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port, la compagnie se trouve en état d’en porter son jugement.

Nous avons dans le mémoire de l’auteur tout le détail qu’il falloit pour estimer avec une précision suffisante le poids total des différentes parties de sa machine ; mais comme il s’étoit renfermé dans la description du pont qu’il propose, il avoit négligé de traiter des pieces des autres sortes de ponts, dont cependant nous ne pouvons nous passer pour la comparaison ; c’est dans le dessein d’y suppléer, que conformément à ce que je proposai à la compagnie, & de l’avis des autres commissaires, j’ai été chercher chez M. de Valiere les instructions qui nous manquoient ; celles que nous y avons prises, ne sont pas telles que nous pourrions le desirer, afin d’apprécier le tout avec la derniere exactitude, néanmoins nous avons cru devoir compter sur les connoissances d’un homme aussi consommé dans toutes les parties qui tiennent directement ou indirectement à l’artillerie, pour en faire usage dans notre rapport ; en joignant aux notions qu’il nous a fournies, les nôtres particulieres & celles que nous avons ramassées d’ailleurs, nous essayerons de donner une idée complette de la chose, ce qui relativement à la matiere dont il est question, ne peut être qu’intéressant.

Il nous a paru utile, pour ne rien laisser en arriere, de parler de toutes les especes de grands ponts à l’usage des armées ; ces ponts se font de trois manieres : les uns se construisent par le secours des bateaux des rivieres, qui trop grands pour être transportés par charrois, ne sont conduits qu’au moyen de la riviere même ; ces ponts sont de tous les plus commodes, lorsqu’il est possible de les construire, ils se trouvent à l’abri des inconvéniens qui accompagnent la construction des autres, soit à cause de l’intervalle que laissent entr’eux de si grands bateaux, soit à cause de la commodité de transporter sans frais, les pieces, les ancres & les agrêts qui y servent ; on sent bien qu’il est inutile d’entrer dans aucun détail sur ces ponts, puisqu’ils n’ont aucun rapport avec celui proposé pour le transport, relativement à son poids ; nous ne devons examiner sur cette partie que les ponts qui se transportent ; ces ponts sont de deux sortes : les uns se font avec des pontons de cuivre, nous en rendrons d’abord compte : les autres se font avec des bateaux de bois transportés sur des haquets, & nous en parlerons ensuite ; ce que nous dirons de la construction de chacun de ces ponts, est relatif à une largeur de 102 toises, & ce sera pour la même largeur que nous parlerons du nouveau pont proposé.

Un pont fait de pontons peut se construire pour une largeur de 102 toises avec 60 pontons de cuivre distribués tant plein que vuide, tous munis de leurs ancres & agrêts ; tous ces pontons sont chargés de six poutrelles de sapin, posées parallelement entr’elles sur les pontons, autant qu’il est possible, d’un des bords de la riviere à l’autre ; chaque poutrelle est de 12 piés de long sur six pouces d’équarrissage. L’on emploie pour tout le pont 366 poutrelles, à cause qu’elles ne se répondent pas bout à bout, mais qu’il faut environ un pié de chevauchement par le côté de part & d’autre : ces poutrelles réduites, ainsi qu’il vient d’être expliqué, & fixées sur les bords du ponton par des goujons, ne sont placées que sur une espace de 10 piés ; elles sont couvertes pour cet espace de 20 madriers de sapin de 12 piés de long, 6 pouces de large, & deux pouces d’épais, de sorte que l’on compte pour le revêtement de la chaussée sur 1220 madriers de cette dimension ; le pont dans cet état n’est pas propre à laisser passer de l’artillerie ; il sert pour les troupes ; mais pour que le gros canon y passe, on est obligé de glisser entre chaque intervalle un nouveau ponton de cuivre, ensorte pour lors que le pont est tout plein ; c’est

