adherent intérieurement, & vraissemblablement passent de-là dans la trompe.

Après avoir enlevé les ovaires, on découvre les trompes ; elles prennent depuis le col, & faisant plusieurs plis & replis, elles se terminent à l’anus. M. Duverney a fait voir qu’elles avoient à leur extrémité supérieure, une espece d’ouverture ou de pavillon, par lequel entrent les œufs. Lorsqu’ils sont entrés dans les trompes, ils acquierent beaucoup plus de grosseur qu’ils n’en avoient dans l’ovaire ; & lorsqu’ils sont arrivés à l’extrémité inférieure, ils sortent par le canal commun.

Les trompes sont remplies dans toute leur lon-

gueur d’une liqueur épaisse, trouble, jaunâtre, en

assez grande quantité, & qui ne sort point par le canal commun. Est-ce cette matiere visqueuse qui entoure les œufs, & qui sert de premier aliment au petit germe qui doit éclore ? Les trompes se terminent avec le rectum, & le col de la vessie, dans un gros muscle, auquel est attaché l’extrémité des reins qui adherent aux trompes, dans presque toute leur longueur ; de sorte qu’en enlevant ce muscle, on enleve en même tems les reins, les trompes, l’intestin & la vessie.

Il n’y a point de matrice dans cet animal ; ce sont les trompes qui en servent, puisqu’on y trouve quelquefois des petits tous formés.

La salamandre n’est ni dangereuse, ni venimeuse. Parlons maintenant des propriétés attribuées faussement à la salamandre, & de celles qu’elle possede réellement.

Les anciens, & plusieurs naturalistes modernes, ont regardé la salamandre comme un animal des plus dangereux ; si on les en croyoit, des familles entieres sont mortes, pour avoir bû de l’eau d’un puits où une salamandre étoit tombée. Non-seulement, ajoutent-ils, sa morsure est mortelle, comme celle des viperes, mais elle est même plus venimeuse, parce que sa chair, reduite en poudre, est un poison, au lieu que celle de la vipere est un remede.

Tous ces préjugés ont été généralement reçus, jusqu’à ce que des physiciens de nos jours les aient détruits par des expériences expresses. Ils ont fait mordre divers animaux dans les parties les plus délicates, par des salamandres choisies ; ils leur ont fait avaler des salamandres entieres, coupées par morceaux, hachées, pulvérisées ; ils leur ont donné à boire de l’eau dans laquelle on avoit jetté des salamandres. Ils les ont nourris des mets trempés dans le prétendu venin de ce reptile. Ils ont injecté de son poison dans des plaies faites à dessein ; & néanmoins, aucun accident n’est survenu de tous ces divers essais. En un mot, non-seulement la salamandre n’est plus un animal dangereux, de la morsure duquel on ne peut guerir, c’est au-contraire l’animal du monde le moins nuisible, le plus timide, le plus patient, le plus sobre, & le plus incapable de mordre. Ses dents sont petites & serrées, égales, plus propres à couper qu’à mordre, si la salamandre en avoit la force, & elle ne l’a point.

Elle ne vit point dans le feu. Tandis que cette pauvre bête inspiroit jadis aux uns de l’horreur, par le venin redoutable qu’on lui supposoit, elle excitoit dans l’esprit d’autres personnes une espece d’admiration, par la propriété singuliere dont on la croyoit douée, de vivre dans le feu. Voilà l’origine de deux célébres devises que tout le monde connoît ; celle d’une salamandre dans le feu qu’avoit pris François I. avec ces mots, nutrio & extinguo, j’y vis, & je l’éteins ; & celle que l’on a faite pour une dame insensible à l’amour, avec ce mot espagnol, mas yelo que fugeo, froide même au milieu des flammes.

On regardoit la salamandre comme l’amiante des animaux ; & toute fabuleuse qu’en paroisse l’histoire, elle s’étoit si bien accréditée parmi les modernes, sur des mauvaises expériences, qu’on a été obligé de les répeter en divers lieux, pour en détromper le public. En France, par exemple, M. de Maupertuis n’a pas dédaigné de vérifier ce conte ; quelque honteux, dit-il lui-même, qu’il soit au physicien, de faire une expérience ridicule, c’est pourtant à ce prix qu’il doit acheter le droit de détruire certaines opinions, consacrées par des siecles : M. de Maupertuis a donc jetté plusieurs salamandres au feu : la plûpart y périrent sur le champ ; quelques-unes eurent la force d’en sortir à demi-brûlées, mais elles ne purent résister à une seconde épreuve.