Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 13.djvu/615

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

logie & la Philosophie en Egypte ; il est le premier qui ait entretenu les Grecs de l’immortalité de l’ame, & écrit en prose de la nature & des dieux jusqu’alors ; ce philosophe avoit été poëte. On montroit à Scyros une invention astronomique qui marquoit les solstices, les équinoxes, le lever & le coucher des étoiles, & qu’on attribuoit à Phérécide ; le reste de sa vie est un tissu de contes merveilleux. Si les peuples qu’il avoit éclairés ont cherché à honorer sa mémoire, les prêtres dont il avoit décrié la superstition & les mensonges, se sont occupés de leur côté à la flétrir. Mais en mettant quelque distinction entre les motifs qui ont animé les uns & les autres, il faut également rejetter le bien & le mal qu’ils en ont dit. L’ouvrage de Phérécide sur l’origine des choses, commençoit par ces mots : Jupiter, le Tems & la Masse, étoient un ; mais la Masse s’appella Terre, lorsque Jupiter l’eût douée. Il pensoit que la cause universelle, ordinatrice & premiere, étoit bonne ; il étoit dans l’opinion de la métempsycose ; l’obscurité qui régnoit dans ses livres les a fait négliger, & ils se sont perdus. Nous avons cru devoir exposer ce que nous savions de Phérécide, avant que de passer à l’histoire de Pythagore son disciple.

Pythagore a vécu dans des tems reculés ; il n’admettoit pas dans son école indistinctement toutes sortes d’auditeurs ; il ne se communiquoit pas ; il exigeoit le silence & le secret ; il n’a point écrit ; il voiloit sa doctrine ; il y avoit près d’un siecle qu’il n’étoit plus, lorsqu’on recueillit ce que ses disciples avoient laissé transpirer de ses principes, & ce que le peuple, ami de la fable & du merveilleux, débitoit de sa vie : comment discerner la vérité au milieu de ces ténebres ?

On savoit en général que Pythagore avoit été un philosophe du premier ordre ; qu’il avoit reconnu l’existence d’un Dieu ; qu’il admettoit la métempsycose ; qu’il avoit été profondément versé dans l’étude de la Physique, de l’Histoire naturelle, des Mathématiques, & de la Musique ; qu’il s’étoit fait un système particulier de théologie ; qu’il avoit opéré des choses prodigieuses ; qu’il professoit la double doctrine ; qu’il rapportoit tout à la science des nombres. Lorsque les premiers ennemis du Christianisme lui supposerent des miracles, des livres, des voyages, des discours, & ne négligerent rien pour l’opposer avec avantage au fondateur de notre sainte religion ; voici quelle étoit la pensée scélérate & secrette d’Ammonius, de Jamblique, de Plotin, de Julien, & des autres. Ils disoient en eux-mêmes, ou l’on admettra indistinctement les prodiges de Jesus-Christ, d’Apollonius & de Pythagore ; ou l’on rejettera indistinctement les uns & les autres. Quel que soit le parti qu’on prenne, il nous convient ; en conséquence, ils répandirent que Pythagore étoit fils d’Apollon ; qu’un oracle avoit annoncé sa naissance ; que l’ame de Dieu étoit descendu du ciel, & n’avoit pas dédaigné d’animer son corps ; que l’Eternel l’avoit destiné à être le médiateur entre l’homme & lui ; qu’il avoit eu la connoissance de ce qui se passe dans l’univers ; qu’il avoit commandé aux élémens, aux tempêtes, aux eaux, à la mort & à la vie. En un mot, l’histoire véritable de Jesus-Christ n’offroit pas un evénement prodigieux, qu’ils n’eussent parodié dans l’histoire mensongere de Pythagore. Ils citerent en leur faveur la tradition des peuples, les monumens de toute espece, les ouvrages des anciens & des modernes ; & ils embarrasserent la question de tant de difficultés, que quelques-uns des premiers peres virent moins d’inconvéniens à admettre les miracles du paganisme qu’à les nier ; & se retrancherent à montrer la supériorité de la puissance de Jesus-Christ sur toute autre.

