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Pithou, sur l’article 144. de la coutume de Troyes, tient que le retrait lignager usité en France, étoit une ancienne coutume des Gaulois, qui s’y est toujours conservée.

Cependant il n’est point fait mention du retrait lignager dans les anciennes lois des Francs, telles que la loi salique & la loi ripuaire ; il n’en est pas non plus parlé dans les capitulaires de Charlemagne, de Louis le Débonnaire, & de Charles le Chauve, ni dans les anciennes formules, soit de Marculphe ou autres, ni dans les assises de Jérusalem, lois faites par les François en 1099, ni dans les plus anciennes coutumes de France, telles que la loi de Vervin ou de la Bassée, faite sous Henri I. les anciennes coutumes de Lorris en 1170, les lois données en 1212 par Simon, comte de Montfort, aux peuples d’Alby, Beziers, Carcassonne & autres, ni dans la charte appellée la paix de la Fere, faite par Enguerand de Coucy.

Balde prétend néanmoins que le retrait lignager fut introduit en France du tems de Charlemagne ; il se fonde sur ce que la loi des Saxons ordonnoit qu’avant de vendre à un étranger son patrimoine ou propre héritage échu par succession, on l’offrît à son proche parent ; mais ce droit se rapporte au droit de prélation qui avoit lieu chez les Romains, plutôt qu’au retrait lignager, tel que nous le pratiquons en pays coutumier.

Le retrait lignager tire plutôt son origine de ce qu’anciennement en France il étoit défendu de vendre à d’autres qu’à ses proches parens son aleu, ou bien patrimonial, il n’étoit permis de disposer librement que de ses acquêts ; pour disposer de son aleu, il falloit le consentement de ses héritiers présomptifs.

Cette prohibition de disposer autrement de son aleu avoit lieu dès le commencement de la monarchie, ainsi qu’il paroît par la loi salique ; & c’est delà probablement que s’est formé peu à-peu le retrait lignager.

On en trouve des vestiges dès le xj. siecle, du moins dans quelques provinces de France dès le commencement du x. siecle. C’est ainsi que Guichard de Beaujeu, qui possédoit héréditairement le quart des dixmes du territoire de l’église de Mâcon, les donnant à cette église, ordonna qu’aucun de ses parens ne pût l’inquiéter sur cette dixme, parce qu’avant de la donner, il avoit invité & fait inviter par ses amis son frere Ponce, qui jouissoit d’un autre quart, d’acheter le sien, ce qu’il n’avoit pas voulu faire. Ces sommations, ou invitations d’acquérir, ces défenses aux parens d’inquiéter le nouveau possesseur, les confirmations que l’on faisoit quelquefois faire par les parens, annoncent bien que le retrait lignager avoit déja lieu du-moins dans ce pays. On y trouve encore un exemple de pareilles défenses en 1116.

De tout cela l’on peut conclure que le retrait lignager, tel que nous le pratiquons, a été introduit non par aucune ordonnance de nos rois, mais par les mœurs & usages de quelques provinces, & qu’il a été ensuite adopté par les coutumes à mesure qu’elles ont été rédigées par écrit, ce qui commença à se faire dans le xj. siecle.

Les établissemens de S. Louis, rédigés en 1270, font mention du retrait lignager ; & depuis ce tems il est devenu un droit commun & presque général pour tous les pays coutumiers.

Henri III. ordonna en 1681, que le retrait lignager auroit lieu dans tout le royaume, mais cette ordonnance ne fut vérifiée qu’au parlement de Paris, & elle n’a été reçue pour les provinces de droit écrit de son ressort, que dans le Mâconnois & dans l’Auvergne.

Le retrait lignager n’a pas lieu dans le Lyonnois, ni dans le Forez, ni dans le parlement de Toulouse,

si ce n’est dans le Quercy & le Rouergue ; dans le parlement de Dauphiné, il n’a lieu que dans les bailliages de Romans & de Briançon ; dans les parlemens de Bordeaux & de Dijon, il n’a lieu que dans les pays de coutume seulement ; il a aussi lieu dans le comté de Bourgogne, excepté dans la ville de Besançon & dans son ancien territoire.

Pour ce qui est du pays coutumier, le retrait a lieu dans toutes les coutumes ; mais il s’y pratique fort diversement.

Pour exercer le retrait lignager dans les coutumes qu’on appelle du côté & ligne, comme Paris & autres qui forment le plus grand nombre, il faut être parent du vendeur du côté & ligne d’où l’héritage lui étoit échu.

Il faut même dans quelques-unes, qu’on appelle soucheres, être descendu de celui qui a mis l’héritage dans la famille.

Mais dans quelques autres coutumes qu’on appelle de simple côté, au défaut de parens de la ligne, on admet au retrait les autres parens du vendeur.

Le retrait lignager peut être exercé par les enfans même du vendeur, quoiqu’il soit encore vivant. Et la qualité d’héritier n’empêche pas non plus l’exercice du retrait, parce que c’est un droit que l’héritier tire de la loi, & non de sa qualité d’héritier.

Le retrait lignager n’a pas lieu quand l’acquéreur est lui-même lignager, ou qu’il a des enfans qui sont en ligne ; mais si dans la suite il mettoit l’héritage hors la ligne, il y auroit lieu au retrait, & en ce cas, le premier vendeur peut venir lui-même au retrait.

Celui qui a vendu son propre peut lui-même le retirer, comme tuteur de son fils ; & l’on peut intenter le retrait au nom d’un enfant quoiqu’il ne fût ni vu ni connu au tems de la vente.

Le mari peut exercer le retrait du côté de sa femme sans être fondé de sa procuration.

En concurrence de plusieurs retrayans, la coutume de Paris & plusieurs autres préferent le plus diligent ; d’autres préferent le plus prochain.

Si deux lignagers ont formé la demande en même tems, ou bien dans les coutumes qui admettent le plus prochain, si deux retrayans sont en égal degré, en ce cas ils viennent au retrait par concurrence & par moitié ; mais si l’un des deux manque à remplir quelque formalité qui le fasse déchoir du retrait, si l’autre veut suivre le sien, il est obligé de retirer le tout.

Le retrait n’a lieu que pour la propriété des héritages, maisons, rentes foncieres & autres droits réels ; il n’a pas lieu en cas de vente de l’usufruit de ces mêmes biens, ni pour les offices & les rentes constituées, ni pour les meubles tels qu’ils soient.

Les mutations qui donnent ouverture au retrait lignager sont la vente à prix d’argent, ou autre contrat équipollent à vente, le bail à rente rachetable, le bail à longues années. La plûpart des coutumes admettent aussi le retrait en cas d’échange, quand il y a soute qui excede la moitié de la valeur de l’héritage.

Suivant le droit commun, les propres sont seuls sujets au retrait, excepté en Normandie & dans quelques autres coutumes qui étendent le retrait aux acquêts.

L’héritage donné en contre-échange d’un propre, tient lieu de propre, & est sujet à retrait.

La plûpart des coutumes admettent le retrait en cas de vente par decret ou licitation ; mais il n’a pas lieu quand la vente est faite par une transaction, & qu’elle en est une des conditions.

La vente faite sur l’héritier bénéficiaire, ou sur un curateur aux biens vacans, est sujette au retrait ; il en est autrement de celle qui est faite sur un curateur aux biens vacans, parce qu’en ce cas il n’y a plus de propre.

Lorsque l’héritage vendu est partie propre & par-