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la peau de brebis se disent être envoyés de Dieu, & ne sont pourtant que les émissaires du diable ; c’est enfin selon ce sens que saint Augustin (quest. xix. in Exod.) définit un prophete en disant que c’est un homme qui porte la parole de Dieu aux hommes, qui ne peuvent ou ne méritent pas de l’entendre par eux-mêmes : annunciatorem verborum Dei hominibus, qui vel non possunt vel non merentur Deum audire.

Cinquiemement, les Poëtes & les Chantres ont été appellés prophetes, & vates en latin signifie quelquefois un devin & quelquefois un poëte. Ce nom ne leur a peut-être été donné qu’à cause de l’enthousiasme poétique, qui élevant leurs discours au-dessus du langage ordinaire, & les faisant sortir d’un caractere modéré, les rend semblables à des hommes inspirés ; c’est pourquoi la Poésie est nommée le langage des dieux, & les Poëtes ont grand soin de faire entendre que leur style est au-dessus de celui des mortels, en commençant leurs ouvrages par l’invocation des dieux, des Muses, & d’Apollon qu’ils reclament & appellent sans cesse à leur secours ; coutume dont Tite-Live semble un peut se railler au commencement de son histoire, lorsqu’il dit qu’il chercheroit dans l’invocation des dieux un secours favorable à un aussi grand ouvrage qu’est celui d’une histoire romaine, si l’usage l’avoit également autorisé parmi les Historiens comme parmi les Poëtes, si ut Poëtis nobis quoque mos esset. Cette coutume n’avoit point passé jusque dans l’Histoire, dont la gravité ne sauroit admettre le faste dans le style non-plus que le faux dans les faits. Ces épithetes exagérées de prophetes, de devins, & de sacrés ont été & seront toujours apparamment l’apanage de la fiction & de l’enthousiasme ; de-là vient qu’Horace se nomme dans une de ses odes le prêtre des Muses ; odi profanum vulgus & arceo (dit-il) favete linguis, carmina non prius audita, Musarum sacerdos, virginibus puerisque canto. C’est peut-être en ce sens que saint Paul, dans son épître à Tite, donne à Epiménide le nom de prophete, proprius eorum propheta, dit-il, parce que c’étoit un poëte crétois. Il est dit en ce même sens de Saül, qu’il prophétisa avec une troupe de prophetes qu’il rencontra en son chemin, ayant à leur tête plusieurs instrumens de musique, & chantant des vers & des hymnes qu’ils avoient composés ou qu’ils composoient sur-le-champ. En ce sens David, Asaph, Heman, Idithun étoient des prophetes, parce qu’ils composoient & chantoient des pseaumes : & Conenias est nommé dans les Paralippomenes, le prince & le chef de la prophétie parmi les chantres, princeps prophetiæ inter cantores. Dans le même livre, chap. xxv. il est dit des chantres que David avoit établis pour chanter dans le temple, qu’ils prophétisoient sur la guitare, sur le psalterium, & sur les autres anciens instrumens de musique, prophetantes juxta regem… qui prophetarent in cytaris & psalteriis, & cymbalis.

Sixiemement, le mot de prophétie a été appliqué, quoiqu’assez rarement, à ce qui étoit éclatant & merveilleux ; c’est pourquoi l’Ecclésiastique dit au chap. lxviij. que le corps d’Elisée prophétisa après sa mort, & mortuum prophetavit corpus ejus, parce que son attouchement ressuscita un mort qu’on enterroit auprès de lui. Et les Juifs voyant les miracles que faisoit Jesus-Christ, disoient, qu’il n’avoit jamais paru parmi eux un semblable prophete, c’est-à-dire un homme dont les actions & les paroles eussent tant de brillant & tant de merveilleux.