dans ce cas qu’il peut être à l’usage de l’artillerie. Jusqu’à la derniere guerre de Louis XIV, on ne s’étoit servi dans les armées que de ces pontons de cuivre ; ce fut alors qu’on se servit pour la premiere fois des bateaux de bois transportés, dont nous allons parler, après avoir dit un mot de la façon de voiturer les pontons, & avoir aussi estimé le poids total des ponts de cuivre ; il faut autant de voitures que de pontons, & les agrêts & bois, tant poutrelles que madriers, se distribuent sur les voitures ; les pontons se portent sur des haquets dans une situation renversée : ce qui rend leur transport plus difficile ; mais l’on n’a point trouvé d’autre moyen pour parer à un inconvénient qui a paru mériter attention. Chaque ponton avec ses ancres & agrets, est estimé pour le poids par M. de Valiere à 2500 livres, & comme il faut 120 pareils pontons pour un pont qui serve à l’artillerie, l’on a pour cet article ci… 300000 l.

Chacune des poutrelles ayant 12 piés de long & 6 pouces d’équarrissage, il s’ensuit que chaque poutrelle a en solidité 3 piés cubiques, & l’on trouve 1098 piés cubiques pour la solidité de 366 poutrelles.

Chaque madrier de 12 piés de long, de 6 pouces de large, de deux pouces d’épais, a juste en solidité un pié cubique ; & comme il faut pour tout le pont de pareils madriers au nombre de 1220, on aura pour la solidité de tout le bois nécessaire à la construction du pont fait avec les pontons de cuivre, 2318 piés cubiques de bois de sapin, dont il faut chercher le poids… 2318 piés cubiques de sapin.

Le bois dont il est question ici, est du sapin ; je trouve dans les tables de Musschenbrock, sur les pesanteurs spécifiques des matieres, que la pesanteur du pié de chêne est à 927, que celle de la branche est 0, 870 ; que celle du sapin, dont il ne donne qu’un seul poids, est 0,550. Comme les pesanteurs des bois, même de pareilles especes, varient beaucoup suivant les circonstances & suivant les lieux qui les ont vu naître, en diminuant quelque petite chose sur le poids le plus fort du pié du chêne, je supposerai que les pesanteurs spécifiques des bois de chêne & de sapin sont entre elles comme 0,925 ; 0,550, ou comme 37,22 ; en prenant 60 liv. pour la pesanteur du pié cubique de chêne, je trouve 35 pour la pesanteur du pié cubique de sapin, ce qui fait environ 35 liv.  ; prenant donc ce nombre pour la pesanteur du pié cubique de sapin, le nombre 2318 des piés cubiques employés au pont en étant multiplié, l’on trouve 81902 liv. & une fraction de livre négligée, ainsi que quelques autres, car ce seroit perdre du tems mal-à-propos que de se rendre précis dans ce cas. Ainsi l’on verra que le poids total du pont construit par les pontons de cuivre, en joignant au dernier nombre

81902 liv.
Le poids des bateaux de 300000
Sera de 381902 liv.

Passons à la derniere espece de pont qui se construit avec des bateaux transportés sur des haquets ; ces bateaux ont jusqu’à 35 piés de long sur 10 piés de large : 30 bateaux tous de sapin suffisent pour construire un pont propre à l’artillerie ; les bateaux assujettis par leurs ancres, le sont encore par de fortes poutrelles de sapin qui sont elles-mêmes couvertes de madriers de sapin de deux pouces d’épais, & de 12 piés de long. Ces ponts ne sont guere gardés qu’à Strasbourg dans les fossés de la ville, & à Metz dans les magasins ; en cas de besoin, on les prend là pour les envoyer aux lieux où ils sont nécessaires : 40 voitures suffisent pour ces ponts ; mais M. de Valiere nous a fait observer qu’on est obligé de mettre dans les tems & les chemins ordinaires, 16 à 20 chevaux pour chaque bateau ; & il observe aussi que le même