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casu pro signis usi. Mais ce qu’il ajoute ensuite fait connoître qu’il la confond, aussi-bien que S. Jérome, avec la bélomancie : Eundem ad modum, dit-il, Nabuchodonosor vaticinabatur ut Ezechiel habet.

On confond assez ordinairement ces deux sortes de divination, car les septante traduisent le הצמ d’Ezechiel par le mot grec ραϐδος, quoique le mot hébreu signifie une fleche. Il est cependant certain que les instrumens de divination dont Osée fait mention, sont différens de ceux dont parle Ezéchiel ; car le premier dit עצו etso, כןמלו maklo, bois, bâton ; & le dernier écrit הצמ hhitsim, fleche. Au reste il se peut faire qu’on se servît de baguettes ou de fleches indifféremment, les gens de guerre de fleches, & les autres de baguettes.

Rabbi Moïse Samson, dans l’explication du cinquante-deuxieme précepte négatif, explique ainsi la divination par les bâtons dont il est parlé dans le ch. jv. d’Osée. « On écorçoit, dit-il, seulement d’un côté & dans toute sa longueur un baguette qu’on lançoit en l’air ; si en retombant elle présentoit à la vue sa partie écorcée, & qu’en la jettant une seconde fois elle montrât le côté qui n’étoit pas dépouillé de son écorce, on en tiroit un heureux présage. Au contraire il passoit pour funeste quand à la premiere chûte la baguette montroit le côté écorcé ; mais quand à toutes les deux fois elle présentoit la même face, soit couverte, soit dépouillée, on en auguroit que le succès seroit mêlé de bonheur & de malheur ». Apud Delroi. liv. IV. ch. ij. sect. 3. quæst. 7. pag. 561. Or ce n’étoit point-là la bélomancie, dans laquelle on se contentoit de marquer deux fleches de certains caracteres relatifs à l’événement qu’on méditoit ; on les lançoit en l’air, & selon qu’elles retomboient à droite ou à gauche, en avant ou en arriere, on en auguroit bien ou mal pour l’entreprise en question. Quoi qu’il en soit, toutes ces pratiques étoient egalement condamnables.

Ce n’étoit pas chez les Hébreux seuls qu’elles étoient en vogue. Strabon, liv. XIV. rapporte celle dont se servoient les Perses ; & selon Cælius Rhodiginus, leurs mages employoient à cet effet des branches de laurier, de myrte, & des brins de bruyere. Les Scythes se servoient de baguettes de saule ; & les Tartares, qui en sont descendus, ont aussi une espece de rabdomancie, si on en croit Paul Vénitien, l. I. c. xliij. Les Algériens dans la Barbarie en ont encore une autre espece.

Elle a été également connue en occident. Voici comment Tacite s’exprime sur celle des Germains, dans ce qu’il a écrit des mœurs de ces peuples. « Ils sont, dit-il, fort adonnés aux augures & aux sorts, & n’y observent pas grande cérémonie. Ils coupent une branche de quelque arbre fruitier en plusieurs morceaux, & les marquent de certains caracteres, puis les jettent à l’aventure sur un drap blanc : alors le prêtre ou le pere de famille leve chaque brin trois fois, après avoir prié les dieux & les interpretes, selon les marques qu’il y a faites ». Ammien Marcellin, l. XXXI. représente ainsi la rabdomancie des Alains : « Ils devinent, dit-il, l’avenir d’une maniere merveilleuse : les femmes coupent des baguettes bien droites, ce qu’elles font avec des enchantemens secrets & à certains jours marqués exactement. Ils connoissent par ces baguettes ce qui doit arriver ».

On peut rapporter à cette espece de divination, la fameuse fleche d’Abaris, sur laquelle les anciens ont débité tant de fables qu’on peut voir dans Bayle, & la baguette divinatoire qui a fait tant de bruit sur la fin du siecle dernier.

On entend communément par la baguette divinatoire, une petite branche de quelque arbre que ce soit, qui tourne sur tout ce qu’on veut découvrir,

quand on vient à passer par-dessus ou à s’en approcher. Dans les premiers tems de l’usage de cette baguette, on se servoit d’une petite houssine de coudre ou d’amandier ; mais dans la suite on a employé des baguettes de toute sorte de bois : on s’est même servi de verges de fer, d’argent, de fil-d’archal, &c. Les gens à baguettes se sont servi de baguettes figurées de trois différentes manieres : 1°. les uns se sont servi de baguettes fourchues par le milieu, qu’ils tenoient des deux mains la pointe en haut ou en bas, ou parallele à l’horison. Voyez la fig. A.

2°. D’autres se servoient d’une baguette toute droite, ou fourchue au bout, comme dans les fig. B. C. qu’ils tenoient d’une main, ou qu’ils mettoient sur le dessus ou sur le dedans de la main dans une ligne parallele à l’horison.

3°. D’autres enfin se servoient d’une baguette coupée en deux parties, dont l’une étoit pointue par un bout pour entrer dans l’autre, dont le bout étoit creux, telle qu’on la voit dans la fig. D. & ils tenoient cette baguette par l’extrémité des doigts de différente main.

La baguette tourne dès qu’on passe sur quelque chose qu’on veut découvrir, soit eaux, soit métaux, soit voleurs, soit bornes de champs, soit reliques de saint, &c. Ce mouvement est quelquefois si violent, que la baguette se brise quand on ne la laisse pas libre.

Dès 1671 on avoit écrit sur la baguette divinatoire, & les effets en étoient connus ; mais rien ne la mit plus en vogue que les découvertes que fit ou prétendit faire par ce moyen Jacques Aymar, paysan né en Dauphiné le 8 Septembre 1622. C’étoit par elle, disoit-on, qu’il avoit découvert les auteurs d’un assassinat commis à Lyon : sa baguette avoit remué sur la serpe qui avoit servi à l’un d’eux ; elle avoit encore remué sur la table d’une hôtellerie où ils avoient mangé ; enfin elle l’avoit conduit dans les prisons de Beaucaire, où ils étoient détenus. Ce phénomene excita bien-tôt l’attention du public : Aymar vint à Paris, & en imposa d’abord aux yeux les moins clairvoyans ; mais ses ruses n’échapperent pas à ceux du prince de Condé, qui fit cacher de l’or & de l’argent en plusieurs trous de son jardin, que ce faux devin ne trouva pas. Il avoua même au prince de Condé que par un mouvement insensible du poignet il faisoit tourner la baguette.

Mais l’imposture d’Aymar ne prouve pas qu’il y en ait dans toutes les autres personnes qui ont fait usage de la baguette, puisque le P. le Brun. dans son histoire critique des superstitions, tome II. p. 332 & 333, atteste, comme témoin oculaire, qu’un président du parlement de Grenoble lui ayant dit que la baguette avoit tourné plusieurs fois entre ses mains, & le P. le Brun ne pouvant le croire, l’occasion se présenta peu de jours d’en faire l’expérience au Villars, près de Tencin, l’une des terres du président. « Je tins, dit le P. le Brun, la main droite du président avec mes deux mains ; une autre personne lui tint la gauche, dans une allée du jardin sous laquelle il y avoit un tuyau qui conduisoit de l’eau dans un bassin ; en un instant la baguette se tordit si fort entre ses mains, que M. le président demanda quartier, parce qu’elle lui blessoit les doigts ». M. le Royer, avocat à Rouen, & juge des gabelles, & M. le Gentil, religieux prémontré, prieur de Dorenie, près de Guisex, & plusieurs autres personnes fort au-dessus de tout soupçon d’imposture, ont fait usage de la ba-