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des ponts portatifs parmi nous, & aux vains efforts qu’on a faits jusqu’à présent pour les perfectionner, je juge que nous sommes encore loin du but. Toute notre ressource est dans des pontons, qui n’ont ni la grandeur, ni la commodité, ni la solidité requises. On jette sur ces frêles appuis des pieces de bois informes, & on couvre ces pieces de planches en désordre. Voilà la chaussée sur laquelle on expose l’officier & le soldat ; aussi arrive-t-il souvent que le pont s’ouvre, & qu’une troupe d’hommes destinés & bien résolus à vendre chérement leur vie à l’ennemi, disparoît sous les eaux.

Ont-ils eu le bonheur d’échapper à ce danger ? Autre embarras : les grosses armes dont ils ont besoin, soit pour attaquer, soit pour se défendre, ne peuvent les suivre. Avant qu’ils aient du canon, il faut construire un pont en regle, c’est-à-dire jetter des bateaux, fixer ces bateaux tellement quellement par des cables ; se transporter dans quelque forêt, se pourvoir des bois nécessaires ; & cependant l’armée qui occupe l’autre bord de la riviere demeure à la merci d’un ennemi bien pourvu des armes dont elle manque, du-moins c’est ainsi que je conçois que les choses sont. Lorsqu’on nous a annoncé qu’on a construit sur une riviere la tête d’un pont, il s’écoule plusieurs jours avant que nous apprenions que la grosse artillerie a passé.

On n’en est pas à sentir toute l’importance de ces inconvéniens, ni à chercher tous les moyens d’y remédier ; mais on en est encore à réussir, la plûpart de ceux qui s’y sont appliqués s’étant occupés à combattre des obstacles qu’il s’agissoit éluder ; plus ils ont connu la force & les caprices de l’élément auquel ils avoient à faire, plus ils l’ont redouté. Qu’en est-il arrivé ? qu’au lieu de travailler à amortir pour ainsi dire ses efforts, en y cédant ils se sont exposés à toute leur énergie par une résistance mal entendue. Au lieu d’imaginer une machine souple & d’un méchanisme analogue à la nature de l’agent qu’ils avoient à dompter, ils ont mis toute leur espérance dans la roideur de celles qu’ils ont méditées ; mais pour obtenir cette roideur dans un degré suffisant, il falloit ou accorder considérablement à la pesanteur, ou risquer de construire un pont trop foible, si on craignoit qu’il ne fût trop pesant. Tous sont tombés dans ce dernier inconvénient ; les eaux ont brisé les especes de digues qu’on leur opposoit, & j’ose assurer qu’il en sera toujours ainsi toutes les fois qu’on luttera contr’elles avec une machine inflexible & roide. Construire un pont inflexible capable d’une construction prompte & facile, & en état de porter les grands poids qui suivent une armée, problème presque toujours impossible.

Comme nous en sommes encore réduits aux pontons, & qu’on ne fait aucun usage des ponts portatifs ou autres qu’on a proposés jusqu’à-présent, il seroit inutile d’entrer dans le détail de leurs défauts. On a grand besoin de ponts à l’armée ; on n’en a point : tous ceux qu’on a imaginés sont donc mauvais ? Voilà qui suffit.

Voyons maintenant si j’aurai tenté plus heureusement que ceux qui m’ont précédé, la solution de ce problème d’architecture militaire. Tel est l’objet du mémoire suivant, que je diviserai en quatre parties.

Dans la premiere, qui sera fort courte, j’exposerai les propriétés du pont ou de la machine qu’on demande, & que je crois avoir trouvée.

Dans la seconde, je donnerai dans tout le détail possible, la construction de cette machine.

Dans la troisieme, je ferai voir qu’elle a toutes les propriétés requises.

Dans la quatrieme, je déduirai quelques observations importantes & relatives au sujet.

