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le sang, & par la diminution des secrétions, il résultera une proportion différente entre la partie rouge du sang & sa partie blanche : le trombus diminuera. Voyez Sang. Rien n’est plus constant que cet effet de la saignée, observé avec soin, & démontré avec clarté par M. Quesnay, sous le nom de spoliation. Pour la rendre sensible, il suppose un homme bien constitué, pesant 120 livres ; il calcule qu’il contient environ 20 livres de solides, & 100 livres de fluides, parmi lesquels il trouve 27 livres de sang ; il évalue la partie rouge qui forme la trombus dans la palette à 5 livres. Ces principes posés, si on tire par la saignée une livre de sang, on ôte des humeurs blanches ou séreuses, pendant qu’on enleve de la partie rouge. Mais comme les humeurs blanches sont bientôt réparées par la boisson & les alimens, en sorte que le corps retourne à un poids égal, comme la partie rouge est la plus difficile à régénérer, on diminue évidemment la proportion de cette derniere par la saignée. Cet effet augmentera suivant la quantité du sang évacué : si elle est grande, le sang étant plus mobile, circulant plus aisément, éprouvant moins de frottement, la nature étant affoiblie par les efforts qu’elle aura faits pour rétablir cet équilibre nécessaire ; les forces, les secrétions, les couleurs, la chaleur diminueront, pendant que la facilité à prendre la fievre, & la sensibilité croîtront.

Si on saigne un grand nombre de fois répétées coup sur coup avant que la régénération du sang ait pû se faire, l’homme le plus sain & le plus vigoureux, on enleve une si grande quantité de cette partie rouge, que l’assimilation du chyle ne pouvant s’exécuter, les forces, les secrétions & les excrétions étant languissantes, tout ce qui étoit destiné à l’évacuation étant retenu dans les vaisseaux sanguins, séreux, &c. des sucs mal digérés stagnant dans le corps, ne pouvant être préparés, corrigés, nettoyés ; cet homme, dis-je, deviendra pâle, bouffi, hydropique, anasarque ; il pourra même arriver que ces maux deviennent mortels ; ils influeront au moins sur tout le reste de sa vie. Il faut une certaine quantité de partie rouge pour qu’elle puisse s’assimiler le chyle.

Le mal que produit une évacuation de quelques onces sera bien-tôt réparé ; il aura été à peine sensible dans un homme robuste & adulte. Il n’en est pas ainsi dans un enfant chez qui la saignée & les hémorrhagies enlevent l’élément des fibres nécessaires à la bonne conformation intérieure & extérieure. Elles sont donc en général nuisibles, ou du-moins très dangereuses avant l’âge de puberté. Après ce tems, les hémorrhagies régulieres des femmes rassurent un peu contre les maux que produit la saignée ; cependant la foiblesse de leur corps, de leur santé, de leur esprit, le tissu lâche de leur peau, les infirmités, les vapeurs auxquelles elles sont sujettes, paroissent être la suite de ces évacuations, quelque naturelles & nécessaires qu’elles soient.

Tel est le tableau des effets des hémorrhagies & de la saignée faite sans ligature dans un adulte sain ; passons à l’examen de ce que cette derniere produit dans le même homme avec une ligature telle qu’on la pratique communément.

La ligature qu’on applique au bras lorsqu’on veut ouvrir les veines du pli du coude, sert en arrêtant le cours du sang dans ces veines, à les remplir davantage, à en faciliter l’ouverture & l’évacuation. La compression ne se fait pas seulement sentir aux veines extérieures, les arteres les plus profondes en sentent communément l’effort ; mais d’autant moins qu’elles sont plus cachées, fortes, élastiques & à l’abri ; que le sang y circule avec plus de vélocité. Le cours du sang n’étant jamais subitement & totalement arrêté par aucune ligature dans toutes les arteres d’un membre, il arrive toujours un engorgement sanguin

au-dessous de la ligature, qui pour être bien faite, doit être serrée de maniere à interrompre la circulation dans les veines, & à ne la ralentir que foiblement dans les arteres : dans cet état les veines s’enflent. Si alors on fait une ouverture plus large que le diametre du vaisseau, comme il est ordinaire, tout le sang qui auroit dû retourner au cœur par la veine ouverte, s’écoule par la plaie ; il s’y joint une partie de celui qui cherche inutilement un passage par les autres veines, & qui se débouche par l’endroit où il rencontre le moins d’obstacles.

La quantité de sang qui sort dans un tems donné d’une veine du pli du coude, ouverte avec une ligature au-dessus, est donc supérieure à celle qui couleroit pendant le même tems dans le vaisseau ouvert. On peut l’évaluer au double, si l’ouverture de la veine est égale à son diametre ; mais elle est de beaucoup inférieure à celle du même sang, qui s’écouleroit par la somme de toutes les veines du bras. Il arrive donc alors qu’il circule moins de sang dans les arteres brachiales, dont le diametre est diminué par la compression de la ligature, dont le sang rencontre plus d’obstacles dans son cours, & moins d’écoulemens ; ce qui est contraire à ce que nous avons observé dans l’effet des saignées sans ligature. Le sang ne viendra pas non plus par un mouvement retrograde, se présenter à l’écoulement ; mais la veine ouverte recevant toujours du sang, n’en renvoyant jamais au cœur, laissera desemplir tous les vaisseaux veineux qui sont placés entre la plaie & le cœur. La défaillance que produira leur affaissement, s’il est poussé trop loin, exigera de la nature & de l’art les mêmes efforts, que nous avons vû nécessaires dans les saignées sans ligature. Cette défaillance survient communément après la perte de dix ou quinze onces de sang. Quelquefois cependant la frayeur la produit plûtôt. Si elle survient aux premieres onces, sans que les causes morales y aient aucune part, on peut assurer qu’elle a été faite mal-à-propos.

Par les regles que nous avons établies, que le seul bon sens nous paroîtroit démontrer, quand même le calcul & l’expérience ne s’y joindroient pas, il est aisé de conclure que la saignée & la ligature produisent deux effets opposés ; que l’une accélere le cours du sang, que l’autre le retarde. Que la premiere détruit en partie l’engorgement auquel la derniere a donné lieu ; & que comme les saignées se font presque toutes avec une ligature, comme l’accélération du sang produite par la saignée est inférieure au retard que celle-ci y met, il en résulte un effet opposé à celui que soutenoient Bellini & Sylva, que les arteres apportent moins de sang pendant la saignée à l’avant-bras, & conséquemment à toutes les parties voisines avec lesquelles il est lié par la circulation, qu’elles n’en apportoient avant, qu’elles n’en apporteront, lorsque la ligature ôtée, le cours du sang étant devenu libre & égal, chaque vaisseau verra passer une quantité de sang proportionnée à son diametre, & aux forces qui le font circuler dans son centre.

Les effets de la saignée du pié sont à-peu-près les mêmes par rapport à cette partie, que ceux de la saignée du bras, par rapport à la main & à l’avant-bras. Les arteres ont l’avantage d’être plus à l’abri de la compression ; mais le lave-pié en fait la plus grande différence. Ce lave-pié qui mérite une place distinguée parmi les remedes les plus efficaces, qui est nécessaire dans quelques cas pour augmenter l’afflux du sang dans les extrémités inférieures, en remplir les veines, & porter un relâchement humide dans tout le corps, souvent plus avantageux que la perte d’une livre de sang, a fait attribuer à la révulsion l’utilité de la saignée du pié dans les maladies de la tête, & a été le principe de toutes les erreurs, de toutes