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si on lie les arteres émulgentes, il ne se ramasse rien dans les ureteres ni dans la vessie.

On trouve cependant des anatomistes qui prétendent qu’il y a d’autres voies ; la ligature des arteres émulgentes ne leur paroît pas une preuve convaincante contr’eux, parce qu’alors les convulsions & les dérangemens qui surviennent, ferment les couloirs qui sont ouverts lorsque tout est tranquile : voici les raisons qui les font douter, s’il n’y a pas d’autres conduits qui se déchargent dans la vessie. 1°. Les eaux minérales passent dans la vessie presque dans le même instant qu’on les avale ; la même chose arrive dans ceux qui boivent beaucoup de vin. 2°. Les eaux des hydropiques répandues dans l’abdomen, se vuident par les urines, de même que les abscès de la poitrine. 3°. Les lavemens, selon eux, sortent quelquefois par la vessie un instant après qu’ils sont dans les corps.

Ces raisons ne demandent point un conduit différent de celui des reins ; 1°. les eaux minérales de même que le vin, ne sortent pas d’abord par les urines ; au commencement il faut attendre quelque tems, & cela, parce qu’elles doivent passer par les vaisseaux lactées, le canal thorachique, la veine-souclaviere, la veine-cave, le ventricule droit du cœur, les poumons, le ventricule gauche, l’aorte, & les émulgentes ; mais quand tout cet espace contient des eaux minérales ou du vin, alors on voit qu’on ne sauroit continuer à boire sans pisser incessamment, puisqu’à proportion que les eaux ou le vin avancent, il en survient une égale quantité, & qu’il y a une véritable suite de filets d’eau depuis l’estomac jusqu’au rein. 2°. Les eaux des hydropiques peuvent entrer dans les veines par les tuyaux absorbans : dans les bains, l’eau ne s’y insinue-t-elle point ? dans notre corps, n’y a-t-il pas des abscès dans les extrémités, qui sont repompés tout-à-coup ? Or cela ne sauroit être, s’il n’y a des tuyaux absorbans qui s’inserent dans les veines ; les artères ne sauroient les recevoir puisque le cœur qui y pousse continuellement le sang, s’opposeroit à l’entrée des liqueurs.

On a prétendu d’après quelques fausses expériences, que les parois extérieures laissoient passer l’eau dans la cavité de la vessie, & que les intérieures ne permettoient pas qu’elle en sortît ; mais il est certain que les deux surfaces permettoient également aux fluides un libre passage ; or il s’agit de savoir si l’on peut conclure de-là que l’urine passe dans la vessie sans se filtrer dans les reins.

Il est certain qu’elle n’entreroit pas plutôt dans la vessie que dans les intestins, dans la capacité de la poitrine, &c. De plus la même cause qui la feroit entrer, la feroit sortir, ou du moins lui permettroit l’issue ; & ce qui est décisif, c’est que dans l’hydropisie, où l’on ne sauroit supposer tous les pores bouchés, les urines ne sont qu’en très-petite quantité. 3°. Les lavemens, s’ils passent dans la vessie, pourront entrer dans les veines lactées qu’on a trouvées dans le colon ; ils peuvent même passer dans les intestins grêles, pourvû que le cœcum ne soit pas gonflé, car l’entrée n’est bien fermée que lorsque ce cul-de-sac est bien tendu par le gonflement ; les lavemens pourront donc être portés aux reins par la route ordinaire, s’il est vrai que cela arrive, j’ajoute cette condition, parce que je suis persuadé que le plus souvent il n’y a que l’odeur qui passe dans la vessie.

Après avoir établi que les reins sont le seul endroit où se sépare l’urine, voyons comment ils la filtrent.

Le sang poussé dans les arteres émulgentes, dilate les ramifications qui se répandent dans la substance des reins ; ces ramifications dilatées pressent le sang qu’elles contiennent, & le poussent vers les tuyaux qu’elles envoient aux organes secrétoires ; comme les canaux qui filtrent l’urine & la déposent dans ces

organes, sont plus étroits que les extrémités des artères sanguines, ils ne pourront pas recevoir la partie rouge, ni la lymphe grossiere.

