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puisse atteindre. Il vous montre la vertu sous un point-de-vûe qui vous étonne, mais qui vous enflamme. Sextius assied le sage à côté de Jupiter. La nuit, lorsqu’il étoit retiré, & que tout étoit en silence autour de lui, il s’interrogeoit & se disoit : de quel vice t’es-tu corrigé ? quel bien as-tu fait ? en quoi es-tu devenu meilleur ? Il avoit eu le pythagoricien Sotion pour instituteur. Celui-ci l’avoit déterminé à l’abstinence de la chair. En effet, n’y a t-il pas assez d’autres alimens, sans user du sang ? N’est-ce pas encourager les hommes à la cruauté, que de leur permettre d’enfoncer le couteau dans la gorge des animaux ? Cependant ce régime austere étant devenu une espece de scandale sous le regne de Tibere, & ceux qui s’y conformerent se rendant suspects d’hétérodoxie, le pere de Sextius conseilla à son fils de mieux souper à l’avenir, s’il ne vouloit pas s’exposer à quelque affaire sérieuse. La tâche que Sextius s’étoit imposée, lui parut si forte à lui-même, que ne pouvant ni l’abandonner, ni y satisfaire, il fut quelquefois sur le point de se précipiter dans la mer. Il eut pour disciples Flavianus, Lucius Crassitius de Tarente, surnommé Paside, Pansa & Julius Antonius, fils du triumvir.

Le centon de maximes moitié pythagoriques, moitié stoïciennes & chrétiennes, qui portent le nom de Sextus ou de Sextius, n’est point de notre philosophe. C’est une de ces productions supposées, telles qu’il en parut tant pendant les premiers siecles de l’Eglise ; les Payens, les Chrétiens, les orthodoxes & les hérétiques, cherchant tous également à appuyer leurs sentimens de quelques grandes autorités.

Sotion parut sous les regnes d’Auguste & de Tibere. Il eut Séneque pour disciple. Sa doctrine fut pythagorico-stoïcienne, c’est-à-dire qu’il admit la métempsycose, & qu’il s’abstint du vin & de la chair des animaux.

Moderat vécut sous Néron. Il étoit de Gades, île de la mer Atlantique. Origene, Porphyre, Jamblique, & les autres philosophes de l’école d’Alexandrie, firent cas de ses ouvrages. Sa doctrine fut platonico-pythagorique.

On compte encore parmi les sectateurs ou Pythagorisme renouvellé, Alexicrate, Eugene, Arcas, précepteur d’Auguste, & quelques autres.

Nous voici enfin parvenus à un des noms les plus célebres parmi les hommes ; c’est celui d’Apollonius de Thyane. On peut écrire des volumes de la vie de ce philosophe, ou l’expédier en quelques lignes, selon le parti qu’on prend, ou d’exposer le détail infini des fables qu’on a débitées sur son compte, ou de s’en tenir au peu de vérités qu’on en sait. Les philosophes ecclectiques de l’école d’Alexandrie, les ennemis les plus violens que l’Eglise ait eu dans sa naissance, n’ont rien obmis pour l’opposer avec avantage à J. C. Il est né d’un dieu. Sa venue est annoncée par des prodiges. Il étoit destiné à être un jour le restaurateur du genre humain. Il paroît parmi les hommes. Son enfance, son adolescence, toute sa vie est marquée par des prodiges. Il a toutes les qualités possibles de l’ame & du corps. Il sait toutes les langues. Il parcourt toutes les contrées. Il est instruit de toutes les connoissances & de toute la sagesse des nations. Jamais on n’a fait tant de mensonges & si maladroitement. Peut-être Apollonius a-t-il en effet voyagé dans l’Orient, dans l’Inde, en Asie, dans les Gaules, dans l’Italie ; peut-être a-t-il vu & sçu beaucoup ; peut-être a-t-il été un grand philosophe, un génie très-extraordinaire. Mais on est parvenu à rendre tout également incroyable, par la puérilité, la sotise, les faussetés qui percent de toutes parts dans son histoire. On lui donne pour compagnon un certain Damis, le plus stupide personnage qu’on puisse imaginer ; & il a pour historien Philostrate, menteur d’u-

ne impudence qui ne se conçoit pas. Laissons donc là

sa vie & ses prodiges, & parcourons rapidement quelques-uns des principes de sa philosophie. Appollonius disoit, à ce qu’on prétend, car il est plus facile encore de supposer à un homme des discours que des actions.

Le philosophe s’unira d’amitié avec le philosophe, il négligera le grammairien & le sophiste.

La vertu s’acquiert par l’exercice & par l’institution. La nature nous y dispose. Il faut tout entreprendre pour elle.

La connoissance de la vérité est la tâche du philosophe.

Le philosophe fuit les bains, sort peu, craint de souiller ses piés, cherche en tout la pureté, dans ses vêtemens mêmes, s’occupe de la divination, souffre les peines du corps, purge son ame du vice, mange seul, se tait volontiers, s’abstient du vin & de la chair des animaux, a peu de besoins, évite le méchant, a toujours un bon conseil à donner, sa bourse ouverte à ses amis, du sang à répandre pour sa patrie, & sa liberté à garder.

Comment ne mépriseroit-il pas la richesse ? tant d’autres l’ont fait par des motifs indignes de lui.

Il ne vendra point ses connoissances.

Il regardera l’univers comme sa patrie, & tous les hommes comme ses freres. Nous descendons tous de Dieu.

Qu’exigerez-vous du pythagoricien ? L’art de donner des lois aux peuples, la connoissance de la Géométrie, de l’Astronomie, de l’Arithmétique, de l’harmonie, de la Musique, de la Médecine, & de la Théurgie ? Vous en exigerez davantage encore, l’élévation de l’ame, la gravité, la constance, la bonne renommée, la vraie théologie, l’amitié sincere, l’assiduité, la frugalité, l’intégrité des sens, l’agilité, l’aisance, la tranquillité, la vertu, le bonheur.

Le magicien est le ministre des dieux. Celui qui ne croit point à la Magie est athée.

Ayez de la pudeur pour celui qui en manque, & voilez votre visage devant l’homme qui s’énorgueillit d’une sotise.

Qu’est-ce que la prudence, sans la force ? Qu’est-ce que la force, sans la prudence ?

L’ame ne se repose point.

Rien ne périt. Il n’y a que des apparences qui naissent & qui passent.

S’il y a passage de l’état d’essence à l’état de nature, il y a génération.

S’il y a passage de l’état de nature à l’état d’essence, il y a mort.

A proprement parler, il n’y a ni génération, ni corruption. Il y a succession d’états. Il y a apparence grossiere de nature, & ténuité d’essence. L’intervalle est occupé par ce qui change, paroît & disparoît. L’essence est toujours la même ; mais son mouvement & son repos different. Un tout se résout en parties. Des parties reforment un tout. Voilà l’automatisme général.

La matiere est contenue comme dans un vase éternel, où rien ne survient, & d’où rien ne s’échappe ; mais ou ce qui est sensible cesse de l’être, & ce qui ne l’étoit pas le devient, ou des choses tendent à la simplicité de l’unité, & d’autres se composent.

Entre les choses visibles, il n’y a nul mode commun à tous les individus, mais tout mode de ce qui est un, est mode d’une chose singuliere.

L’essence premiere, la seule qui fasse & souffre, qui est toute en tout, est le dieu éternel, qui perd son nom dans nos langues, par la multitude & la variété des êtres à désigner.

L’homme se divinise en mourant : il change de mode, mais non de nature & d’essence. Il est donc mal de pleurer la mort ; il faut la révérer, & aban-