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C’est en fortifiant ses quartiers que César sut mettre les siens en état de se soutenir contre l’ennemi dans les Gaules. On voit dans ses commentaires l. V. qu’après sa seconde expédition d’Angleterre, il fut, contre sa coutume ordinaire, contraint de les disperser en différentes provinces voisines pour la commodité des subsistances, à cause de la disette que la sécheresse avoit occasionnée dans le pays. Ils étoient renfermés dans une étendue d’environ trente-trois lieues & non point de vingt-cinq, comme le dit d’Ablancourt. César, pour veiller plus particulierement à leur sûreté, prit le parti de demeurer dans les Gaules jusqu’à ce que les troupes fussent bien établies & bien fortifiées dans leurs quartiers. Celui de Sabinus & de Colta ayant été battu & détruit par la ruse que les Gaulois employerent pour engager les troupes à en sortir, le quartier de Ciceron, frere de l’orateur, qui étoit en Hainaut fut attaqué par les Gaulois des environs ; mais la résistance qu’ils y trouverent donna le tems à Cesar de venir au secours de ce quartier, ce qui obligea les Gaulois de se retirer.

Tel est l’effet qu’on doit se promettre des quartiers retranchés ou fortifiés ; ils donnent le tems au général de venir au secours de ceux qui sont attaqués, & de faire avorter le dessein de l’ennemi. C’est à la vérité un travail un peu fatiguant pour les troupes qui ont alors besoin de repos ; mais elles en sont bien dédommagées par la sûreté & la tranquillité dont elles jouissent ensuite dans les quartiers.

Chaque quartier doit être composé de cavalerie & d’infanterie en nombre suffisant pour le défendre & relativement aux vivres que le pays peut fournir. La cavalerie sert à faire des courses pour étendre les contributions ; l’infanterie est particulierement destinée à la défense du quartier. Chacune de ces deux especes de troupes doit être plus ou moins nombreuse suivant la nature du pays ; c’est-à-dire qu’il est plus montueux ou uni, & plus ou moins abondant en fourrage.

On fait quelquefois des quartiers de cavalerie seulement, on en fait aussi qui n’ont que de l’infanterie. Dans ce cas les quartiers de cavalerie doivent être dans des lieux sûrs, qui soient, dit M. le marquis de Santa-Crux, de défense par eux-mêmes, parce-que la cavalerie n’est pas si bonne que l’infanterie pour défendre un poste fermé.

Une attention qu’on ne doit point négliger dans l’établissement des quartiers, c’est qu’il y ait entr’eux des communications sûres que l’ennemi ne puisse pas couper. Pour cet effet il faut garder & fortifier les gués & les ponts, s’emparer de tous les bacs qui servent au passage des rivieres, & convenir de différens signaux pour que les quartiers s’avertissent réciproquement de tout ce qui peut leur arriver & des secours dont ils peuvent avoir besoin.

Dans un pays ennemi qu’on ne peut pas présumer de garder, on s’attache à l’épuiser autant que l’on peut pour le mettre hors d’état de fournir des secours à l’armée opposée.

On regle la contribution que les peuples doivent payer relativement à la richesse & au commerce de chaque lieu ; on fixe les termes du payement, & l’on menace les habitans de les exécuter militairement s’ils n’y satisfont point. Lorsque cette menace ne produit rien & qu’on a des preuves que c’est par mauvaise volonté de leur part, on fait vendre les meubles & les bestiaux & l’on enleve tout ce que l’on peut. Ces moyens, il faut en convenir, répugnent extrêmement à l’humanité : il doit être bien dur aux ames sensibles & bienfaisantes d’y avoir recours ; mais tel est le malheur de la guerre, qu’on croit pouvoir en justifier toutes les horreurs par les avantages qu’on en retire pour soi-même, ou par le mal & le préjudice que l’on cause à l’ennemi.

On ne parlera point ici du détail de l’emploi des troupes dans les quartiers ; le génie, l’intelligence & la pratique de la guerre doivent suggérer tout ce qu’il convient de faire, selon les lieux & les circonstances, pour faire manquer tous les desseins de l’ennemi. Nous remarquerons seulement qu’un des principaux moyens d’y parvenir est de se procurer des espions de toute espece. Il faut en avoir parmi les troupes, parmi les habitans des lieux que l’ennemi occupe, & même parmi ceux à qui il donne sa confiance, ou qui peuvent être instruits de ses desseins. Il faut avoir l’adresse de les découvrir & de les intéresser. En prodiguant l’argent à-propos pour ce sujet, on ne doit jamais manquer d’espions. L’avidité du gain, ou l’envie de satisfaire quelquefois de prétendus mécontentemens particuliers, ne fournissent que trop de gens capables de sacrifier leur devoir & leur patrie pour se satisfaire. Il ne s’agit que d’employer un peu d’art pour les connoître, & pour se les attacher ; art que le maréchal de la Vielleville possédoit supérieurement. Il savoit discerner parmi les habitans des lieux que ses troupes occupoient, ceux qui pouvoient lui donner des lumieres sur la conduite de l’ennemi, il ne négligeoit rien pour se les attacher. On voit dans les mémoires de sa vie, qu’il devoit à ses espions le succès de la plupart de ses entreprises, particulierement de celles qu’il fit pendant le siege de Metz, qui ne contribuerent pas peu à la levée de ce fameux siege.

Il seroit peut-être à-propos de dire un mot de ce qui concerne les attaques & les enlévemens de quartiers ; mais ce que nous avons dit des précautions qu’il faut prendre pour les mettre à couvert de ces sortes d’entreprises, suffit pour donner une idée des occasions dans lesquelles on peut les tenter ; c’est-à-dire lorsqu’ils ne sont point à portée de se soutenir réciproquement ; que leurs communications peuvent être coupées ; que les postes qu’ils occupent ne sont point en état de défense ; que le service s’y fait avec beaucoup de négligence ; & enfin lorsqu’ils sont commandés par des officiers inappliqués, qu’on peut se flater de surprendre & de faire tomber dans les différens pieges qu’on aura l’adresse de leur tendre. Ceux qui voudront un détail plus circonstancié sur ce sujet, pourront avoir recours aux mémoires de M. le marquis de Feuquiere, tom. III. où il traite des surprises de postes & des enlevemens de quartiers.

Les quartiers dans un siege, sont les différens lieux qu’occupent les troupes campées dans les lignes, sous les ordres d’un officier général, subordonné néanmoins au général en chef. Telle étoit, au moins anciennement, la formation des quartiers dans le siege des places ; & telle est encore celle qu’on observe aujourd’hui dans les armées composées de troupes de différens princes, qui ont chacune leur général particulier. En France il n’y a point actuellement d’autre quartier dans un siege que celui du général. Mais on donne quelquefois le nom de quartier à un certain nombre de troupes qui occupent différentes parties des lignes. Ainsi on dit le quartier de la droite & de la gauche, du centre, &c. pour exprimer le lieu que les troupes occupent dans ces différentes parties de la ligne de circonvallation.

En donnant ainsi le nom de quartier aux différens terreins des troupes dans la circonvallation, ce qu’il y a de plus essentiel à observer à cet égard, c’est que tous ces quartiers ayent entr’eux des communications sûres & commodes pour se soutenir réciproquement. On doit, lorsqu’il y a des rivieres ou des marais qui séparent les troupes, faire dessus grand nombre de ponts pour qu’elles se transportent promptement d’un lieu dans un autre, sans être obligées de défiler sur un trop petit front, qui retarde trop le secours & la protection qu’elles se doivent mutuellement.

Il n’est point d’usage aujourd’hui de fortifier au-