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Le P. Calmet penche pour le sentiment de M. le Clerc ; il remarque que Dieu, dans ses révélations au genre humain, s’accommode à notre portée, & souvent même à nos préjugés. Les Juifs se représentoient Dieu dans le ciel, tel qu’un roi dans son royaume ; les bons & les mauvais esprits, comme les exécuteurs & les instrumens de ses desseins, les uns à sa droite & les autres à sa gauche ; & comme les princes de la terre n’entreprennent guere rien qui soit de conséquence, sans l’avis de leur conseil, Dieu est représenté délibérant de la même maniere sur le sujet d’Achab. Tout cela ne peut se prendre au pié de la lettre ; Dieu ne consulte aucun ange pour exécuter ses volontés. Qui a connu la pensée du Seigneur, ou qui a été son conseiller ? On sait aussi que les mauvais anges ne se trouvent pas devant le Seigneur & à la gauche de son trône dans le ciel. L’écriture de l’ancien & du nouveau Testament nous apprend qu’ils sont tombés du ciel & détenus dans des chaines d’obscurité. Isaïe, xl. 12. Cependant puisque Job nous représente les mauvais anges devant le Seigneur, à-peu-près comme fait ici Michée, nous en devons conclure que telle étoit l’idée de le concevoir parmi les Hébreux & parmi les autres peuples qui n’étoient point plongés dans l’idolatrie.

Il faut enfin remarquer que les termes de l’Ecriture n’emportent pas un commandement direct ou une approbation, mais une simple permission ; c’est-à-dire, que Dieu n’empêcha point l’esprit malin de séduire les prophetes. Il permit, sans aucune approbation de sa part, que toutes ces circonstances contribuassent à avancer l’accomplissement de ses desseins. C’est ainsi que J. C. disoit à Judas : ce que tu fais fais-le bientôt, Jean, xiij. 27. quoique le Sauveur fût bien éloigné le lui commander ou d’approuver ce qu’il avoit dessein de faire. C’est encore ainsi que Dieu disoit à Isaïe, c. vj. 10. Engraisse le cœur de ce peuple, rend ses oreilles pesantes, & bouche ses yeux ; paroles qui n’étoient qu’une prophétie de ce qui devoit arriver. (D. J.)

PROPHÉTIE, prophetia, se dit en général de toute prédiction faite par l’inspiration divine. Voyez Inspiration.

Mais pour en donner une idée plus juste, il est à propos d’observer, 1°. que la prophétie n’est point la prévoyance de quelques effets naturels & physiques, suites infaillibles de la communication des différens mouvemens de la matiere. Un astronome prédit les éclipses, un pilote prévoit les tempêtes ; & ni l’un ni l’autre ne sont pour cela prophetes. 2°. Que la prophétie n’est pas non plus la prévoyance de quelque suite d’événemens, établie sur certains signes extérieurs en conséquence de plusieurs expériences où ces mêmes signes ont été succédés d’évenemens pareils : les décisions des médecins sont de ce genre, & ne passent pas pour des prophéties. 3°. La prophétie n’est pas le présage de quelques révolutions dans les affaires, soit publiques, soit particulieres, quand on a pour motif la détermination, la connoissance du cœur humain, ou du jeu des passions, qui engagent presque toujours les hommes dans les mêmes démarches. La politique & la réflexion suffisent pour prévenir de pareils événemens.

La prophétie est donc la connoissance de l’avenir impénétrable à l’esprit humain ; ou pour mieux dire, c’est la connoissance infaillible des événemens futurs, libres, casuels, où l’esprit ne découvre ni détermination antérieure, ni disposition préliminaire. On peut encore la définir la prédiction certaine d’une chose future & contingente, & qui n’a pu être prévue par aucun moyen naturel.

Dieu seul a par lui-même la connoissance de l’avenir ; mais il peut la communiquer aux hommes, & leur ordonner d’annoncer aux autres les vérités

qu’il leur a manifestées : or, c’est ce qu’il a fait, & delà les prophéties qui sont contenues dans l’ancien Testament.

