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ceres du bas-ventre, & sur-tout le foie, sont beaucoup plus gros qu’à l’ordinaire ; du reste, les glandes du mesentere sont gorgées, plus apparentes & plus dures ; les poumons sont à la vérité plus petits, mais les parois retrécies du thorax s’opposoient à leur accroissement ; on les trouve en revanche surchargés d’humeurs, remplis de concrétions ; quelquefois de petits abscès, & presque toujours adhérans à la plevre. Le cerveau n’offre rien de remarquable qu’un volume bien au-delà du naturel ; toutes ces parties sont munies de nerfs qui sortent du cerveau : les parties musculeuses externes, les extrémités qui n’ont que des nerfs spinaux sont toutes dans l’amaigrissement ; d’où l’on a tiré une conclusion qui n’est pas sans fondement, donc il y a un engorgement dans la moëlle épiniere qui empêche la distribution du suc nourricier par les nerfs auxquels elle donne naissance ; il doit donc refluer dans les nerfs que fournit le cerveau absolument libre ; de là le prompt accroissement de cet organe & de tous ceux qui en dépendent ; de là aussi le développement de l’esprit, sa vivacité prématurée proportionnée à la force des nerfs, à la facilité avec laquelle ils reçoivent & retiennent les impressions, & forment les idées, tant le matériel influe sur le spirituel des opérations de l’ame. Il faut, suivant ce système, reconnoître que les nerfs sont les principaux organes de la nutrition ; & par conséquent, priver de cette fonction les extrémités capillaires des vaisseaux sanguins ou lymphatiques, que la théorie ordinaire leur avoit accordée ; mais je ne vois rien dans cette idée que de très-vraissemblable & très-conforme aux expériences, aux observations & aux lois bien connues de l’économie animale. C’est une expérience connue que la section totale d’un nerf fait tomber dans l’atrophie la partie dans la quelle il se distribuoit ; il paroit d’ailleurs que l’humeur qu’on observoit dans les nerfs est plus propre à cet usage qu’à exécuter les mouvemens & les sensations, à quoi les nerfs solides auroient pû suffire ; en creusant cette opinion, on y trouveroit la solution satisfaisante de plusieurs phénomenes regardés comme inexplicables ; nous sommes obligés de passer sous silences ces détails intéressans qui ne seroient pas ici à leur place. Voyez Nerf. Revenons à notre sujet ; la courbure des os & la grosseur de leurs épiphyses dépendent de leur ramollissement, des obstacles qui se trouvent dans le corps de l’os, qui retiennent toutes les humeurs dans les extrémités spongieuses & faciles à se dilater. Plusieurs auteurs ont pensé que les os étoient courbés par la force des muscles, qui dépourvûs de nourriture, restoient toujours de la même longueur, par conséquent ne pouvoient s’étendre, s’alonger sans faire un arc afin que les deux extrémités conservassent toujours la même distance entre elles, mesurée par la longueur constante du muscle. Cette explication est éclaircie par la comparaison d’un arbre qui seroit tiré par une corde ; il seroit obligé en croissant d’obéir à cette action, & de se couder ; elle est encore fondée sur ce théoreme de Géométrie, que toute ligne posée entre deux points fixes ne sauroit s’alonger sans devenir oblique, ou courbe ; ce qui y ajoute un nouveau poids, c’est l’observation qui fait voir que les os ne se plient que du côté où il y a des muscles qui tirent ; par exemple, que la jambe est convexe par-devant, & courbée en arriere du côté qui donne attache au solaire, aux gastronumieres, &c. Cette remarque n’a pas échappé aux bonnes femmes qui se mêlent de traiter les enfans rachitiques ; elles ont toujours soin d’appliquer les remedes, de faire les frictions du côté concave, & le succès justifie la bonté de leur méthode.