En septieme lieu, on a quelquefois donné le nom de prophétie à un juste discernement & à une sage prévoyance, qui font qu’on pense d’une maniere judicieuse sur les choses à venir comme sur les présentes ; alors pour être prophete il ne faut que de la science, de l’expérience, de la réflexion, de l’étendue & de la droiture d’esprit. C’est par cette raison

qu’il est dit dans les Proverb. que la bouche du roi n’erre point dans les jugemens qu’elle prononce, & que ses levres annoncent l’avenir, divinatio in labiis regis, & in judicio non errabit os ejus, ou, dans un sens d’instruction & de commandement, que les rois doivent prévoir les événemens, & que leurs arrêts doivent toujours être dictés par la justice. Ce talent de prévoyance fit passer pour prophete Thalès milésien, parce qu’il sut prévoir, ou du-moins conjecturer, par les connoissances qu’il avoit de la physique, l’abondance d’huile qu’il dut y avoir une année dans son pays. Euripide a un beau vers sur cette sorte de prophétie, cité par M. Huet : le voici.

μάντις δ’ἄριστος ὅστις εἰκάζει καλῶς.

« Un excellent prophete est celui qui conjecture sagement. » Le poëte Ménandre dit aussi que plus on a d’étendue d’esprit, plus grand prophete on est ὁ νοῦν πλεῖστον ἔχων, μάντις πλεῖστον. Par cette raison le poëte Epiménide passoit pour prophete, car Aristote dit de lui qu’il découvroit les choses inconnues : & Diogene Laerce, dans la vie qu’il en a donnée, dit qu’il devinoit les choses futures ; qu’il prédit le succès de la guerre que les Arcadiens & les Lacedémoniens commençoient entre eux, & qu’il prévit les malheurs que causeroit un jour aux Athéniens le port qu’ils avoient fait construire ; il leur dit que s’ils le connoissoient, ils le renverseroient plutôt avec les dents que de le laisser sur pié. C’est sans doute pour cela que saint Paul ne fait point difficulté de l’appeller prophete, mais un prophete par sagesse humaine, tel qu’il pouvoit y en avoir chez les Crétois, proprius ipsorum propheta. Il approuve & confirme la justesse du discernement de ce poëte, lorsqu’il dit à Tite que le témoignage qu’il a rendu des Crétois est véritable. Ce témoignage ne leur fait pas honneur, car ils dit d’eux qu’ils sont toujours menteurs, méchantes bêtes, & grands paresseux, ἀεὶ ψεῦσται, κακὰ θηρία, γαστέρες ἀργαί ; il étoit cependant très-estimé des Crétois & de tous les Grecs ; ils le consultoient comme un oracle dans les affaires & dans les accidens publics.

Huitiemement, enfin le nom de prophétie signifie, dans un sens plus propre & plus resserré, la prédiction certaine des choses futures, à la connoissance desquelles la science ni la sagesse humaine ne sauroit atteindre ; comme lorsque Notre-Seigneur dit qu’il faut que tout ce qui est contenu dans les prophéties soit accompli. Cette sorte de prophétie est le caractere de la divinité ; de-là vient qu’Heli insulte les faux dieux & leurs prêtres idolâtres, en leur reprochant l’impuissance où ils sont de prédire l’avenir ; nunciate, dit-il, quæ ventura sunt, & sciemus quia dii estis vos, « prédisez-nous ce qui doit arriver & nous reconnoîtrons en vous la divinité ». C’est en ce sens que la définit M. Huet au commencement de sa démonstration évangélique, & c’est aussi presque le seul sens dans lequel on se sert aujourd’hui du mot de prophétie.

Prophetes, s. m. (Hist. ecclés.) secte d’hérétiques que l’on nomme en Hollande prophétantes. Ils s’assemblent de toute la province à Varmont, près de Leyde, les premiers dimanches de chaque mois, & vaquent tout le jour à la lecture de la sainte-Ecriture, proposant chacun leurs difficultés, & usant de la liberté de prophétiser, ou plûtôt de raisonner sur l’Evangile. D’ailleurs ils se piquent d’être honnêtes gens, & ne different des remontrans qu’en une plus étroite discipline sur le fait de la guerre, qu’ils condamnent sans aucune exception. La plûpart d’eux s’appliquent à étudier le grec & l’hébreu. Sorberiana.

Prophete, Devin, (Synon.) Le devin découvre ce qui est caché ; le prophete prédit ce qui doit arriver.