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lait, quantité de fleurs répandues & des cheveux arrachés, ce qui ne pouvoit être l’action que d’un parent de ce prince. Elle fait alors les recherches pour tâcher de le découvrir, & enfin elle rencontre Oreste qui étoit venu en secret pour venger la mort de son pere, à qui il avoit offert un sacrifice funebre, selon la coutume.

De toutes les beautés de la tragédie, les reconnoissances sont une des plus grandes, sur-tout celles où la nature se trouve intéressée : car indépendamment des tendres mouvemens qu’elle excite par elle-même, c’est aussi par-là qu’elle parvient au but principal de la tragédie, qui est de produire la terreur & la pitié. Dans Sophocle, la reconnoissance d’Œdipe & de Jocaste qui passe par tant d’incidens, y prend tout ce qu’il faut pour frapper plus heureusement le coup de terreur, si j’ose ainsi parler, & qui fait d’autant plus d’impression qu’il est suivi d’un changement de fortune dans les principaux personnages.

Remarquez encore que ce changement d’état se fait si immédiatement après la reconnoissance, que le spectateur n’a pas le tems de respirer, & que le tout se passe dans la chaleur de ses mouvemens. C’est ce qui fait dire à M. Dacier que la reconnoissance de l’Electre du même poëte n’est pas, à-beaucoup-près, si vive ni si belle, parce qu’elle est éloignée de la péripétie ; car après qu’Oreste & Electre se sont reconnus, ils sont encore du tems dans le même état, & ils ne changent de fortune que par la mort de Clytemnestre & d’Egiste.

Ce n’est qu’entre les principaux personnages d’une tragédie que les reconnoissances produisent leur grand effet, & ce n’est aussi que des circonstances où elles sont placées que dépend leur véritable beauté. Dans l’Œdipe, c’est de la mere à son fils ; mais par cette reconnoissance, ce fils va se trouver l’époux de sa mere & le meurtrier de son pere, dont la mort lui a servi de degrés pour monter au trône, & le triste moyen de contracter une alliance incestueuse qui met le comble à ses infortunes.

Nous avons quelques tragédies où l’on a employé des moyens particuliers de reconnoissance, dont l’antiquité n’a pas fait usage ; c’est au son de voix que Zénobie reconnoît Rhadamiste. Comme le son de la voix se perd moins à un certain âge que les traits de ressemblance, c’est lui qui dans cette belle tragédie prépare la reconnoissance, & qui aide à rappeller les traits d’un visage que dix années d’absence ont dû masquer, & qui lui rend sa premiere fraîcheur aux yeux d’une épouse vertueuse. Quelle est la surprise de Rhadmiste de retrouver vivante une femme dont l’excellente beauté a fait tous les crimes, & dont l’excès de la passion d’un mari farouche a cru mettre en sûreté la fidélité & l’honneur par des précautions barbares, & sans exemple ? En effet, pour empêcher que dans la déroute de son armée Zénobie ne tombât entre les mains d’un ennemi vainqueur, Rhadamiste la jetta dans l’Araxe, après l’avoir crue morte sous les coups pressés d’une main sanglante : l’atrocité de l’action confondue avec ce signe singulier de reconnoissance & présente à l’esprit du spectateur, a fait à la quarantieme représentation de la piece le même plaisir qu’à la premiere. (D. J.)

Reconnoissance, en Jurisprudence, signifie en général un acte, par lequel on reconnoît la vérité de quelque point de droit ou de quelque fait.

Reconnoissance se prend quelquefois pour une cédule ou billet, par lequel on reconnoît devoir une somme à quelqu’un, ou que l’on est obligé de faire quelque chose.

Reconnoissance d’écriture privée est lorsqu’on reconnoît la vérité d’une écriture ou signature privée.

Elle se fait devant notaire ou en justice.

Pour opérer la reconnoissance devant notaire, il faut qu’il en soit passé un acte, faisant mention de ladite reconnoissance.

Elle se fait en justice lorsque le porteur d’une promesse ou autre écriture privée assigne celui qui l’a écrite ou signée, à comparoir devant un juge compétant, pour reconnoître ou denier l’écriture ou signature, & en cas de dénégation être procédé à la vérification de cette écriture par experts.

Tout juge devant lequel les parties se trouvent en instance est compétent pour la reconnoissance & vérification d’une promesse ou autre écriture privée ; mais pour le principal, il faut se pourvoir devant le juge naturel des parties.

Les reconnoissances & vérifications des écritures privées se font partie présente ou duement appellée devant le rapporteur, ou, s’il n’y en a point, devant l’un des juges qui sera commis sur une simple requête, pourvû que la partie contre laquelle on prétend se servir des pieces, soit domiciliée ou présente au lieu où l’affaire est pendante, sinon la reconnoissance doit être faite devant le juge royal ordinaire du domicile de la partie, la quelle doit être assignée à personne ou domicile ; & s’il échet, de faire quelque vérification : elle se fait devant le juge où est pendant le procès principal. Ordonnance de 1670, tit. XII. art. 5.

L’édit du mois de Décembre 1684 porte que, par l’exploit de demande, on peut déclarer que dans trois jours le défendeur sera tenu de reconnoître ou dénier l’écriture, sinon qu’elle demeurera tenue pour reconnue ; que si le défendeur dénie l’écriture, on procede à la vérification sur des écritures publiques & authentiques.

La reconnoissance d’une écriture privée faite devant notaire ou en justice, emporte hypotheque à compter de ce jour.

On procede aussi en matiere criminelle à la reconnoissance des écritures privées & signatures.

Celles qui peuvent servir à l’instruction & à la preuve de quelque crime, doivent être représentées aux accusés ; & après serment par eux prêté, on les interpelle de déclarer s’ils les ont écrites ou signées, & s’ils les reconnoissent véritables.

Si l’accusé reconnoît les pieces pour véritables, elles font foi contre lui sans autre vérification ; s’il les dénie, on les vérifie sur pieces de comparaison.

La procédure que l’on doit observer dans cette matiere est prescrite par l’ordonnance de 1670, tit. VIII. & par l’ordonnance du faux. (A)

Reconnoissance d’aîné et principal héritier est une déclaration que des pere & mere ou autres ascendans font par le contrat de mariage d’un de leurs enfans, par laquelle ils font en sa faveur une espece d’institution contractuelle des biens qu’ils possedent actuellement, & s’obligent à les conserver à cet enfant qu’ils reconnoissent en qualité d’aîné pour leur principal héritier.

L’effet de ces sortes de reconnoissances est reglé différemment par les coutumes. Voyez le traité des institutions & substitutions contractuelles de M. de Lauriere, & le traité des conventions de succéder, par Boucheul. (A)

Reconnoissance d’héritages est une déclaration que l’on passe au terrier d’un seigneur pour les héritages qui sont tenus de lui à cens.

Les gens de main-morte sont aussi tenus de passer une reconnoissance pour les héritages qui ont été amortis, quoique ces héritages ne doivent plus de cens ni autres droits seigneuriaux ; c’est pourquoi cette reconnoissance s’appelle déclaration seche : elle sert à contracter la directe & la justice du seigneur.

Tout nouveau tenancier est obligé de passer à ses frais reconnoissance au seigneur : celui ci peut même