Mais 1°. la partie aqueuse y entrera ; car si l’on fait une injection d’eau tiede dans les arteres émulgentes, l’eau passe dans les veines, les vaisseaux lymphatiques, & les ureteres ; si cette expérience n’a pas réussi à Malpighi, c’est parce qu’il ne l’a pas faite dans un cadavre récent ; l’air passe de même dans ces tuyaux, selon le témoignage de Nuk & selon tous ceux qui ont poussé l’air dans les reins. 2°. La partie huileuse atténuée sortira par ces tuyaux, & par conséquent l’urine sera une liqueur jaunâtre, car la chaleur qui a atténué l’huile, lui donne en même tems une couleur jaune. 3°. Comme les tuyaux secrétoires des reins sont plus gros que ceux des autres couloirs, les matieres terrestres & salines pourront y passer, & c’est aussi ce que nous voyons par le sédiment qui se dépose au fond des vaisseaux où l’on met l’urine.

On voit par-là si, pour expliquer la secrétion de l’urine, on doit avoir recours aux fermens, aux précipitations ou imaginations d’une infinité d’auteurs qui ont abandonné une méchanique aisée pour des idées chimériques.

Le sang est poussé continuellement dans les reins en grande quantité, avant qu’il se soit dépouillé de ses parties aqueuses & huileuses en d’autres couloirs ; il faut donc que l’urine se sépare dans les reins en abondance : le sang qui va dans les parties inférieures s’y dépouille de sa partie aqueuse & d’une huile subtile ; celui qui se porte dans les arteres cutanées, laisse dans les couloirs de la peau la matiere de la sueur & de la transpiration ; il faut donc qu’après les circulations réiterées, il se porte moins d’eau vers les reins ; ainsi la partie huileuse qui s’y déposera sera moins délayée & plus jaune que la précédente, puisque ses parties ne seront pas mêlées des parties aqueuses qui éclaircissent sa couleur, & lui donnent de la fluidité ; d’ailleurs la chaleur que cette huile aura soufferte, par diverses circulations, lui donnera encore un jaune plus foncé, & rendra les huiles plus âcres ; c’est pour cela que lorsqu’on a jeûné long-tems, l’urine est fort jaune & fort âcre.

Si le sang est poussé impétueusement dans les couloirs des reins par la force du cœur & des artères, il forcera les tuyaux qui ne recevoient auparavant que la matiere aqueuse & l’huile atténuée, ainsi on pissera du sang ; c’est ce qui arrive dans la petite vérole, dans ceux qui ont quelques pierres aux reins, dans ceux qui ont les couloirs des reins fort ouverts ou fort lâches ; mais s’il arrivoit que les arteres fussent fort gonflées par le sang, alors il arriveroit une suppression d’urine, car les arteres enflées comprimeroient les tuyaux secrétoires, & fermeroient ainsi le passage à la liqueur qui s’y filtre ; cette suppression est assez fréquente & mérite de l’attention.

Pour que l’urine coule, il faut donc que les arteres ne soient pas extrèmement dilatées, car par ce moyen, les tuyaux secrétoires ne peuvent se remplir. Delà vient que l’opium arrête l’urine ; mais si le sang en gonflant les arteres empêche la secrétion de l’urine, les tuyaux peuvent encore y porter un obstacle en se retrécissant ; de-là vient que dans l’affection hystérique les urines sont comme de l’eau, car les nerfs qui causent les convulsions, retrécissent les couloirs de l’urine ; la même chose arrive dans des maladies inflammatoires : c’est pour cela que dans les suppressions qui viennent du resserrement des reins, on n’a qu’à relâcher par des délayans, ou par des bains qui augmentent toujours la secrétion de l’urine, & ce symptome cessera.

S’il coule dans les reins un sang trop épais, ou que plusieurs parties terrestres soient pressées les unes con-