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prend ceux qui sont donnés sur la simple requisition des blessés ; mais qui étant faits ou approuvés par les chirurgiens titrés, ne laissent pas d’être provisoires, quoique la partie adverse en puisse contester l’exécution, quand il s’agit d’une seconde provision, en demandant par une requête présentée au juge, une contre-visite ; & en ce cas-là les juges nomment des chirurgiens d’office pour faire le rapport, qui prévaut même sur celui des chirurgiens titrés.

De la validité des rapports en Chirurgie. Comme l’usage des rapports sur quelque matiere que ce soit, n’a été établi en justice que pour connoître des vérités dont les juges ne peuvent pas s’instruire par eux-mêmes, leurs lumieres toutes pénétrantes qu’elles soient, ne suffisant pas pour les éclaircir à fond du détail de tous les faits qui concernent les différentes professions des hommes, il a été d’une grande importance, particulierement à l’égard des rapports en Chirurgie, qui peuvent quelquefois décider de la vie ou de la mort des accusés, d’engager les Chirurgiens à ne se point éloigner de la vérité dans la relation des faits qui dépendent de leur art.

Or comme il se trouve peu de gens si confirmés dans le mal, qui ne soient intimidés par la religion du serment, c’est avec raison que l’on a ordonné que tous les autres titres dont les Chirurgiens pourroient être revêtus, ne rendroient point leurs rapports valables, s’ils ne s’étoient astreins par un serment exprès, à faire ces actes avec fidélité.

C’est aussi pour cela, que de quelque caractere que les Chirurgiens soient pourvus, ils ne sont admis par aucun juge civil ou criminel à faire des rapports en Chirurgie, qu’après avoir prêté ce serment entre ses mains ; & même que les juges subalternes sont toujours bien fondés à demander ce même serment dans les cas extraordinaires aux Chirurgiens qu’ils nomment d’office pour faire des rapports, quand même ils ne pourroient pas ignorer que ces dénommés ne l’eussent déja fait en des cours supérieures. C’est donc ce serment qui est la premiere condition essentielle à la validité des rapports ; cependant les juges n’admettent à ce serment que des maîtres chirurgiens qui ont un titre qui réponde de leur suffisance.

Des conditions requises pour bien faire les rapports proprement pris. Il faut qu’un chirurgien, pour se bien acquitter de sa fonction en faisant les trois sortes de rapports proprement dits, observe nécessairement plusieurs choses.

1°. Il doit les faire dans un esprit d’équité, & avec une intégrité qui soit à toute épreuve ; de maniere qu’elle ne puisse être ébranlée par des offres avantageuses, ni séduite par les prieres de ses proches, & qu’elle le rende sourd aux instances de ses amis, aux sollicitations des puissances, & de tous ceux à qui il est redevable des bienfaits les plus insignes.

2°. Il faut qu’un chirurgien integre examine tout par lui-même, & qu’il ne s’en rapporte en aucune façon à ses collegues, ou à ses serviteurs, dont l’ignorance & l’infidélité pourroient le faire tomber en faute sans le savoir. C’est néanmoins à quoi beaucoup de chirurgiens manquent, principalement à Paris, où il y a un grand nombre de privilégiés, qui n’ayant pas de titre pour faire des rapports, engagent un maître à les signer pour eux ; ce que ces maîtres font trop légerement sur la foi de ces subalternes, sans voir les blessés ou les malades pour qui les rapports sont faits.

3°. Un chirurgien judicieux est obligé à ne rien dire d’affirmatif dans son rapport sur les causes absentes, sur les douleurs, & généralement sur tout ce qui ne tombe pas sous les sens ; parce que le récit qui lui en est fait, soit par le malade même, ou par les assistans, lui doit toujours être suspect.

4°. Il doit prendre toutes les précautions possibles,

pour l’empêcher d’être trompé par des maladies feintes, par des contorsions, ou des convulsions simulées, du sang seringué, des tumeurs apparentes, des contusions en peinture, ou par de semblables artifices ou fourberies.

5°. Il doit faire ses pronostics d’une maniere douteuse, parce que l’événement des maux & des blessures est toujours incertain ; & il vaut mieux dans les faits de conséquence, suspendre son jugement, que d’être trop décisif, particulierement quand il s’agit de prédire la mort, ou d’assurer la guérison des blessés.

6°. Il est encore absolument nécessaire qu’il marque avec précision dans les rapports, la largeur & la profondeur des plaies, & qu’il désigne bien les signes par lesquels on peut juger de la lésion des parties intérieures.

7°. Il doit faire son possible pour bien déclarer l’essence des blessures, pour bien exprimer les accidens qui les accompagnent, & pour déterminer ensuite ce que l’on en peut espérer, & ce que l’on en doit craindre, l’ordre qu’il faudra tenir dans la curation, dans quel tems à-peu-près elle pourra être accomplie ; le régime que l’on doit faire observer aux malades, ou aux blessés ; s’ils doivent rester au lit ou non, & s’ils ne pourront point vacquer à leurs affaires dans le tems même de leur traitement.

8°. Il faut encore qu’il observe avec soin si les blessures pour lesquelles le rapport est requis ou ordonné, ont été les véritables causes de la mort, de l’impuissance, ou des autres accidens qui sont arrivés au blessé ; & cette instruction est très-nécessaire dans la procédure criminelle ; parce que si le blessé est mort par une autre cause que celle de la blessure qu’il a reçue, celui qui l’a blessé n’est pas responsable de sa mort, sa blessure n’ayant pas été mortelle par elle-même.

9°. Le chirurgien qui fait son rapport, ne doit pas négliger de marquer si le blessé l’est venu trouver pour être visité ou pansé, ou s’il a été requis de se transporter chez lui pour en faire la visite & le pansement ; en ce cas, il doit marquer s’il l’a trouvé couché ou debout, vaquant à ses affaires, ou dans l’impuissance d’y donner ses soins.

10°. Il ne doit rien oublier de tout ce qui peut donner au juge quelque éclaircissement, pour juger avec équité & avec connoissance de cause : il doit sur tout cela s’exprimer en termes clairs & intelligibles, & ne se point mettre en peine d’étaler son prétendu savoir, en affectant de se servir de termes barbares & d’école, comme font plusieurs chirurgiens, qui croyent ne parler savamment, que lorsqu’ils ne sont point entendus.

11°. Un chirurgien judicieux doit bien prendre garde de ne pas passer d’un excès à l’autre, & sous prétexte de bien éclaircir un fait, de ne pas charger ses rapports d’une longue suite de raisonnemens. Ces sortes de discours scientifiques ne peuvent être plus mal employés dans un récit, dont la perfection dépend de sa simplicité, de sa précision, & de sa briéveté, accompagnée d’une grande exactitude dans la vérité des faits. Or cet avis n’est pas donné sans raison, puisqu’il s’est trouvé des chirurgiens assez extravagans, pour tracer des figures géométriques dans leurs rapports, & assez peu sensés pour s’imaginer qu’ils se rendroient recommandables aux juges, en leur faisant voir qu’ils pouvoient démontrer géométriquement l’effet des forces mouvantes, & la pesanteur des corps liquides, &c.

12°. Il ne doit pas présumer de son savoir & de sa capacité, jusqu’au point de se croire infaillible ; en sorte qu’une telle présomption l’empêche de prendre conseil dans les choses douteuses & difficiles ; parce que l’amour-propre aveugle celui qu’il obsede,