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dirigeant les événemens n’en détruit, ni même n’en change la nature & le principe. Il agit a l’égard des êtres libres d’une façon, s’il est permis de parler ainsi, respectueuse pour leur liberté. S’il y a quelque difficulté à concilier cette action de Dieu avec la liberté de l’homme, les bornes de notre esprit doivent en amortir l’impression. Comment Dieu, dit l’adversaire de la Providence, peut-il embrasser la connoissance & le soin de tant de choses à la fois ? Parler ainsi, c’est oublier la grandeur, l’infinité de Dieu. Y a-t-il quelque répugnance à admettre dans un être infini une connoissance sans bornes & une action universelle ? Nous-mêmes, dont l’entendement est renfermé dans de si étroites bornes, ne sommes nous pas témoins tous les jours de l’artifice merveilleux qui rassemble une foule d’objets sur notre rétine, & qui en transmet les idées à l’ame ? N’éprouvons-nous pas plusieurs sensations à la fois ? Ne mettons-nous pas en dépôt dans notre mémoire une quantité innombrable d’idées & de mots, qui se trouvent au besoin dans un ordre & avec une netteté merveilleuse ? Et comme il y a diverses nuances de gradations entre les hommes, & qu’un idiot de paysan a beaucoup moins d’idées qu’un philosophe du premier ordre, ne peut-on pas concevoir en Dieu toutes les idées possibles au plus haut degré de distinction ? N’est-il pas indigne de Dieu d’entrer dans de pareils détails ? Parler ainsi, c’est se faire une fausse idée de la majesté de Dieu. Comme il n’y a ni grand, ni petit pour lui, il n’y a rien non plus de bas & de méprisable à ses yeux. Il est au contraire parfaitement convenable à la qualité d’Etre suprème de diriger l’univers de telle sorte que les plus petites choses parviennent à sa connoissance, & ne s’exécutent point sans sa volonté. La majesté de Dieu consiste dans l’exercice de ses perfections, & cet exercice ne sauroit avoir lieu sans sa providence. Les afflictions des gens de bien sont du-moins incompatibles avec le gouvernement d’un Dieu sage & juste ? Les méchans d’un autre côté prosperent & demeurent impunis. Nous voici parvenus aux difficultés les plus importantes qui ont exercé dans tous les âges les Payens, les Juifs & les Chrétiens. Les Payens, sur-tout toutes les fois qu’il arrivoit quelque chose de contraire à leurs vœux, & que leur vertu ne recevoit pas la récompense à laquelle ils s’attendoient ; les Payens, dis-je, formoient aussitôt des soupçons injurieux contre Dieu & contre sa providence, & ils s’exprimoient d’une maniere impie. Les ouvrages des poëtes tragiques en sont pleins. Il se présente plusieurs solutions que je ne ferai qu’indiquer. 1°. Tous ceux qui paroissent gens de bien ne le sont pas ; plusieurs n’ont que l’apparence de la piété, & leurs actions ne passent point jusqu’à leurs cœurs. 2°. Les plus pieux ne sont pas exemts de tache. 3°. Ce que les hommes regardent comme des maux ne mérite pas toujours ce nom ; ce n’est pas toujours être malheureux que de vivre dans l’obscurité, ces situations sont souvent plus compatibles avec le bonheur que l’élévation & les richesses. 4°. Le contentement de l’esprit, le plus grand de tous les biens, suffit pour dédommager les justes affligés de leurs traverses. 5°. L’issue en est avantageuse, les calamités servent à éprouver, & sont totalement à la gloire de ceux qui les endurent, en adorant la main qui les frappe. 6°. Enfin la vie future levera pleinement le scandale apparent, en dispensant des distributions supérieures aux maux présens. On trouve de très-judicieuses réflexions sur ce sujet dans les auteurs payens. Séneque a consacré un traité exprès : Quare viris bonis mala accidant, cum sit Providentia ? Les méchans d’un autre côté prosperent & demeurent impunis, autre embarras pour les Payens. De-là ce mot impie de Jason dans Séneque, quand Médée s’envole après avoir égorgé ses fils : testare

nullos esse, quia veheris, deos. Mais personne n’a traité ce sujet avec plus de force que Claudien dans son poëme contre Rufin. Le morceau est trop beau pour ne pas le transcrire.