Quelques auteurs ont pensé que la divination étant un art enseigné méthodiquement dans les écoles romaines, les Juifs avoient pareillement des colléges & des écoles où l’on apprenoit à prophétiser. Dodwel ajoute que dans ces écoles on apprenoit les regles de la divination, & que le don de prophétie n’étoit pas une chose occasionnelle, mais une chose de fait & assurée ; & quelques autres ont osé avancer qu’il y avoit dans l’ancien Testament un ordre de prophetes à-peu-près semblable aux colléges des augures chez les payens.

Il est vrai qu’on trouve dans l’Ecriture ces communautés des prophetes & des enfans des prophetes établies ; mais où trouve-t-on qu’on y enseignât l’art de prophétiser ? quelles en étoient les regles ? Tous les sectateurs des prophetes étoient-ils prophetes eux-mêmes ? Enfin ne voit-on pas dans tous les prophetes un choix particulier de Dieu sur eux, une vocation spéciale, des inspirations particulieres marquées par ces paroles, factum est verbum Domini ad N ? Enfin, entre les impostures, les conjectures des devins du paganisme, & le ton sérieux & affirmatif des prophetes de l’ancienne loi, il y a une différence palpable.

On ajoute qu’il y avoit parmi les Juifs un grand nombre de prophetes, qui non-seulement parloient sur la religion & le gouvernement, mais encore qui faisoient profession de dire la bonne avanture, & de faire retrouver les choses perdues ; mais ces deux especes de prophetes étoient fort différens. Les devins, les imposteurs & les charlatans, sont condamnés par la loi de Moïse : les vrais prophetes démasquoient leurs fourberies ; les princes impies avoient beau les tolérer & les favoriser, tôt ou tard on découvroit la fausseté de leurs prédictions ; au lieu que celles des vrais prophetes étoient confirmées ou sur-le-champ par des miracles éclatans, ou peu après par l’infaillibilité de l’évenement.

L’accomplissement des prophéties de l’ancien Testament dans la personne de Jesus-Christ, est une des preuves les plus fortes que les Chrétiens emploient pour démontrer la vérité de la religion, contre les Juifs & les Payens : on y oppose diverses difficultés, mais qui ne demeurent pas sans replique.

Ainsi l’on objecte que souvent les textes de l’ancien Testament cités dans le nouveau, ne se trouvent point dans l’ancien ; que souvent aussi le sens littéral du nouveau Testament ne paroît pas le même que celui de l’ancien : ce qui a obligé quelques critiques & théologiens à avoir recours à un sens mystique & allégorique pour adapter ces prophéties à Jesus-Christ. Par exemple, quand saint Matthieu, après avoir rapporté la conception & la naissance de Jesus-Christ, dit : « Tout cela arriva, afin que fût accompli ce qui avoit été dit par le seigneur par la bouche de son prophete, disant, ecce virgo concipiet & pariet filium, & vocabitur nomen ejus Emmanuel ». Or, ajoute-t-on, ces paroles telles qu’elles se trouvent dans Isaïe, prises dans leur sens littéral & ordinaire, regardent une jeune femme épouse du prophere, qui accoucha d’un fils au tems d’Achaz, & ne peuvent s’appliquer à Jesus-Christ que dans un sens allégorique : c’est le sentiment de Grotius, de Castalion, de Courcelles, d’Episcopius, & de M. Leclerc.

Nous voulons bien ne pas tirer avantage contre ces auteurs, de ce qu’ils sont tous suspects de socinianisme ou d’arianisme ; & s’il s’agissoit de décider la chose par autorité, nous leur opposerions une foule de peres, d’interpretes, de théologiens, soit catholiques, soit protestans, qui ont entendu ce passage d’Isaïe à la lettre de Jesus-Christ. Mais il s’agit, pour l’instruction du lecteur, de montrer que c’est de Jesus-