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effet sur des bateaux pour le passage des charrois dans des pays où il n’est pas possible, soit par la profondeur des rivieres, leur trop grande largeur, ou leurs variations continuelles, d’en bâtir d’une autre espece, sans une très-grande dépense ; ces sortes de ponts ont l’avantage de n’être pas fort longs à construire, de se démonter facilement lorsqu’on le juge à propos, & de pouvoir encore s’en servir par fragmens en d’autres occasions ; mais en recompense il coûte beaucoup à les entretenir en bon état. Il en est de deux sortes ; les uns qu’on appelle ponts dormans, sont ceux qu’on n’a jamais occasion de changer de place ; les autres qu’on appelle ponts volans, employés le plus souvent dans l’art militaire, sont ceux dont les équipages se transportent sur des voitures pour s’en servir dans le besoin à traverser des rivieres, fossés & autres choses en pareil cas.

La fig. 149, Pl. XXVI, est un pont construit à Rouen sur la riviere de Seine, de l’invention du frere Nicolas, augustin, auteur du pont tournant, dont nous avons déja parlé : ce pont qui se démonte dans le tems des glaces, de peur de danger, est très-ingénieux : il est composé de dix-huit à vingt bateaux, de chacun dix-huit piés de largeur, sur neuf à dix toises de longueur, d’environ vingt piés de distance l’un de l’autre, entretenus de liens croisés A, & de poutrelles B moisées, fig. 150, traversant les bateaux surmontés de plate-formes C, portant un pavé D d’environ dix-huit piés de largeur, retenu par ses bords de pieces de bois E. Les deux côtés de ce pont sont bordés d’un trotoir F, fig. 149, composé de plate-formes G, fig. 150, soutenues de charpente H, & bordé d’une balustrade I, composée de sommiers & de poinçons appuyés sur les poutrelles B K, fig. 149 ; on y voit des bancs distribués de distance à autres pour asseoir le peuple qui s’y promene. Plusieurs de ces bateaux sont retenus par d’autres L, retenus à leur tour par leur extrémité à des assemblages M moisés, fig. 150 & 151, glissant de haut en bas le long des jumelles N, selon la hauteur de la marée, arrêtés à des supports O, contrefiches P, & liens Q, posés sur le plancher R d’une espece de palée à demeure, soutenue de poutrelles S, appuyées sur des pieux T, plantés dans le fond de la riviere en plus grande quantité du côté d’amont, pour donner plus de solidité au brise-glace V, soutenu de supports X, liens en contrefiche Y, sommiers Z, & chapeau, &c. Ce pont dont le passage est gardé par des sentinelles placées dans les loges AB, s’ouvre en deux parties AA, fig. 149 & 152, Pl. XXVII, d’environ trente piés de largeur pour le passage des navires, par le moyen d’un arbre a qui se découvre par une petite trappe b, autour duquel s’enveloppe un cable c, renvoyé par une poulie d ; à mesure que le bateau d’ouverture approche, les pieces de bois e qui y étant arrêtées par un bout, & portant par l’autre un crochet f, servant à le conduire, celles g qui portent les trottoirs h, celles i qui portent le pavé, roulent les unes entre deux poulies k, & les autres ayant des poulies placées au-dessous d’elles sur des pieces de bois l.

Il faut remarquer que l’élévation de ce pont variant selon la hauteur de la marée, & qu’en conséquence les chassis du charpente AD, se levant & s’abaissant, il y faut quelquefois monter, & quelquefois descendre pour y arriver.

Les ponts volans, Pl. XXVIII, XXIX & XXX, ayant été expliqués par M. Guillot, il n’est point nécessaire de les répéter ici.

Pont militaire, (Architecture militaire.) En remontant à la naissance de la plûpart des arts, & en comparant l’état où leur histoire nous les presente dans leur origine avec celui où nous les voyons aujourd’hui ; si l’on sent d’un côté toutes les obligations

que l’on a aux premiers inventeurs, de l’autre on est contraint d’accorder quelque mérite à ceux qui ont travaillé d’après leurs idées, & qui ont perfectionné leurs inventions.

Y a-t-il plus loin de l’ignorance entiere d’un art à sa découverte, que de sa découverte à sa derniere perfection ? C’est une question à laquelle je crois qu’il est impossible de répondre avec exactitude ; la découverte étant presque toujours l’effet d’un heureux hasard, & le dernier point de perfection où une découverte puisse être poussée, nous étant presque toujours inconnue. La seule chose qu’on puisse avancer, c’est qu’il étoit naturel que les Arts dûssent leur naissance aux hommes les plus éclaires, malgré l’expérience qu’on a du contraire, comme ils doivent leurs progrès & leur perfection aux bonnes têtes qui ont succédé aux inventeurs.

Une découverte est presque toujours le germe d’un grand nombre d’autres. Il n’y a aucune science, aucun art qui ne me fournisse cent preuves de cette vérité ; mais pour nous en tenir à l’objet de ce mémoire, nous en tirerons la démonstration de l’art de la guerre même.

Les hommes naissoient à peine, qu’ils se battirent : ce fut d’abord un homme contre un homme ; mais dans la suite une société d’hommes s’arma contre une autre société. Le desir de se conserver aiguisa les esprits, & l’on vit de siecles en siecles les armes se multiplier, changer, se perfectionner, tant celles qu’on employoit dans les combats, que celles dont on usoit dans les siéges. La défense suivit toujours pié-à-pié les progrès de l’attaque. La mâchoire d’un animal, une branche d’arbre, une pierre, une fronde, furent les premieres armes. Quelle distance entre ces armes & les nôtres ! celle des tems est moins considérable.

Bientôt on fabriqua les arcs, les lances, les fleches & les épées, & on opposa à ces armes les casques, les cuirasses & les boucliers.

Les remparts, les murailles & les fossés donnerent lieu à la construction des tours ambulantes, des béliers, des ponts, & d’une infinité d’autres machines.

Tel étoit à-peu-près l’état des choses, lorsque le hasard ou l’enfer produisit la poudre à canon. La face de l’attaque & de la défense changea tout-à-coup : on vit paroître des armes nouvelles ; & il me seroit facile de suivre jusqu’au tems où nous sommes les progrès de l’architecture militaire, si je ne craignois (dit l’auteur de cet article) d’exposer superficiellement des matieres profondement connues de la compagnie à qui j’ai l’honneur de parler. (C’étoit l’académie des Sciences).

Laissant donc-là ce détail, je demanderai seulement si tout est trouvé ; si l’art de la guerre a atteint dans toutes ses parties le dernier point de la perfection ; s’il en est de toutes les machines qu’on emploie, ainsi que des canons, des mortiers à bombe, des fusils, & de quelques autres armes dont il paroît que les effets sont tels qu’on les peut desirer, & à la simplicité desquelles il semble qu’il ne reste rien à ajouter.

Avons-nous des ponts portatifs tels que nous les concevons possibles ? nos armées traversent-elles des rivieres qui aient quelque largeur, quelque profondeur & quelque rapidité, avec la facilité, la promptitude & la sécurité qu’on doit se promettre d’une pareille machine ? On n’établit pas un pont sur des eaux pour s’y noyer ; savons-nous construire d’assez grands ponts pour qu’une armée nombreuse puisse passer en peu d’heures d’un bord à l’autre d’une riviere, d’assez solides pour résister à la pesanteur des plus grands fardeaux, & d’assez faciles à jetter pour n’être pas arrêtés un tems considérable à cette manœuvre ?

A m’en raporter à la connoissance que j’ai de l’état