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comme tous meurent par Adam, ainsi tous seront vivifiés par Jesus-Christ. Le sens de l’apôtre est, que comme tous ceux qui meurent, meurent par Adam, tous ceux aussi qui sont vivifiés, sont vivifiés par Jesus-Christ.

Il y a aussi beaucoup de propositions qui ne sont moralement universelles qu’en cette maniere, comme quand on dit, les François sont bons soldats ; les Hollandois sont bons matelots ; les Flamans sont bons peintres ; les Italiens sont bons musiciens : cela veut dire que les François qui sont soldats, sont ordinairement bons soldats, & ainsi des autres.

La proposition particuliere est celle dont le sujet est un terme universel, mais restreint & pris seulement pour quelques individus du sujet, comme quand on dit, quelque cruel est lâche, quelque pauvre n’est pas malheureux ; les mots quidam, aliquis, quelque, quelques-uns, sont ordinairement les termes qui servent à restraindre le sujet.

Il ne faut pas s’imaginer qu’il n’y ait pas d’autre marque de particularité que ces mots. Quand la préposition des ou de est le plurier de l’article un, elle fait que les noms se prennent particulierement, au lieu que pour l’ordinaire, ils se prennent généralement avec l’article les. C’est pourquoi il y a bien de la différence entre ces deux expressions : les gens raisonnables, des gens raisonnables ; les médecins, des médecins.

Une proposition singuliere est celle dont le sujet est déterminé à un seul individu. Telle est cette proposition, Louis XV. a conquis toute la Flandre & une partie de la Hollande.

La proposition indéfinie est celle dont le sujet est un terme universel, pris absolument & sans aucune addition d’universalité ou de restriction, comme quand je dis, la matiere est incapable de penser ; les François sont polis & spirituels.

Il y a deux observations à faire ici, l’une sur les propositions singulieres, & l’autre sur les propositions indéfinies.

1°. Les propositions singulieres doivent suivre les mêmes lois que les universelles, encore que leurs sujets ne soient pas communs comme ceux des universelles, parce que leurs sujets, par cela même qu’ils sont singuliers, sont nécessairement pris dans toute leur étendue ; ce qui fait l’essence d’une proposition universelle, & ce qui la distingue de la particuliere ; car il importe peu pour l’universalité d’une proposition que l’étendue de son sujet soit grande ou petite, pourvû que, quelle qu’elle soit, on la prenne toute entiere ; & c’est pourquoi les propositions singulieres tiennent lieu d’universelles dans l’argumentation.

2°. Les propositions indéfinies doivent passer pour universelles en quelque matiere que ce soit ; & ainsi dans une matiere contingente même (car pour les propositions indéfinies en matiere nécessaire, il n’y a point de difficulté), elles ne doivent point être considérées comme des propositions particulieres ; car qui souffriroit que l’on dît que les ours sont blancs, que les hommes sont noirs, que les Parisiens sont poëtes, que les Polonois sont sociniens, que les Anglois sont trembleurs ? & cependant selon ces philosophes, qui veulent qu’on regarde les propositions indéfinies en matiere contingente comme particulieres, toutes ces propositions le devroient être, puisqu’elles sont toutes en matiere contingente. Or cela est du dernier absurde. Il est donc clair qu’en quelque matiere que ce soit, les propositions indéfinies de cette sorte sont prises pour universelles ; mais que dans une matiere contingente, on se contente d’une universalité morale ; ce qui fait qu’on dit fort bien, les François sont vaillans, les Italiens sont soupçonneux, les Allemands sont robustes, les Anglois sont méditatifs,

les Espagnols ont une fierté grave, les Orientaux sont voluptueux.

Il y a une autre distinction plus raisonnable à faire sur ces sortes de propositions ; c’est qu’elles sont universelles en matiere de doctrine, & qu’elles ne sont que particulieres dans les faits & dans les narrations, comme quand il est dit dans l’Evangile : milites plectentes coronam de spinis, imposuerunt capiti ejus. Il est bien clair que cela ne doit être entendu que de quelques soldats, & non pas de tous les soldats.

Une chose qu’il faut encore remarquer, c’est que les noms de corps, de communauté, de peuple, étant pris collectivement, comme ils le sont d’ordinaire, pour tout le corps, toute la communauté, tout le peuple, ne font point les propositions où ils entrent, proprement universelles, moins encore particulieres, mais singulieres ; comme quand je dis, les Romains ont vaincu les Carthaginois ; les Venitiens font la guerre au Turc ; les juges d’un tel lieu ont condamné un criminel. Ces propositions ne sont point universelles ; autrement on pourroit conclure de chaque romain qu’il auroit vaincu les Carthaginois ; ce qui seroit faux. Elles ne sont point aussi particulieres ; car cela veut dire plus que si je disois, que quelques romains ont vaincu les Carthaginois. Mais elles sont singulieres, parce qu’on considere chaque peuple comme une personne morale dont la durée est de plusieurs siecles, qui subsiste tant qu’il compose un état, & qui agit en tous ces tems par ceux qui le composent, comme un homme agit par ses membres. D’où vient que l’on dit que les Romains qui ont été vaincus par les Gaulois qui prirent Rome, ont vaincu les Gaulois au tems de César, attribuant ainsi à ce même terme de romains d’avoir été vaincus en un tems, & d’avoir été victorieux en l’autre, quoique ce ne fussent plus les mêmes Romains.

Ces choses ainsi supposées & éclaircies, il est aisé de voir que l’on peut réduire toutes les propositions à quatre sortes, que l’on a marquées par ces quatre voyelles, A, E, I, O.

A, désigne l’universelle affirmative, comme tout vicieux est esclave.

E, l’universelle négative, comme nul vicieux n’est heureux.

I, la particuliere affirmative, comme quelque vicieux est riche.

O, la particuliere négative, comme quelque vicieux n’est pas riche.

Pour les faire mieux retenir on a fait ces deux vers.

Asserit A, negat E, verum generaliter ambo.
Asserit I, negat O, sed particulariter ambo.

Les propositions considérées du côté de leur qualité se divisent en affirmatives & négatives, en vraies & fausses, en certaines & incertaines, en évidentes & obscures.

Dagoumer, philosophe subtil, & un de ceux qui ont mis le plus en vogue la philosophie de l’école, soutient, contre l’opinion commune, que tout jugement est affirmatif. Il suppose 1°. que tous les noms sont concrets, ou du moins qu’on peut les regarder comme tels ; & que par conséquent on y peut distinguer deux choses ; savoir, le sujet & la forme. Ainsi ce mot homme signifie un sujet qui a l’humanité. Il distingue donc dans l’attribut de quelque proposition que ce soit, le sujet de l’attribut qui est toujours le même, & la forme de ce même attribut, avec laquelle le sujet de la proposition a quelque relation. Il suppose en second lieu, que la copule verbale identifie toujours, & même nécessairement le sujet de l’attribut avec le sujet de la proposition, & qu’on affirme de plus le rapport qu’il y a de la forme de l’attribut avec