Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 14.djvu/513

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

empêcher les tristes effets dans un grand nombre de cas ; mais lorsqu’on la réduit dans ses vraies bornes, on se trouve bien moins embarrassé par cette combinaison de causes & d’effets, d’indications & de contre-indications, qu’il est bien difficile d’apprétier.

La modération dans l’usage des remedes, la crainte de tomber dans un abus trop commun, la confiance dans les efforts de la nature, feront que, indépendament des contre-indications, si le mal est leger, si on peut raisonnablement compter que la nature sera victorieuse, on la laissera agir, on exercera du moins le grand art de l’expectation, en se bornant aux soins & au régime, pour ne pas faire du mal, dans la fureur de vouloir agir, lorsqu’on devroit n’être que spectateur.

Tems de faire la saignée. Nous avons rejetté toutes les saignées prophylactiques, ainsi nous n’avons aucun égard aux phases de la lune, ni même au cours du soleil, pour conseiller des saignées toujours nuisibles, lorsqu’il n’y a pas dans le mal une raison suffisante pour le faire ; lorsqu’il y a pléthore sans fievre, le tems le plus propre pour la saignée, est le plus prochain, en ayant cependant le soin d’attendre que la digestion du repas précédent soit faite. Mais dans les fievres aiguës avec pléthore, ou dans les inflammatoires qui exigent la saignée, nous devons examiner dans quel jour de la maladie, son commencement, son milieu, ou sa fin, à quelle heure du jour, avant, pendant, ou après le paroxysme & l’accès, il est plus avantageux de faire la saignée.

Le tems de l’irritation, qui est celui de l’accroissement de la maladie, est le seul où la saignée doive être pratiquée ; alors les efforts de la nature peuvent être extremes, les forces du malade n’ont point été épuisées par l’abstinence, les évacuations & la maladie ; la circulation se fait avec force, les vaisseaux resserrés gênent le sang de toutes parts, la consistance inflammatoire, si elle existe, & l’obstacle, croissent ; la suppuration se fait craindre, & la résolution peut être hâtée. S’il y a pléthore, on doit appréhender les hémorrhagies symptomatiques, la rupture des vaisseaux, les épanchemens sanguins, ce sont ces momens qu’il faut saisir ; mais lorsque la maladie est dans son état, que la coction s’opere, (car quoique la nature commence à la faire dès le principe de la maladie, il est un tems où elle la fait avec plus de rapidité) elle ne convient plus : l’inflammation ne peut être resoute alors que par une coction purulente, qui seroit troublée par la saignée ; dans le tems du déclin ou de la dépuration, ôter du sang, ce seroit détruire le peu de forces qui restent, ce seroit donner lieu à des métastases, ou tout au moins empêcher que cette matiere nuisible, préparée pour l’évacuation, soit évacuée ; ce seroit troubler des fonctions qu’il est important de conserver dans toutes leur intégrité ; ces maximes sont si vraies, les médecins les ont de tout tems tellement connues, que si quelqu’un d’eux s’est conduit différemment, aucun n’a osé le publier comme principe ; la seule difficulté a roulé sur la fixation des jours où s’opéroit la coction ; les uns ont cru la voir commencer au quatrieme, & ont interdit les saignées après le troisieme ; les autres ont été plus loin, mais aucun n’a passé le dixieme ou le douzieme. Il est mal aisé de fixer un terme précis, dans des maladies qui sont de natures si différentes, dont les symptomes & les circonstances sont si variés, qui suivent leur cours dans un tems plus ou moins long ; on sent aisément que plus la maladie est aiguë, plus le tems de l’irritation est court, plus on doit se hâter de faire les saignées nécessaires, plutôt on doit s’arrêter ; c’est au médecin à prévoir sa durée. Nous pouvons ajouter que ce tems expire communément dans les fievres pro-

prement dites & les inflammations au cinquieme

jour ; mais nous répeterons sans cesse que le tems qui précede la coction, ou l’état de la maladie, est celui où on doit borner la saignée.

Les paroxysmes ou les accès ayant toujours été considerés par les médecins, comme des branches de la maladie, qui semblables au tronc, ont comme lui un cours régulier, un accroissement, un état & un déclin ; ce que nous avons dit de l’un, doit s’étendre aux autres ; c’est après le frisson, lorsque la fievre est dans son plus grand feu, qu’on doit saigner.

L’interdiction de la saignée dans le frisson, nous conduit à remarquer qu’on tomberoit précisément dans la même faute, si on saignoit dans le principe de la maladie, des inflammations, avant que la nature soit soulevée & ses premiers efforts développés.

Choix du vaisseau. L’histoire de la saignée nous a presenté sur le choix des vaisseaux, une multitude de sentimens si opposés, que quoiqu’on puisse en général les réduire à trois, les révulseurs, les locaux, & les indifférens, il est peu d’auteurs qui n’ayent apporté quelques modifications à ces systèmes. Appliquons à l’usage de la saignée, les maximes que nous avons établies en parlant de ses effets.

La pléthore est générale ou particuliere ; générale, elle suppose une égalité dans le cours de la circulation, un équilibre entre les vaisseaux & le sang, qui sera détruit si on ouvre une veine, pendant tout le tems que le sang coulera, mais qui se rétablira bientôt lorsque le vaisseau sera fermé ; tous les révulseurs conviennent de ce principe avec les indifférens & les locaux ; il est donc égal, dans ce cas, d’ouvrir la veine du bras, du pié, du col, &c. avec ou sans ligature : il n’est qu’une regle à observer, c’est d’ouvrir la veine la plus grosse & la plus facile à piquer ; la plus grosse, parce qu’en fournissant dans un même espace de tems, une plus grande quantité de sang, elle produira avec une moindre perte, l’effet souvent desiré, de causer une légere défaillance.

Mais lorsque la pléthore est particuliere, il en est tout différemment, & nous nous hâtons en ce cas, de nous ranger du parti des locaux. Pour concevoir la pléthore particuliere, il faut connoître ou se rappeller qu’il peut se former dans les veines d’une partie, ou dans les artérioles, des obstacles au cours de la circulation, qui seront l’effet d’une contraction spasmodique de ces vaisseaux, ou des parties voisines, d’une compression extérieure ou interne, d’un épaississement inflammatoire particulier du sang, ou des autres humeurs ; d’un séjour trop long du sang accumulé dans une partie relâchée, dans une suite de petits sacs variqueux, qui circulant plus lentement, s’épaissira, se collera contre les parois des vaisseaux, ce qui forme une pléthore particuliere, dont l’existence est démontrée par l’évacuation périodique des femmes, par les hémorrhagies critiques, certaines douleurs fixes, les hémorrhoïdes, les inflammations, les épanchemens, &c.

Dans tous ces cas la saignée doit être faite dans le siege du mal, ou du moins aussi près qu’il est possible, pour imiter la nature dans ses hémorrhagies critiques, & pour se conformer aux lois de mouvement les plus simples ; c’est ainsi qu’on ouvre les hémorrhoïdes, & les varices quelconques, qu’on scarifie les yeux enflammés & les plaies engorgées, qu’on saigne au-dessous d’une compression forte qui est la cause d’un engorgement, qu’on ouvre les veines jugulaires dans plusieurs maladies de la tête avec succès, & qu’on éprouve continuellement par ces saignées locales des effets avantageux. Qui ne riroit d’un médecin qui ouvriroit la basilique pour guérir des tumeurs hémorrhoïdales extérieures enflammées ? Ici l’expérience vient constamment à l’appui de la rai-