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Pour parvenir à la construction analytique, je ferai d’abord quelques remarques préliminaires. 1° Si n’est point ici une conjonction hypothétique ou conditionelle ; la proposition qu’elle commence ne doit plus être mise en question, elle a été prouvée dans la premiere partie dont elle est la conclusion & le précis : si a ici le même sens que le mot latin etsi, ou notre mot françois quoique, qui veut dire malgré la preuve que, voyez Mot, article 2. n. 3. ou en adaptant l’interprétation aux besoins présens, malgré la preuve de la vérité qui est. Voyez sur que rendu par qui est, l’article Incidente. 2°. Ces deux derniers mots qui est, commencent une proposition incidente, dont l’attribut doit être indicatif de la vérité individuelle énoncée auparavant par le nom appellatif vérité ; ce doit donc être cette proposition même qui l’énonce comme un jugement, fermer les yeux aux preuves éclatantes du christianisme est une extravagance inconcevable : & l’on voit ici qu’une proposition incidente est partie d’une autre qui est principale à son égard, mais qui est elle-même incidente à l’égard d’une troisieme. 3°. En réunissant, sous la forme que j’ai indiquée, tout ce qui constitue ce premier membre de la période, on aura, malgré la preuve de la vérité qui est, fermer les yeux aux preuves éclatantes du christianisme est une extravagance inconcevable : or tout cela est une expression adverbiale, puisqu’il n’y a que la préposition malgré avec son complément ; l’ordre analytique demande donc que cela soit à la suite d’un nom appellatif, ou d’un adjectif, ou d’un verbe. Voyez Préposition. Et le bon sens, qu’il est si facile de justifier que je ne crois pas devoir le faire ici, indique assez que c’est à la suite de l’adjectif grand, ou plutôt de l’attribut, est encore un bien plus grand renversement de raison, mis par comparaison au-dessus du premier, est une extravagance inconcevable. Ce complément adverbial tombe sur le sens comparatif de l’adjectif plus grand. 4°. Ce, qui se trouve immédiatement avant le verbe principal est, n’est que le sujet grammatical, c’est-à-dire le mot principal dans l’expression totale du sujet dont on parle ici ; car ce est un nom d’une généralité indéfinie, lequel a besoin d’être déterminé, ou par les circonstances antécédentes, ou par quelque addition subséquente : or il est déterminé ici par l’union de deux additions respectivement opposées, 1. être persuadé de la vérité de cette doctrine, 2. vivre comme si on ne doutoit point qu’elle ne fût fausse ; & le rapport du nom général ce à cette double addition est marqué par la double préposition de. Voici donc la totalité du sujet logique : ce d’être persuadé de la vérité de cette doctrine & de vivre comme si on ne doutoit point qu’elle ne fût fausse. 5°. Ma derniere observation sera pour rappeller au lecteur que la Grammaire n’est chargée que de l’expression analytique de la pensée, voyez Inversion & Méthode, que les embellissemens de l’élocution ne sont point de son ressort, & qu’elle a droit de s’en débarrasser quand elle rend compte de ses procédés.

Voici donc enfin l’ordre analytique de la période proposée, réduite aux deux parties essentielles : ce d’être persuadé de la vérité de la doctrine chrétienne, & de vivre comme si on ne doutoit pas qu’elle ne fût fausse (sujet logique), est encore un bien plus grand renversement de raison, malgré la preuve de la vérité qui est, fermer les yeux aux preuves éclatantes du christianisme est une extravagance inconcevable (attribut logique) : ou bien sans changer le si, mais se souvenant néanmoins qu’il a la signification que l’on vient de voir ; ce d’être persuadé de la vérité de la doctrine chrétienne, & de vivre comme si on ne doutoit pas qu’elle ne fût fausse, est encore un bien plus grand renversement de raison, si fermer les yeux aux preuves éclatantes du christianisme est une extravagance inconcevable.

Il me semble que relativement à la matiere de la proposition, la Grammaire peut se passer d’en considérer d’autres especes. Elle doit connoître les termes & les propositions composées, parce que la syntaxe influe sur les inflexions numériques des mots, & que l’usage des conjonctions est peut-être inexplicable sans cette clé, voyez Mot, loc. cit. Elle doit connoître les termes & les propositions complexes, parce qu’elle doit indiquer & caractériser la relation des propositions incidentes, & fixer la construction des parties logiques & grammaticales qui ne peuvent sans cela être discernées. Mais que pourroit gagner la Grammaire à considérer les propositions modales, les conditionelles, les causales, les relatives, les discrétives, les exclusives, les exceptives, les comparatives, les inceptives, les désitives ? Si ces différens aspects peuvent fournir à la Logique des moyens de discuter la vérité du fonds, à la bonne heure ; ils ne peuvent être d’aucune utilité dans la Grammaire, & elle doit y renoncer.

II. La forme grammaticale de la proposition consiste dans les inflexions particulieres, & dans l’arrangement respectif des différentes parties dont elle est composée. Voyez sur cela l’article Grammaire, §. 2. de l’orthologie, n. 2. Il est inutile de répeter ici ce qui en a été dit ailleurs, & il ne faut plus que remarquer les différentes especes de propositions que le grammairien doit distinguer par rapport à la forme. On peut envisager cette forme sous trois principaux aspects. 1°. par rapport à la totalité des parties principales & subalternes qui doivent entrer dans la composition analytique de la proposition ; 2°. par rapport à l’ordre successif que l’analyse assigne à chacune de ces parties ; 3°. par rapport au sens particulier qui peut dépendre de telle ou telle disposition.

1°. Par rapport à la totalité des parties principales & subalternes qui doivent entrer dans la composition analytique de la proposition, elle peut être pleine ou elliptique.

Une proposition est pleine, lorsqu’elle comprend explicitement tous les mots nécessaires à l’expression analytique de la pensée.

Une proposition est elliptique, lorsqu’elle ne renferme pas tous les mots nécessaires à l’expression analytique de la pensée.

Il faut pourtant observer que comme l’un & l’autre de ces accidens tombe moins sur les choses que sur la maniere de les dire, on dit plutôt que la phrase est pleine ou elliptique, qu’on ne le dit de la proposition. Au reste quoique l’on dise communément que notre langue n’est guere elliptique ; il est pourtant certain que quand on en veut soumettre les phrases à l’examen analytique, on est surpris de voir que l’usage y en introduit beaucoup plus d’elliptiques que de pleines. J’ai prouvé que la plupart de nos phrases interrogatives sont elliptiques, puisque les mots qui exprimeroient directement l’interrogation y sont sous-entendus. Voyez Interrogatif. Il est aisé de recueillir de ce que j’ai dit, article Mot, §. 2. n. 3. de la nature des conjonctions, que l’usage de cette sorte de mot amene assez naturellement des vuides dans la plénitude analytique. M. du Marsais, au mot elliptique, a très-bien fait sentir que l’ellipse est très-fréquente & très-naturelle dans les réponses faites sur le champ à des interrogations. Il y a mille autres occasions où une plénitude scrupuleuse feroit languir l’élocution ; & l’usage autorise alors, dans toutes les langues, l’ellipse de tout ce qui peut aisément se deviner d’après ce qui est positivement exprimé : par exemple, dans les propositions composées par le sujet, il est inutile de répeter l’attribut autant de fois qu’il y a de sujets distincts ; dans celles qui sont composées par l’attribut, il n’est pas moins superflu de répeter le sujet pour chaque attri-