Sæpe mihi dubiam traxit sententia mentem,
Curarent superi terras, an nullus inesset
Rector, & incerto fluerent mortalia casu.
Nam cum dispositi quoesissem foedera mundi,
Proescriptosque mari fines, annique meatus,
Et lucis noctisque vices, tunc omnia rebar
Consilio firmata Dei, qui lege moveri
Sidera, qui fruges diverso tempore nasci,
Qui variam Phoeben alieno jusserit igne
Compleri, solemque suo, porrexerit undis
Littora, tellurem medio libraverit axe.
Sed cum res hominum tantâ caligine volvi
Respicerem, loetosque diu florere nocentes,
Vexarique pios, rursus labefacta cadebat
Relligio, causoeque viam non sponte sequebar
Alterius, vacuo quæ currere sidera motu
Affirmat, magnumque novas per inane figuras
Fortunâ non arte regi, quæ numina sensu
Ambiguo, vel nulla putat, vel nescia veri.
Abstulit hunc tandem Rufini poena tumultum
Absolvitque deos, &c.

Plusieurs méchans paroissent heureux sans l’être ; ils sont le jouet des passions, & la proie des remords sans cesse renaissans. 2°. Les biens dont les méchans jouissent se convertissent pour eux ordinairement en poison. 3°. Les lois humaines font dejà payer à plusieurs coupables la peine de leurs crimes. 4°. Dieu peut supporter les pécheurs, & les combler même de bienfaits, soit pour les ramener à lui, soit pour recompenser quelques vertus humaines : il est de sa grandeur, & si j’ose ainsi parler, de sa générosité de ne se pas venger immédiatement après l’offense. 5°. Le tems des destinées éternelles arrivera, & ceux qui échappent à-présent à la vengeance divine, & qui jouissent en paix du ciel irrité, seront obligés de boire à longs traits le calice que Dieu leur a préparé dans sa fureur. Voyez l’article du Manichéisme.

Providence, (Mythol.) Les Romains honoroient la Providence comme une déesse particuliere, à laquelle ils érigeoient des statues. On la représentoit ordinairement sous la figure d’une femme appuyée sur une colonne, tenant de la main gauche une corne d’abondance renversée ; & de la droite, un bâton, avec lequel elle montre un globe, pour nous apprendre que la Providence divine étend ses soins sur tout l’univers. Elle est assez souvent accompagnée de l’aigle ou de la foudre de Jupiter, parce que c’est à Jupiter, principalement comme au souverain des dieux, que les Payens attribuoient la Providence qui gouverne toutes choses.

PROVIDENTIA, (Art numismat.) Vaillant nous donne dans ses colonies une médaille d’Auguste avec le titre de Divus, au revers de laquelle est un autel avec cette légende. Mun. ital. provident. perm. Aug. & une de Tibere, dont le type du revers est un autel, sur lequel est l’inscription, Providentiæ Augusti. La légende du contour est, Munic. italic. perm. divi Aug. Ces mots, permissu Augusti ou divi Augusti, ne se rapportent point au type, mais à la permission de battre monnoie, accordée à cette ville par Auguste.

Le mot de providentia, qui se trouve joint à cet autel sur ces médailles & sur une autre, signifie qu’Auguste est mis au rang des dieux, parce qu’il a imité leur providence dans les soins paternels qu’il a pris de l’empire. Aussi plusieurs de ces médailles joignent le titre de pater au nom d’Auguste.

Muratori nous donne une inscription d’Auguste