Problème d’architecture militaire. Trouver un pont portatif qui puisse se construire avec promptitude &

facilité, recevoir dix hommes de front, & supporter les fardeaux les plus lourds qui suivent une armée.

Solution. Premierement construisez un bateau ABDECF, tel que vous le voyez en-dedans, Planche XXVIII. de charpente, fig. premiere.

Soient AB sa longueur prise de l’extrémité supérieure de la proue, à l’extrémité supérieure de la poupe, de 31 piés 6 pouces.

ab sa longueur prise de l’extrémité d’un des becs du fond à l’autre extrémité de l’autre bec, de 28 piés.

AC, AD, BF, BE, les bords supérieurs de sa poupe & de sa proue, de 6 piés 3 pouces.

CF, DE, les bords supérieurs de ses côtés, de 20 piés de long.

ag, ah, be, bf, les côtés des becs de son fond de 4 piés 6 pouces.

MN, sa largeur par en-haut, ou la distance d’un de ses bords à l’autre dans œuvre, de 6 piés, & hors d’œuvre, de 6 piés 6 pouces, y compris 2 pouces de saillie de chaque côté desdits bords.

rs, la largeur de son fond de 4 piés dans œuvre, & de 4 piés 2 pouces hors d’œuvre.

eh, fg, les grands côtés de son fond, de 20 piés.

Prenez pour montans des pieces de bois de chêne co, co, &c. d’un côté, & dq, dq, &c. de l’autre, de 3 piés un pouce de long sur 3 pouces & demi d’équarrissage, qui soient au nombre de 26 à égale distance les unes des autres, & auxquelles soient attachées les planches dont le bateau sera latéralement revêtu.

cd, cd, cd, &c. treize traverses de bois de chêne de 4 piés de long sur 4 pouces d’équarrissage à égale distance les unes des autres, & auxquelles soient attachées les planches du fond du bateau.

ab, sommier inférieur, est une piece de bois de chêne de 27 piés de long sur 6 pouces d’équarrissage, placée sur les traverses dc, dc, dc, &c. & assemblée avec la poupe & la proue en a & b, voyez la fig. 1, & la fig. 2.

Pour la poupe & pour la proue, fig. 2, AC, BD deux pieces de bois de chêne de figure prismatique de 5 piés 9 pouces de long, & dont deux des côtés des surfaces auxquelles les extrémités des planches qui revêtent le bateau, sont attachées, soient de 12 pouces, & l’autre côté de 9 pouces.

Formez les surfaces latérales du bateau, & celles de la poupe & de la proue de planches de chêne d’un pouce d’épais, & le fond de pareilles planches d’un pouce 6 lignes d’épais.

Assemblez perpendiculairement avec le sommier ab, fig. 2, où l’on voit le bateau coupé de la poupe à la proue, 9 supports ou pieces de bois mn qui laissent entre elles les mêmes intervalles que les traverses auxquelles elles correspondent, & qui ayent 3 piés 3 pouces de long sur 4 pouces d’équarrissage.

Arcboutez chacun des supports m n, Pl. XXVIII. de Charp. fig. 3, n. 1. & n. 2, où l’on voit le bateau coupé selon sa largeur, de deux arcboutans qui s’assemblent par une de leurs extrémités g, avec le support même, & par l’autre ff avec les traverses dc, dc qui soient par conséquent au nombre de 18, & qui ayent 3 piés 6 pouces de long sur 4 pouces d’équarrissage.

Fortifiez les arcboutans f g, f g, fig. 3, par d’autres hi, hi horisontaux, assemblés par une de leurs extrémités i, i, avec les arcboutans fg, fg, & par l’autre h, h, avec les montans Dd, Cc, qui soient par conséquent au nombre de 26, & qui ayent un pié 6 pouces de long sur 3 pouces d’équarrissage.

Assemblez, fig. 2, dans les premier & le dernier supports mn deux arcboutans ik, ik, chacun par une de leurs extrémités ii avec les deux supports, & par l’autre extrémité kk avec le sommier ab {infé-