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avec des rasoirs & fers tranchans, elle s’appelle roue de Sainte-Catherine. Menestrier. (D. J.)

ROUÉE, adj. (Vénerie.) se dit des têtes de cerf, de daim & de chevreuil, dont les poches sont peu ouvertes & serrées. On dit tête rouée.

ROUEN, (Géog. mod.) ville de France, capitale de la Normandie, sur la rive droite de la Seine, à 20 lieues au sud-ouest d’Amiens, & à 28 au nord-ouest de Paris. Long. suivant Cassini, 18d. 36′. 30″. lat. 49d. 27′. 30″.

Cette ville fut nommée premierement Rothomagus, & ensuite Rothomum, & par corruption Rodomum. C’étoit la principale place des peuples Velocasses, desquels elle n’a pas pris le nom, comme plusieurs autres villes ont pris celui de leurs peuples. Quoiqu’on ne puisse nier que cette ville ne soit ancienne ; Jules-César, dans ses commentaires, & les autres écrivains romains n’en ont fait aucune mention avant Ptolomée. Il falloit cependant que cette ville fût considérable, puisque quand on divisa en deux la province lyonnoise, sous Constantin, on donna Rouen pour capitale à la nouvelle province lyonnoise.

On ne doute point que l’ancien nom de Rouen, Rothomagus, ne soit gaulois ; mais son origine est inconnue : les uns la tirent de l’idole Rotho qu’on adoroit dans ce lieu, & de magus ou magum, qui en langue celtique signifie ville : d’autres aiment mieux adopter l’étymologie du même mot magus, & des deux premieres syllabes de Rotobecum, qui est le nom latin de la petite riviere de Robec qui coule à Rouen.

Cette ville n’a d’autre enceinte qu’une muraille, avec des tours rondes à l’antique, & des bastions irréguliers. Ses rues y sont petites, étroites, & les maisons en général assez vilaines ; mais il y a des fontaines en nombre qui sont d’une grande commodité ; les dehors de la ville sont très-beaux, & les promenades, sur-tout celles du quai & du cours, sont agréables.

D’ailleurs Rouen est une des plus grandes villes, des plus riches & des plus peuplées du royaume. Elle renferme dans ses murailles plus de soixante mille ames. C’est le siége d’un illustre parlement, d’une chambre des comptes, d’une cour des aides, d’une intendance, d’un présidial, d’une généralité, d’un bailliage, & d’un hôtel de monnoies.

Le parlement de Rouen a été établi en la place de l’échiquier, qui sous les anciens ducs de Normandie, étoit comme un parlement ambulatoire, tant pour l’administration de la justice, que pour toutes les autres affaires qui regardoient le bien du pays. On l’assembloit tantôt à Rouen, tantôt à Caën, quelquefois à Falaise, ou en d’autres villes, selon les ordres du prince, sans qu’il y eût aucun lieu fixe. Louis XII. rendit cette cour perpétuelle en 1499, & François I. lui donna le nom de parlement en 1515.

La réinstitution de la chambre des comptes est dûe à Henri III. qui l’unit en 1580 à la cour des aides de Normandie. Elle a toute cette province dans son département. Cette chambre des comptes avoit déjà été créée en 1380, mais Henri II. l’avoit supprimée en 1553. La cour des aides de Normandie fut établie à Rouen par l’édit de 1483. Celle de Caën lui fut unie par l’édit de Janvier 1641 ; & la même cour des aides de Rouen fut unie à son tour à la chambre des comptes de la même ville en 1705.

Le bureau des finances de Rouen fut établi au mois de Janvier 1551. Cette généralité comprend quatorze élections ; il y a aussi dans la même ville un siége d’amirauté & un consulat.

Le commerce de Rouen est très-considérable, par le grand nombre de manufactures de draperie, & autres étoffes, de tapisseries, de mercerie, de toiles, de fils, de tanneries, &c. Le commerce est encore facilité par la position de cette ville, où la marée est

si haute, que les vaisseaux de 200 tonneaux y peuvent aborder.

Le pont de Rouen est d’une structure singuliere, étant de bateaux joints ensemble, pavés par-dessus, se haussant & se baissant avec les flots de la mer. Il est cependant incommode par son grand entretien, & de plus, on est presque tous les ans obligé de le démonter, pour empêcher que les glaces n’en emportent une partie. Ce pont fut construit en l’an 1626. Il a deux cens soixante & dix pas de long, & donne passage dans le fauxbourg de saint Sévere. Le pont de pierre qu’il y avoit précédemment à Rouen n’existe plus ; ses arches tomberent en ruine en 1502, en 1533, & en 1564 ; on pourroit cependant le rebâtir dans les mêmes endroits, en lui donnant moins de hauteur & plus de largeur.

Le 25 de Juin de l’an 1633, Rouen éprouva la fureur d’un ouragan, accompagné de tonnerre, de grêle, & de pluie, qui firent des dégats terribles en divers endroits. La pyramide revêtue de plomb qui étoit sur la tour de l’église de saint Michel, fut arrachée au-dessus des cloches, & transportée par le vent au milieu de la rue où elle se brisa. Plusieurs tours & clochers furent ébranlés & endommagés par cette horrible tempête, qui ne dura pas un quart d’heure sur la ville, mais qui y causa un dommage qui montoit à plus de deux millions. Elle déracina dans la campagne les plus gros arbres, saccagea les grains, les légumes, les herbages, & les fruits.

L’archevêché de Rouen est un des plus beaux, des plus anciens, & des plus riches qui soient en France. Il vaut au-moins soixante & dix mille livres de rente ; son diocèse comprend 1388 paroisses distribuées sous six archidiaconés, vingt-sept doyennés ruraux, & le sous-doyenné de la ville. Nicaise est regardé pour le premier évêque de Rouen. On compte déjà douze archvêques de cette ville qui ont été cardinaux. Il se dit primat de Normandie, quoiqu’il n’ait aucun archevêque pour suffragant ; mais ce titre lui donne la prérogative de dépendre immédiatement du saint siége.

Le chapitre de l’église cathédrale est composé de dix dignités, & de cinquante-un chanoines, en comptant l’archevêque, qui en cette qualité préside & a voix en chapitre, outre que les dignités & canonicats, à l’exception du haut doyenné, sont à sa nomination.

Tous les évêques de la province sont obligés de prêter serment à l’église cathédrale de Rouen ; mais son droit le plus singulier, c’est de pouvoir délivrer un prisonnier le jour de l’Ascension, après que ce prisonnier a levé la fierte, c’est-à-dire la châsse de saint Romain. Voyez Fierte.

Outre le chapitre de la cathédrale, il y en a encore deux dans la ville, & plusieurs abbayes, dont celle qui porte le nom de saint Ouen, & qui est de bénédictins réformés, jouit aujourd’hui de soixante mille livres de revenus ; on compte dans cette ville trente-cinq paroisses, & cinquante-six couvents : les jésuites y avoient aussi un college, fondé par le cardinal de Joyeuse.

On a établi depuis peu à Rouen une académie de Belles-Lettres, & c’est avec raison, car je crois qu’après Paris, c’est la ville du royaume qui a produit le plus d’hommes célebres dans les sciences & les beaux arts. La liste en est nombreuse, mais je ne me propose que d’indiquer ici les principaux. Je commencerai pour suivre l’ordre alphabétique, par Mrs Basnage.

Basnage (Jacques), calviniste, se retira en Hollande, lors de l’édit de Nantes, devint pasteur à la Haye, & comme dit M. de Voltaire, étoit plus propre à être ministre d’état que d’une paroisse. Les ouvrages qu’il a composés lui ont acquis une grande