Pythagore naquit à Samos, entre la quarante-troi-

sieme & la cinquante-troisieme olympiade ; il parcourut

la Grece, l’Egypte, l’Italie ; il s’arrêta à Crotone, où il fit un séjour fort long. Il épousa Théano, qui présida dans son école après sa mort ; il eut d’elle Mnésarque & Thélauge, & plusieurs filles ; Astrée & Zamolxis le législateur des Grecs, furent deux de ses esclaves ; mais il paroît que Zamolxis est fort antérieur à Pythagore : ce philosophe mourut entre la soixante huitieme & la soixante & dix-septieme olympiade. Les peuples qui sont toujours stupides, jaloux, & méchans, offensés de la singularité de ses mœurs & de sa doctrine, lui rendirent la vie pénible & conspirerent l’extinction de son école. On dit que ces féroces Crotoniates qui l’égorgerent à l’âge de cent quatre ans, le placerent ensuite au rang des dieux, & firent un temple de sa maison. La condition de sage est bien dangereuse : il n’y a presque pas une nation qui ne se soit souillée du sang de quelques-uns de ceux qui l’ont professée. Que faire donc ? Faut-il être insensé avec les insensés ? Non ; mais il faut être sage en secret, c’est le plus sûr. Cependant si quelque homme a montré plus de courage que nous ne nous en sentons, & s’il a osé pratiquer ouvertement la sagesse, décrier les préjugés, prêcher la vérité au péril de sa vie, le blâmerons-nous ? Non ; nous conformerons des cet instant notre jugement à celui de la postérité, qui rejette toujours sur les peuples l’ignominie dont ils ont prétendu couvrir leurs philosophes. Vous lisez avec indignation la maniere avec laquelle les Athéniens en ont usé avec Socrate, les Crotoniates avec Pythagore ; & vous ne pensez pas que vous exciterez un jour la même indignation, si vous exercez contre leurs successeurs la même barbarie.

Pythagore professa la double doctrine, & il eut deux sortes de disciples ; il donna des leçons publiques, & il en donna de particulieres ; il enseigna dans les gymnases, dans les temples, & sur les places ; mais il enseigna aussi dans l’intérieur de sa maison. Il éprouvoit la discrétion, la pénétration, la docilité, le courage, la constance, le zele de ceux qu’il devoit un jour initier à ses connoissances secretes, s’ils le méritoient, par l’exercice des actions les plus pénibles ; il exigeoit qu’ils se réduisissent à une pauvreté spontanée ; il les obligeoit au secret par le serment ; il leur imposoit un silence de deux ans, de trois ans, de cinq, de sept, selon que le caractere de l’homme le demandoit. Un voile partageoit son école en deux espaces, & déroboit sa présence à une partie de son auditoire. Ceux qui étoient admis en-deçà du voile l’entendoient seulement ; les autres le voyoient & l’entendoient ; sa philosophie étoit énigmatique & symbolique pour les uns ; claire, expresse, & dépouillée d’obscurités & d’énigmes pour les autres. On passoit de l’étude des Mathématiques, à celle de la nature, & de l’étude de la nature à celle de la Théologie, qui ne se professoit que dans l’intérieur de l’école, au-delà du voile ; il y eut quelques femmes à qui ce sanctuaire fut ouvert ; les maîtres, les disciples, leurs femmes, & leurs enfans, vivoient en commun ; ils avoient une regle à laquelle ils étoient assujettis ; on pourroit regarder les Pythagoriciens comme une espece de moines payens d’une observance très-austere ; leur journée étoit partagée en diverses occupations ; ils se levoient avec le soleil ; ils se disposoient à la sérénité par la Musique & par la Danse ; ils chantoient, en s’accompagnant de la lyre ou d’un autre instrument, quelques vers d’Hésiode ou d’Homere ; ils étudioient ensuite ; ils se promenoient dans les bois, dans les temples, dans les lieux écartés & deserts ; par-tout où le silence, la solitude, les objets sacrés, imprimoient à l’ame le frémissement, la touchoient, l’élevoient, & l’inspiroient. Ils s’exerçoient à la course ; ils confé-