Cette maladie fâcheuse par les accidens qu’elle entraîne & qui servent à l’établir, l’est encore plus par les suites funestes qu’elle manque rarement d’attirer

lorsqu’elle n’est pas prévenue par une mort prochaine ; c’est dans les premiers instans où l’enfant jouit de la vie, que doivent se jetter les fondemens d’une santé durable. Mais quels affreux commencemens ; il n’est pas un seul viscere qui soit dans son assiete naturelle, & qui exerce ses fonctions d’une maniere convenable ; alors se forme ces dérangemens qui sont le noyau des maladies longues, habituelles, qui se développeront après un certain âge, ou de cet état languissant & maladif qui n’aura d’autres bornes que celles de la vie ; victimes infortunées, elles commencent à souffrir en naissant, & sont destinées à des souffrances presque continuelles. Telle est l’horrible perspective qui se présenteroit à leurs regards, si leur vue pouvoit percer dans l’avenir ; la mort d’un côté, & de l’autre la vie la plus desagréable, cent fois plus à craindre que la mort ; & le tout pour expier innocemment les crimes & les débauches de leurs parens, ou l’intempérance & les vices d’une malheureuse nourrice. Souvent à l’incommodité d’une foible santé se joint le desagrément d’une mauvaise conformation ; il n’est pas rare de voir les enfans rachitiques devenir bossus ou boiteux à l’âge de sept à huit ans, & être ainsi défigurés pour le reste de leurs jours ; peut-être que la gibbosité & le rachitis ne sont que les divers périodes d’une même maladie dépendante d’une cause commune. On doit s’attendre que ces accidens succedent au rachitis, s’il n’est pas terminé & détruit entierement à l’âge de cinq ans : la mort est à craindre s’il a dégénéré en phtisie, en fievre lente, en hydropisie de poitrine ou de bas-ventre ; si les autres symptomes sont considérables, si la disproportion des parties est notable, & l’amaigrissement extrème, si l’enfant est né rachitique, ou si cette maladie s’est déclarée peu de tems après la naissance, elle est en général d’autant plus dangereuse, qu’elle a commencé plûtôt. On peut espérer de la guérir dans les cas contraires ; la guerison n’est pas eloignée dès que les symptomes commencent à diminuer ; les éruptions cutanées survenues pendant le rachitis sont d’un très-bon augure ; elles annoncent & operent la guérison ; on vient aussi plus aisément à bout du rachitis qui provient du défaut de régime, de la mauvaise constitution de l’air, de la suppression de la gale, de la teigne, &c. que de celui qui est héréditaire ; enfin on peut toujours fonder quelque espérance sur les résolutions générales qui arrivent fréquemment aux enfans, & sur celle enfin qui est plus remarquable à l’âge de puberté.

Lorsqu’on entreprend le traitement d’un enfant rachitique, il ne faut pas oublier que les différens remedes que la Pharmacie fournit font moins d’effets à cet âge que dans d’autres, & qu’ils sont plus souvent pernicieux ; ainsi on doit bien se garder de surcharger de médicamens ces machines délicates, déja assez affaissées par la maladie : ajoutez à cela que les enfans encore dans l’état de nature, plus conduits par les sensations agréables ou le plaisir, que par la raison, répugnent toujours aux remedes dont le goût est pour l’ordinaire détestable, & refusent absolument de les prendre. C’est pourquoi il faut principalement compter sur les secours que le régime fournit ; & en conséquence si l’enfant est encore en nourrice, lui en procurer une bien portante, & qui ait le moins de mauvaises qualités, ou à son défaut, nourrir l’enfant avec du lait de chevre ou de vache, qui trop épais a besoin d’être coupé avec de l’eau, ou avec la décoction de quelque plante appropriée, mais qui n’ait point de goût desagréable, telle qu’est le chiendent ; car il ne faut pas leur donner de la répugnance pour les alimens en en corrompant la saveur. Si l’enfant peut supporter des alimens plus solides, on aura soin de ne lui en présenter que de facile digestion, secs & sans graisse, assaisonnés même de quelque léger aromate ; leur boisson doit être de l’eau aiguisée de quelques