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sa, Virum, ou Arma Virumque cano, & ne faire nulle attention à ce qui suit, & qui détermine le virum à Ulisse & à Enée ?

De plus le caractere que le poëte veut donner à son héros & à tout son ouvrage est marqué dans la proposition par Homere & par Virgile. Toute l’Iliade n’est que transport & que colere, c’est le caractere d’Achille, & c’est aussi ce que le poëte a d’abord annoncé Μῆνιν ἄειδε. L’Odyssée nous présente, dès le premier vers, cette prudence, cette dissimulation & cette adresse qui a fait jouer à Ulysse tant de personnages différens, Ἄνδρα πολύτροπον ; & l’on voit la douceur & la piété d’Enée marquée au commencement du poëme latin, insignem pietate virum.

Quant à la maniere dont la proposition doit être faite, Horace se contente de prescrire la modestie & la simplicité. Il ne veut pas qu’on promette d’abord des prodiges, ni qu’on fasse naître dans l’esprit du lecteur de grandes idées de ce qu’on va lui raconter. « Gardez-vous, dit-il, de commencer comme fit autrefois un mauvais poëte. Je chanterai la fortune de Priam, & cette guerre célebre :

Fortunam Priami cantabo & nobile bellum.

» Que nous donnera, ajoute-t-il, un homme qui fait de si magnifiques promesses ? produira-t-il rien de digne de ce qu’il annonce avec tant d’emphase ?

Que produira l’auteur après de si grands cris ?
La montagne en travail enfante une souris.

» Que la simplicité d’Homere est plus judicieuse & plus solide lorsqu’il débute ainsi dans l’Odyssée : Muse, fais-moi connoître ce héros qui après la prise de Troie, a vu les villes & les mœurs de différens peuples. Il ne jette pas d’abord tout son feu pour ne donner ensuite que de la fumée, au contraire la fumée chez lui précede la lumiere, & c’est de ce commencement si foible en apparence qu’il tire ensuite les merveilles éclatantes d’Antiphate, de Scylla, de Charibde & de Polyphème ».

On trouve la même simplicité dans le début de l’Enéïde ; si celui de l’Iliade a quelque chose de plus fier, c’est pour mettre quelque conformité entre le caractere de la proposition & celui de tout le poëme qui n’est qu’un tissu de colere & de transports fougueux.

Le poëte ne doit pas parler avec moins de modestie de lui-même que de son héros. Virgile dit simplement qu’il chante l’action d’Enée. Homere prie sa muse de lui dire ou de lui chanter, soit les aventures d’Ulysse, soit la colere d’Achille. Claudien n’a pas imité ces exemples dans cet enthousiasme aussi déplacé qu’il paroît impétueux :

Audaci promere cantu
Mens congesta jubet : gressus removete, profani ;
Jam furor humanos nostro de pectore sensus
Expulit, & totum spirant proecordia Phœbum.

Un pareil essor bien ménagé & soutenu peut avoir bonne grace dans une ode, ou quelqu’autre piece semblable ; c’est ainsi qu’Horace a commencé une de ses odes :

Odi profanum vulgus, & arceo :
Favete linguis, carmina non prius
Audita, musarum sacerdos,
Virginibus puerisque canto.


Mais un poëme aussi long qu’une épopée n’admet pas un début si lyrique. Il n’y a presque point là de faute qu’on ne trouve dans la proposition de l’Achilléïde. Stace prie sa muse de lui raconter les exploits du magnanime fils d’Eaque, dont la naissance a fait trembler le maître du tonnerre. Il ajoute avec confiance, qu’il a dignement rempli sa premiere entreprise, & que

Thèbes le regarde comme un autre Amphion :

Magnanimum Eaciden, formidatamque tonanti
Progeniem & patrio vetitam succedere cœlo,
Musa refer.
Tu modo, si veteres digno deplevimus haustu
Da fontes mihi, Phœbe, novos
, &c.

La simplicité du début est fondée sur une raison bien naturelle. Le poëme épique est un ouvrage de longue haleine qu’il est par conséquent dangereux de commencer sur un ton difficile à soutenir également. Il en est à cet égard de la poésie comme de l’éloquence. Dans celle-ci, disent les maîtres de l’art, le discours doit toujours aller en croissant, & la conviction s’avancer comme par degrés, en sorte que l’auditeur sente toujours de plus en plus le poids de la vérité : dans l’autre, plus le début est simple, plus les beautés que le poëte déploie ensuite sont saillantes. Un homme qui embouchant la trompette commence sur le ton de Scuderi :

Je chante le vainqueur des vainqueurs de la terre,


court risque de s’essouffler d’abord & de ne plus donner ensuite que des sons foibles & enroués. Il ressemble, dit M. de la Mothe, à celui qui ayant une longue course à faire part d’abord avec une extrème rapidité ; à peine est il au milieu de la carriere qu’il est épuisé, ses forces l’abandonnent, il n’arrive jamais au but.

Proposition, pains de, (Théolog.) que l’hébreu appelle pains des faces, ou de la face, qu’on a rendu en grec par ἄρτους ἐνωπίους. On appelloit ainsi les pains que le prêtre de semaine chez les Hébreux mettoit tous les jours de sabbat sur la table d’or qui étoit dans le saint devant le Seigneur.

Ces pains étoient quarrés & à quatre faces, disent les rabbins, on les couvroit de feuilles d’or. Ils étoient au nombre de douze, & désignoient les douze tribus d’Israël. Chaque pain étoit d’une grosseur considérable puisqu’on y employoit deux assarons de farine, qui font environ six pintes. On les servoit tout chauds en présence du Seigneur le jour du sabbat, & on ôtoit en même tems les vieux qui avoient été exposés pendant toute la semaine. Il n’y avoit que les prêtres qui pussent en manger ; & si David en mangea une fois, ce fut une nécessité extraordinaire & excusable. Cette offrande étoit accompagnée d’encens, de sel, &, selon quelques commentateurs, de vin. On brûloit l’encens sur la table d’or tous les samedis, lorsqu’on y mettoit des pains nouveaux.

On n’est pas d’accord sur la maniere dont étoient rangés les pains de proposition sur cette table. Quelques-uns croient qu’il y en avoit trois piles de quatre chacune, & les autres deux seulement. Les rabbins ajoutent qu’entre chaque pain, il y avoit deux tuyaux d’or soutenus par des fourchettes de même métal, dont l’extrémité posoit à terre pour donner de l’air aux pains, & empêcher qu’ils ne se moisissent.

On croit que le peuple en payant aux prêtres & aux lévites les décimes des grains, leur fournissoit la matiere des pains de proposition, que les lévites les préparoient & les faisoient cuire, & que les prêtres seuls les offroient. S. Jerôme dit, parlant sur la tradition des Juifs, que les prêtres eux-mêmes semoient, moissonnoient, faisoient moudre, paîtrissolent & cuisoient les pains de proposition.

Il y a encore diverses remarques des commentateurs sur la maniere dont on faisoit cuire ces pains, sur les vases qui contenoient le vin & le sel qui les accompagnoient, & qu’on peut voir dans le Dict. de la Bible du pere Calmet, tom. III. pag. 295.

Proposition d’erreur, (Jurisprud.) étoit une voie pour faire réformer un arrêt quand il avoit été