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sa fortune, & quelquefois sa fortune à la crainte du ridicule.

Il n’étoit pas besoin, ce me semble, de proposer pour sujet du prix de l’académie françoise, en 1753, si la crainte du ridicule étouffe plus de talens & de vertus, qu’elle ne corrige de vices & de défauts ; car il est certain que cette crainte corrige peu de vices & de défauts en comparaison des talens & des vertus qu’elle étouffe. La honte n’est plus pour les vices ; elle se garde toute entiere pour cet être fantastique qu’on appelle le ridicule.

Il a pris le savoir & la philosophie en aversion ; à peine pardonne-t-il l’un & l’autre à un petit nombre d’hommes de lettres supérieurs ; mais pour les personnes de distinction, il faut bien qu’elles se gardent d’aspirer à l’amour des sciences, le ridicule ne les épargneroit pas.

Il s’attache encore fort souvent à la considération, parce qu’il en veut aux qualités personnelles : il pardonne aux vices, parce qu’ils sont en commun ; les hommes s’accordent à les laisser passer sans opprobre ; ils ont besoin de leur faire grace. Dans chaque siecle il y a dans une nation un vice dominant, & il se trouve toujours quelque homme de qualité qu’on appelle aimable, ou quelque femme titrée qui donne le ton à son pays, qui fixe le ridicule, & qui met en crédit les vices de la société.

C’est en marchant sur leurs traces, dit très-bien M. Duclos, qu’on voit des essains de petits donneurs de ridicules, qui décident de ceux qui sont en vogue, comme les marchands de modes fixent celles qui doivent avoir cours. S’ils ne s’étoient pas emparé de l’emploi de distribuer en second les ridicules, ils en seroient accablés ; ils ressemblent à ces criminels qui se font exécuteurs pour sauver leur vie. Une grande sottise de ces êtres frivoles, & celle dont ils se doutent le moins, est de s’imaginer que leur empire est universel. Le peuple ne connoît pas même le nom des choses sur lesquelles ils impriment le ridicule ; & c’est tout ce que la bourgeoisie en fait. Les gens du monde, ceux qui sont occupés, ne sont frappés que par distraction de ces insectes incommodes. Les hommes illustres sont trop élevés pour les appercevoir, s’ils ne daignoient pas quelquefois s’en amuser eux-mêmes. (D. J.)

Ridicule, le, (Poëme dramatiq. comiq.) le ridicule dans le poëme comique est, selon Aristote, tout défaut qui cause difformité sans douleur, & qui ne menace personne de destruction, pas même celui en qui se trouve le défaut ; car s’il menaçoit de destruction, il ne pourroit faire rire ceux qui ont le cœur bien fait. Un retour secret sur eux mêmes leur feroit trouver plus de charmes dans la compassion.

Le ridicule est essentiellement l’objet de la comédie. Un philosophe disserte contre le vice ; un satyrique le reprend aigrement ; un orateur le combat avec feu ; la comédien l’attaque par des railleries, & il réussit quelquefois mieux qu’on ne feroit avec les plus forts argumens.

La difformité qui constitue le ridicule, sera donc une contradiction des pensées de quelque homme, de ses sentimens, de ses mœurs, de son air, de sa façon de faire, avec la nature, avec les lois reçues, avec les usages, avec ce que semble exiger la situation présente de celui en qui est la difformité. Un homme est dans la plus basse fortune, il ne parle que de rois & de tétrarques : il est de Paris ; à Paris, il s’habille à la chinoise : il a cinquante ans, & il s’amuse sérieusement à atteler des rats de papier à un petit chariot de carte ; il est accablé de dettes, ruiné, & veut apprendre aux autres à se conduire & à s’enrichir : voilà des difformités ridicules, qui sont, comme on le voit, autant de contradictions avec une certaine idée d’ordre, ou de décence établie.

Il faut observer que tout ridicule n’est pas risible. Il y a un ridicule qui nous ennuie, qui est maussade ; c’est le ridicule grossier : il y en a un qui nous cause du dépit, parce qu’il tient à un défaut qui prend sur notre amour propre : tel est le sot orgueil. Celui qui se montre sur la scene comique est toujours agréable, délicat, & ne nous cause aucune inquiétude secrette.

Le comique, ce que les latins appellent vis comica, est donc le ridicule vrai, mais chargé plus ou moins, selon que le comique est plus ou moins délicat. Il y a un point exquis en-deçà duquel on ne rit point, & au-delà duquel on ne rit plus, au-moins les honnêtes gens. Plus on a le goût fin & exercé sur les bons modeles, plus on le sent : mais c’est de ces choses qu’on ne peut que sentir.

Or la vérité paroît poussée au-delà des limites, 1°. quand les traits sont multipliés & présentés les uns à côté des autres. Il y a des ridicules dans la société ; mais ils sont moins frappans, parce qu’ils sont moins fréquens. Un avare, par exemple, ne fait ses preuves d’avarice que de loin en loin : les traits qui prouvent sont noyés, perdus dans une infinité d’autres traits qui portent un autre caractere : ce qui leur ôte presque toute leur force. Sur le théâtre un avare ne dit pas un mot, ne fait pas un geste, qui ne représente l’avarice ; ce qui fait un spectacle singulier, quoique vrai, & d’un ridicule qui nécessairement fait rire.

2°. Elle est au-delà des limites quand elle passe la vraissemblance ordinaire. Un avare voit deux chandelles allumées, il en souffle une ; cela est juste : on la rallume encore, il la met dans sa poche : c’est aller loin ; mais cela n’est peut-être pas au-delà des bornes du comique. Dom Quichotte est ridicule par ses idées de chevalerie, Sancho ne l’est pas moins par ses idées de fortune. Mais il semble que l’auteur se moque de tous deux, & qu’il leur souffle des choses outrées & bisarres, pour les rendre ridicules aux autres, & pour se divertir lui-même.

La troisieme maniere de faire sortir le comique, est de faire contraster le décent avec le ridicule. On voit sur la même scène un homme sensé, & un joueur de trictrac qui vient lui tenir des propos impertinens : l’un tranche l’autre & le releve. La femme ménagere figure à côté de la savante ; l’homme poli & humain à côté du misantrope ; & un jeune homme prodigue à côté d’un pere avare. La comédie est le choc des travers des ridicules entr’eux, ou avec la droite raison & la décence.

Le ridicule se trouve partout : il n’y a pas une de nos actions, de nos pensées, pas un de nos gestes, de nos mouvemens qui n’en soient susceptibles. On peut les conserver tout entiers, & les faire grimacer par la plus légere addition. D’où il est aisé de conclure, que quiconque est vraiment né pour être poëme comique, a un fond inépuisable de ridicules à mettre sur la scene, dans tous les caracteres de gens qui composent la société. Cours de Belles-lettres. (D. J.)

RIDICULUS, s. m. (Antiq. rom.) ou plutôt ædicula ridiculi ; nous dirions en françois la chapelle du ris ; elle étoit bâtie à Rome à deux mille pas hors la porte Capene, en mémoire de la fuite d’Annibal de devant cette ville à cause des pluies & des orages qui survinrent lorsqu’il l’assiégeoit. Les Romains tournant sa fuite en ridicule éleverent cette chapelle & la consacrerent. Il est vrai que Pausanias fait mention d’un dieu du rire, θεὸς γέλωτος, mais ce n’est pas de lui dont il s’agit ici. (D. J.)

RIEBLE, (Botaniq.) Voyez Grateron, Botan. (D. J.)

RIEDENBURG, (Géog. mod.) petite ville d’Allemagne, dans la haute Baviere, sous la régence de