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qu’alors il y a ellipse ; & ils ne le mettent au rang des pronoms que pour suivre le torrent : la vérité bien connue impose d’autres lois.

Quelconque pour les deux genres. Adjectif à-peu-près synonyme de nul ou aucun dans une phrase négative ; & alors il n’a point de pluriel, non plus que ces deux autres : il n’a chose quelconque. Dans une phrase positive il est à-peu-près synonyme de quel, & prend un pluriel, des prétextes quelconques. Dans l’un & l’autre cas il est également adjectif, & reconnu tel par ceux mêmes qui le comptent parmi les pronoms. L’abbé Regnier n’a considéré ce mot que dans le premier sens, & M. Restaut dans le second : tous deux le disent peu usité, & je trouve que l’esprit philosophique l’a remis en valeur, & qu’il est d’un usage aussi universel que tout autre, sur-tout dans le second sens.

Quelque pour les deux genres. Adjectif partitif, que nous plaçons avant un nom appellatif, & qui désigne ou un individu vague, ou une quotité vague des individus compris dans l’étendue de la signification du nom : quelque passion secrete enfanta le calvinisme ; quelques écrivains respectent bien peu la religion. Quelquefois quelque est qualificatif à-peu-près dans le sens de quel, comme quand on dit, quelque science que vous ayez. D’adjectif il devient adverbe dans le même sens, quand il se trouve avant un adjectif ou un adverbe ; comme quelque savant que vous soyez, quelque savamment que vous parliez.

Quelqu’un, quelqu’une, quelques-uns, quelques-unes. Cet adjectif est synonyme du précédent, comme chacun est synonyme de chaque ; & il y a de part & d’autre les mêmes différences. Quelqu’un s’emploie seul, mais avec une relation expresse à un nom sous-entendu & connu par les circonstances : quelqu’un d’eux, en parlant d’hommes ; quelques-unes de vous, en parlant à des femmes. Dans cette phrase, quelqu’un a dit que, &c. le sens même indique d’une maniere non-équivoque que quelqu’un se rapporte à homme ; & la concordance dans tous les cas certifie que ce mot est adjectif.

Tel, telle. Adjectif démonstratif dans certaines occasions, & comparatif dans d’autres. Tel homme ou telle femme s’enorgueillit des qualités de son esprit, qui devroit rougir de la turpitude de son cœur ; l’adjectif tel n’a ici que le sens démonstratif. Il est tel ou elle est telle, ils sont tels ou elles sont telles que j’avois dit ; c’est ici le sens comparatif.

III. Adverbes réputés pronoms. J’ai déja fait voir ci-devant que les deux mots en & y, pris communément pour des pronoms personnels ou conjonctifs, ne sont en effet que des adverbes. Il y en a encore deux, qui ont fait aux Grammairiens la même illusion ; savoir, dont & .

Dont a tous les caracteres de l’adverbe. 1°. Il est équivalent à une préposition avec son complément, & il signifie de qui, de lequel ou duquel, de laquelle, de lesquels ou desquels, de lesquelles ou desquelles ; si l’on veut prendre ces mots substantivement, il est clair qu’ils sont les complémens de la préposition de ; si on veut les regarder comme adjectifs, ils expriment au moins une partie invariable du complément, & la partie variable est sous-entendue. Voyez Relatif. 2°. L’origine même du mot en certifie la nature, soit que l’on adopte celle qu’indique l’abbé de Dangeau (Opusc. p. 235.) soit que l’on s’en tienne à celle qu’indique Ménage au mot dont, d’après Sylvius dans sa grammaire françoise, écrite en latin (p. 142.), soit enfin que ces deux manieres d’envisager l’étymologie de dont convienne en effet à n’en assigner qu’une seule origine. L’un le dérive de donde, mot italien, qui signifie aussi dont ; & il ajoute que l’italien donde

s’est formé du latin undè : l’autre le tire immédiatement du mot deundè de la basse latinité, & l’on pourroit même le prendre de undè employé dans le même sens par les Latins, témoin Cicéron même qui parle ainsi : De eâ re multò dicet ornatiùs, quam ille ipse cognovit, (il en parle beaucoup mieux que celui même dont il l’a appris). Or personne ne doute que le latin unde ne soit adverbe, aussi-bien que le donde des Italiens ou des Espagnols ; & par conséquent il ne doit pas y avoir plus de doute sur la nature de notre dont, qui est derivé & qui en a la signification.

est réputé adverbe en mille occasions, ainsi que le latin ubi dont il descend au moyen d’un apocope ; comme quand on dit où allez-vous, je ne sais où aller, &c. Mais ce mot étant souvent employé avec un nom antécédent, comme qui, lequel, &c. Nos Grammairiens ont jugé à-propos de le ranger dans la même classe & d’en faire un pronom ; comme quand on dit, le tems où nous sommes, votre perte où vous courez, &c. On verra ailleurs (voyez Relatif) d’où peut être venue cette erreur : il suffit de remarquer ici que le tems où nous sommes veut dire le tems ou nous sommes ; & que votre perte où vous courez, signifie votre perte vous courez. Ainsi, est dans le même cas que dont ; 1°. il équivaut à une préposition avec son complément ; 2°. il est dérivé d’un adverbe : ce qui donne droit d’en porter le même jugement.

Ce détail, minutieux en apparence, où je viens d’entrer sur les prétendus pronoms de notre langue, n’a pas uniquement pour objet notre grammaire ; j’y ai envisagé la grammaire générale & toutes les langues. La plûpart des grammaires particulieres regardent aussi comme pronoms les mots correspondans de ceux que j’examine ici ; & il est facile d’y appliquer les mêmes remarques.

Je m’attends bien qu’il se trouvera des gens, peut-être même des grammairiens, qui prendront en pitié la peine que je me suis donnée d’entrer dans des discussions pareilles, pour décider à quelle classe, à quelle partie d’oraison, il faut rapporter des mots, dont après tout il n’importe que de bien connoître la destination & l’usage. C’est une bévue, selon eux, que d’employer le flambeau de la Métaphysique pour démêler dans le langage, des finesses que la réflexion n’y a point mises, que les gens du grand monde qui parlent le mieux n’y apperçoivent point, dont la connoissance ne paroît pas trop nécessaire, puisqu’on a pu s’en passer jusqu’à présent, & dont le premier effet, si l’on s’y arrête, sera de bouleverser entierement les idées reçues & les systèmes de grammaire les plus accrédités. « Les dénominations reçues, dit M. l’abbé Regnier (in-12. p. 300. in-4°. p. 315.) sont presque toujours meilleures à suivre que les autres ».

On abuse ici très-évidemment du terme de métaphysique, ou que l’on n’entend pas, ou que l’on ne veut pas entendre, afin de décrier des recherches qu’on ne veut point approfondir, ou auxquelles on ne sauroit atteindre. La métaphysique du langage n’est rien autre chose que la nature de la parole mise à découvert ; si l’étude en est inutile ou nuisible, c’est la grammaire générale qu’il faut proscrire, c’est la logique qu’il faut condamner, ce sont les Arnauds & les du Marsais qu’il faut prendre à partie, ce sont leurs chef-d’œuvres immortels qu’il faut décrier. Si les finesses que la métaphysique découvre dans le langage ne sont point l’ouvrage de la réflexion, elles méritent pourtant d’en être l’objet ; parce qu’elles émanent d’une source bien supérieure à notre raison chancellante & fautive, & que nous ne saurions trop en étudier les voies pour apprendre à rectifier les nôtres. Les gens qui parlent le mieux