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bon escuyer cinquante. Mais aujourd’hui, beau fils, un petit homme de nulle condition, mais qu’il ait des amis à la cour, & à un valet de chambre, tu donneras légerement mille & deux mille livres… Que se dira, beau fils, des dons mal-employés des héraults, & des menestreils & des faiseurs de bourdes » ? (D. J.)

Prodigalité, (Jurisprud.) la prodigalité est une espece de démence : c’est pourquoi les prodigues sont de même condition que les furieux ; ils sont incapables, comme eux, de se gouverner & de régir leurs biens, ni d’en disposer, soit entrevifs ou par testament.

Mais il y a cette différence entre l’incapacité qui procede du vice de prodigalité, & celle qui provient de la fureur ou imbécillité, que celle-ci a un effet rétroactif au jour que la fureur ou imbécillité a commencé, au lieu que l’incapacité résultante de la prodigalité ne commence que du jour de l’interdiction.

Pour faire interdire un prodigue, il faut que quelqu’un des parens ou amis présente requête au juge du domicile ; & sur l’avis des parens, le juge prononce l’interdiction, s’il y a lieu. Si les faits de dissipation ne sont pas certains, on ordonne une enquête.

Le pere peut grever son fils ou sa fille prodigue d’une substitution exemplaire. Voyez la loi 1. au ff. de curator. furios. (A)

PRODIGE physique, (Histoire des prodiges des anciens.) les prodiges que nous trouvons rapportés dans les ouvrages des Grecs & des Latins peuvent être rangés sous deux classes, comme M. Freret l’a fait dans un excellent mémoire sur cette matiere, dont on sera bien-aise de trouver ici le précis.

La premiere classe comprend ces miracles du Paganisme que l’on ne peut expliquer sans recourir à une cause surnaturelle, c’est-à-dire sans supposer que Dieu a bien voulu faire des miracles pour le compte du diable, & par conséquent employer pour confirmer les hommes dans l’erreur les mêmes moyens dont il s’étoit servi pour établir la vérité ; supposition qui ne peut se faire sans détruire absolument toute la force des preuves que fournissent les miracles en faveur de la véritable religion.

Les prodiges de cette espece ne méritent donc guere de croyance. Quand on lit que les Pénates apportés par Enée à Lavinium ne purent être transférés de cette derniere ville à Albe par Ascanius, & qu’ils revinrent d’eux-mêmes à Lavinium tout autant de fois qu’on les en tira pour les porter à Albe ; quand on lit que le Jupiter Terminalis ne put être remué de sa place lors de la construction du capitole ; quand on lit que le devin Accius Nevius trancha un caillou en deux d’un coup de rasoir, pour convaincre l’incrédulité d’un roi de Rome qui méprisoit les augures & la divination étrusque ; que la vestale Emilia puisa de l’eau dans un crible percé ; qu’une autre tira à bord avec sa ceinture un vaisseau engravé, que les plus grandes forces n’avoient pu ébranler ; qu’une autre vestale alluma miraculeusement avec un pan de sa robe le feu sacré qui s’étoit éteint par son imprudence, & que ces miracles se sont faits par une protection particuliere du ciel, qui vouloit les justifier contre des accusations calomnieuses, on doit regarder ces faits & tous ceux qui leur ressemblent, comme des fables inventées par des prêtres corrompus, & reçus par une populace ignorante & superstitieuse.

Le consentement des peuples disposés à tout croire, sans avoir jamais rien vu, & qui sont toujours les dupes volontaires de ces sortes d’histoires, ne peut avoir guere plus de force pour nous les faire recevoir que le témoignage des prêtres païens, qui ont été en tout pays & en tout tems trop inté-

ressés à faire valoir ces sortes de miracles, pour en

être des garants bien sûrs.

Les prodiges de la seconde classe sont des effets purement naturels, mais qui arrivant moins fréquemment & paroissant contraires au cours ordinaire de la nature, ont été attribués à une cause surnaturelle par la superstition des hommes effrayés à la vûe de ces objets inconnus. D’un autre côté, l’adresse des politiques qui savoient en tirer parti pour inspirer aux peuples des sentimens conformes à leurs desseins, a fait regarder ces effets étonnans tantôt comme une expression du courroux du ciel, tantôt comme une marque de la réconciliation des dieux avec les humains ; mais cette derniere interprétation étoit bien plus rare, la superstition étant une passion triste & fâcheuse, qui s’emploie plus souvent à effrayer les hommes qu’à les tranquilliser, ou à les consoler dans leurs malheurs.

Je range presque tous ces prodiges sous cette derniere classe, étant persuadé que la plus grande partie de ces évenemens merveilleux ne sont, en les réduisant à leur juste valeur, que des effets naturels, souvent même assez communs. Lorsque l’esprit des hommes est une fois monté sur le ton superstitieux, tout devient à leurs yeux prodige & miracle, selon la réflexion judicieuse de Tite-Live, multa ea hyeme prodigia facta, aut, quod evenire solet, motis semel in religionem animis, multa nuntiata, & temerè credita sunt.

Je ne prétends cependant pas m’engager à parler ici de toutes les différentes especes de prodiges ; les uns ne sont que des naissances monstrueuses d’hommes ou d’animaux qui effrayoient alors les nations entieres, & qui servent aujourd’hui d’amusement aux Physiciens ; d’autres ne sont que des faits puérils & souvent même absurdes, dont la plus vile populace a fait des prodiges, & où l’on a cru pouvoir apprendre la volonté des dieux : tels étoient les conjectures des augures sur le chant, le vol & la maniere de manger de certains oiseaux : telles étoient les prédictions des aruspices à l’occasion de la disposition des entrailles d’une victime ; telle étoit l’apparition d’un serpent, d’un loup, ou de tel autre animal que le hasard faisoit rencontrer sous les yeux de celui qui étoit près d’entreprendre quelque action. Je n’entre point dans l’examen de ces prodiges vulgaires, dont Cicéron a si spirituellement étalé le ridicule dans ses livres de la divination ; les prodiges dignes d’être examinés sont des phénomenes ou apparences dans l’air, & des météores singuliers par leur nature ou par les circonstances qui les accompagnoient.

Il est fait mention, par exemple, en cent endroits de Tite-Live, de Pline, de Julius Obséquens, & des autres historiens, de ces pluies prodigieuses de pierres, de cendres, de briques cuites, de chair, de sang, &c. dont nous avons fait un particulier. Voyez Pluie prodigieuse, (Physique.)

On lit aussi dans les mêmes historiens tantôt que le ciel a paru enflammé, cælum arsisse, tantôt que le soleil, ou du-moins un corps lumineux semblable à cet astre, s’est montré au milieu de la nuit ; que l’on a vu en l’air des armées brillantes de lumiere, & cent autres faits de cette nature, qui simplifiés étoient des météores, des phénomenes de lumiere & des aurores boréales.

Le commun des modernes ou de ceux qui n’ayant pris qu’une légere teinture de philosophie, se croient en droit de nier la possibilité des effets dont ils ne peuvent imaginer la cause naturelle, prennent le parti de récuser le témoignage des anciens qui les rapportent, sans penser que ces historiens décrivant la plûpart des faits publics & connus de leur tems, méritent qu’on leur accorde la croyance que nous ne