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copulatives, parce que les parties composantes y sont liées par une conjonction copulative ; mais je n’ai pas prétendu donner l’exclusion aux autres especes, dont les parties composantes sont liées par toute autre conjonction : je crois seulement que les distinctions observées en logique sont inutiles à la grammaire, qui ne doit remarquer que ce qui est nécessaire à la composition des propositions, & qui n’est nullement chargée d’en discuter la vérité.

2°. Le sujet est incomplexe, quand il n’est exprimé que par un nom, un pronom, ou un infinitif, qui sont les seules especes de mots qui puissent présenter à l’esprit un sujet déterminé. Tels sont les sujets des propositions suivantes : Dieu est éternel ; les hommes sont mortels ; nous naissons pour mourrir ; dormir est un tems perdu.

Il y a apparence que M. du Marsais confondoit le sujet incomplexe avec le simple, quand il donnoit de celui-ci une définition qui ne peut convenir qu’à l’autre. En effet il définit de suite le sujet simple, le sujet multiple que j’appelle composé, & le sujet complexe, sans en opposer aucun à celui qu’il nomme complexe. Il y a cependant une très-grande différence entre le sujet simple & l’incomplexe : le sujet simple doit être déterminé par une idée unique, voilà son essence ; mais il peut être ou n’être pas incomplexe, parce que son essence est indépendante de l’expression, & que l’idée unique qui le détermine peut être ou n’être pas considérée comme le résultat de plusieurs idées subordonnées, ce qui donne indifféremment un ou plusieurs mots : au contraire l’essence du sujet incomplexe tient tout-à-fait à l’expression, puisqu’il ne doit être exprimé que par un mot.

Le sujet est complexe, quand le nom, le pronom, ou l’infinitif est accompagné de quelque addition qui en est un complément explicatif ou déterminatif. Tels sont les sujets des propositions suivantes : les livres utiles sont en petit nombre ; les principes de la Morale méritent attention ; vous qui connoissez ma conduite, jugez-moi ; craindre Dieu, est le commencement de la sagesse ; où l’on voit le nom livres modifié par l’addition de l’adjectif utiles, qui en restraint l’étendue ; le nom principes modifié par l’addition de ces mots de la morale, qui en est un complément déterminatif ; le pronom vous modifié par l’addition de la proposition incidente qui connoissez ma conduite, laquelle en est explicative ; & l’infinitif craindre déterminé par l’addition du complément objectif Dieu.

On voit, par la notion que je donne ici du sujet complexe, que ce n’est pas seulement une proposition incidente qui le rend tel, mais toute addition qui en développe le sens, ou qui le détermine par quelque idée particuliere qu’elle y ajoute. Le mot principal auquel est faite l’addition, est le sujet grammatical de la proposition, parce que c’est celui qui seul est soumis en qualité de sujet aux lois de la syntaxe de chaque langue ; ce même mot, avec l’addition qui le rend complexe, est le sujet logique de la proposition, parce que c’est l’expression totale de l’idée déterminée dont l’esprit apperçoit l’existence intellectuelle sous telle ou telle relation à tel attribut.

L’attribut peut être également incomplexe ou complexe.

L’attribut est incomplexe, quand la relation du sujet, à la maniere d’être dont il s’agit, y est exprimée en un seul mot, soit que ce mot exprime en même tems l’existence intellectuelle du sujet, soit que cette existence se trouve énoncée séparément. Ainsi quand on dit, je lis, je suis attentif, les attributs de ces deux propositions sont incomplexes, parce que dans chacun on exprime en un seul mot la relation du sujet à la maniere d’être qui lui est attribuée ; lis énonce tout-à-la-fois cette relation & l’existence du sujet, &

il équivaut à suis lisant ; attentif n’énonce que la relation de convenance du sujet à l’attribut.

L’attribut est complexe, quand le mot principalement destiné à énoncer la relation du sujet à la maniere d’être qu’on lui attribue, est accompagné d’autres mots qui en modifient la signification. Ainsi quand on dit : je lis avec soin les meilleurs grammairiens, & je suis attentif à leurs procédés ; les attributs de ces deux propositions sont complexes, parce que dans chacun le mot principal est accompagné d’autres mots qui en modifient la signification. Lis, dans le premier exemple, est suivi de ces mots, avec soin, qui présentent l’action de lire comme modifiée par un caractere particulier ; & ensuite de ceux-ci, les meilleurs grammairiens, qui déterminent la même action de lire par l’application de cette action à un objet spécial. Attentif, dans le second exemple, est accompagné de ces mots, à leurs procédés, qui restraignent l’idée générale d’attention par l’idée spéciale d’un objet déterminé.

Les propositions sont également incomplexes ou complexes, selon la forme de l’énonciation de leur sujet & de leur attribut.

Une proposition incomplexe, est celle dont le sujet & l’attribut sont également incomplexes. Exemples : la sagesse est précieuse ; vous parviendrez ; mentir est une lâcheté.

Une proposition complexe, est celle dont le sujet ou l’attribut, ou même ces deux parties, sont complexes. Exemples : la puissance législative est respectable ; les preuves dont on appuie la vérité de la religion chrétienne sont invincibles ; ces propositions sont complexes par le sujet : Dieu gouverne toutes les parties de l’univers ; César fut le tyran d’une république dont il devoit être le défenseur ; ces propositions sont complexes par l’attribut : la gloire qui vient de la vertu est plus solide que celle qui vient de la naissance ; être sage avec excès est une véritable folie ; ces propositions sont complexes par le sujet & par l’attribut.

L’ordre analytique des parties essentielles d’une proposition complexe n’est pas toujours aussi sensible que dans les exemples que l’on vient de voir ; c’est alors à l’art même de l’analyse de le retrouver. Par exemple, c’est tuer les pauvres, de ne pas subvenir autant qu’on le peut à leur subsistance (si non pavisti, occidisti) ; il est évident que l’on attribue ici à la chose dont on parle que c’est tuer les pauvres, & conséquemment que est tuer les pauvres est l’attribut de cette proposition ; quel en est donc le sujet ? Le voici : ce (sujet grammatical) de ne pas subvenir autant qu’on le peut à la subsistance des pauvres (addition qui rend le sujet complexe en le déterminant). La construction analytique est donc : ce de ne pas subvenir autant qu’on le peut à la subsistance des pauvres est les tuer.

Quand les additions faites, soit au sujet, soit à l’attribut, soit à quelque autre terme modificatif de l’un ou de l’autre, sont elles-mêmes des propositions ayant leurs sujets & leurs attributs, simples ou composés, incomplexes ou complexes ; ces propositions partielles sont incidentes, & celles dont elles sont des parties immédiates sont principales, voyez Incidente. Mais quelque composée, ou quelque complexe que puisse être une proposition, eût-elle l’étendue & la forme que les Rheteurs exigent pour une période, l’analyse la réduit enfin aux deux parties fondamentales, qui sont le sujet & l’attribut.

Prenons pour exemple cette belle période qui est à la tête de la seconde partie du discours de M. l’abbé Colin, couronné par l’académie françoise en 1714. Si fermer les yeux aux preuves éclatantes du christianisme, est une extravagance inconcevable ; c’est encore un bien plus grand renversement de raison d’être persuadé de la vérité de cette doctrine, & de vivre comme si on ne doutoit point qu’elle ne fût fausse.