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tiers des biens en propriété ; Justinien au-lieu de ce tiers lui donne la moitié en usufruit.

Enfin le huitieme effet, est que le pere a droit de jouir en usufruit, d’une portion virile des biens qui écheoient à ses enfans par le décès de la mere, après leur émancipation. Les docteurs sont d’avis qu’il en est de même des biens qui écheoient d’ailleurs aux enfans.

Le pere ne peut pas renoncer en fraude de ses créanciers, à l’usufruit qu’il a par droit de puissance paternelle ; mais ses créanciers ne peuvent l’empêcher d’émanciper ses enfans sans aucune réserve d’usufruit.

L’émancipation est un des moyens qui font finir la puissance paternelle.

Nous ne parlerons point ici de la forme de l’émancipation, on peut voir ce qui en a été dit ci-devant à la lettre E.

Les autres moyens qui font finir la puissance paternelle, sont la mort naturelle ou civile du pere ou du fils, la profession religieuse de l’un ou de l’autre, les grandes dignités ; en droit il n’y avoit que la dignité de patrice qui exemptoit de la puissance paternelle, celle de sénateur n’avoit pas cet effet.

En France les premieres dignités de l’épée & de la cour émancipent, & dans la robe celles de président, procureur & avocats-généraux.

A l’égard des dignités ecclésiastiques, il n’y a que l’épiscopat qui fasse cesser la puissance paternelle, les dignités d’abbé, de prieur, de curé n’émancipent point.

L’habitation séparée ne fait pas seule finir la puissance paternelle, si ce n’est dans quelques endroits où il y a un usage singulier.

Pour ce qui est du mariage, il émancipe dans les pays de droit écrit du ressort du parlement de Paris, & dans toutes les coutumes, mais non pas dans les parlemens de droit écrit.

M. de Lauriere, sur la regle 37 de Loisel, emploie de bonnes autorités pour prouver que dans toute la France coutumiere, les peres avoient anciennement une telle puissance sur leurs enfans qu’ils pouvoient les vendre ; mais que la barbarie s’étant abolie peu-à-peu sous les rois de la troisieme race, les enfans furent traités avec tant de douceur, qu’Accurse qui vivoit vers l’an 1200, écrit que de son tems ils étoient en France comme affranchis de la puissance paternelle, ut prorsus absolutos.

Quelques auteurs qui ont mal entendu ces termes d’Accurse, ont cru qu’il avoit nié que les François admissent la puissance paternelle, quoiqu’il ait seulement voulu dire qu’elle y étoit extrèmement mitigée.

Loisel parlant de l’usage du pays coutumier, dit que droit de puissance paternelle n’a lieu.

Coquille en son institution, dit qu’elle n’est que superficiaire en France, & que nos coutumes en ont retenu quelques petites marques avec peu d’effet.

Dumolin, §. 2. de l’anc. cout. glos. 2. dit que les François en usent en quelque sorte seulement quadamtenus tantum, & dans ses commentaires sur Decius, il ne fait consister cette puissance qu’en honneur dû au pere, & dans le droit d’assister ses enfans & de les autoriser pour agir & pour contracter.

Il est évident que cet auteur n’a entendu parler que de ce que la qualité de pere opere plus communément parmi nous.

En effet, nous avons plusieurs coutumes qui admettent expressément un droit de puissance paternelle, en vertu duquel le pere fait les fruits siens du bien de ses enfans.

Cette puissance, telle qu’elle a lieu présentement dans les pays de coutume, est un composé du droit des gens, du droit romain, dont les peuples, suivant leur goût, ont emprunté plus ou moins ; c’est un mé-

lange de la tutelle & du droit de garde.

Par exemple, dans la coutume de Berri, les enfans sont sous la puissance paternelle ; mais cette puissance ne dure que jusqu’à 25 ans, quand les enfans ne sont pas mariés, & finit plutôt quand ils sont mariés avant cet âge. Les seuls effets de cette puissance sont que les enfans qui y sont encore soumis, ne peuvent ester en jugement, agir ni disposer. Du reste, ce n’est de la part du pere qu’un droit de protection, & une tutelle naturelle ; car il ne gagne pas les fruits des biens de ses enfans, si ce n’est après le décès de sa femme, pendant qu’il est légitime administrateur. Mais cette administration, qui est commune à la mere, n’est proprement qu’un droit de garde ; elle ne dure que jusqu’à 18 ans pour les mâles, & 14 pour les filles ; au-lieu que la puissance paternelle dure jusqu’à 25 ans, quand les enfans ne sont pas mariés.

Dans la coutume de Montargis, les enfans sont en la puissance de leur pere, mais cette puissance cesse à 20 ans & un jour, & même plutôt si les enfans sont mariés, ou si le pere ou la mere meurt ; alors les enfans tombent en garde, & s’ils sont nobles, la garde emporte perte de fruits : cette puissance n’est encore qu’un droit d’autorité & de protection.

Les coutumes de Châlons & de Reims sont plus mélangées. Leurs dispositions sont émanées de différentes sources ; les enfans y sont en la puissance de leur pere, ce qui est du droit des gens ; mais ils cessent d’être en cette puissance dès qu’ils ont l’âge de 20 ans, ou qu’ils sont mariés, ou qu’ils tiennent maison & feu à-part au vû & au sçû de leur pere : ceci est du droit coutumier. Si pendant que cette puissance dure on donne à l’enfant quelque héritage, les fruits en appartiennent au pere : ceci est du droit romain. Si la mere meurt, la puissance du pere est convertie en tutelle, ce qui est conforme au droit commun.

Les dispositions de la coutume de Bretagne sur la puissance paternelle, tiennent plus du droit romain. Le fils y est en la puissance du pere, fût-il âgé de 60 ans ; il n’y a que le mariage contracté du consentement du pere, ou une émancipation expresse, requise par l’enfant âgé de 20 ans, qui puisse les en faire sortir. Tout ce que l’enfant acquiert appartient au pere de plein droit ; mais pour les autres biens des enfans, le pere n’en jouit qu’à la charge de rendre compte quand ils ont atteint l’âge de 25 ans.

Dans la coutume de Poitou la puissance paternelle dure tant que le fils n’est point marié, pourvû que le pere lui-même ne se remarie point ; en sorte qu’un fils non marié, âgé de 30, 40 & 50 ans, est toujours sous la puissance du pere, lequel gagne les fruits des biens patrimoniaux de ses enfans jusqu’à ce qu’ils aient 25 ans, au cas qu’ils soient mariés, & indéfiniment lorsqu’ils ne le sont pas.

Mais les enfans quoique en la puissance de leur pere, peuvent acquérir ; & même s’ils ont alors 25 ans, le pere n’a rien dans ces acquêts ; s’ils acquierent au-dessous de 25 ans, les meubles appartiennent au pere avec l’usufruit des acquêts immeubles jusqu’à 25 ans.

L’enfant qui est en puissance, peut dans cette même coutume, disposer par testament ; savoir, pour les immeubles, les garçons à 20 ans, les filles à 18 ; & pour les meubles, les garçons à 17, & les filles à 15 ans accomplis, à moins qu’il ne soient mariés plutôt.

La coutume d’Auvergne tient beaucoup du droit romain sur cette matiere, ainsi que sur plusieurs autres. Le fils de famille y est sous la puissance du pere ; mais à 25 ans il peut ester en jugement, tant en demandant qu’en défendant, sans l’autorité ou licence du pere ; mais le jugement ne porte aucun préjudice au pere pour les droits qu’il a sur les biens de ses enfans ; car le pere est administrateur légitime de leurs biens maternels & adventifs, & fait les fruits siens,