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mettre sous les yeux du lecteur, & qui est ici plus complet que dans aucun de nos grammairiens, je n’ai pas cru devoir m’occuper de la distinction de tous les rapports que chaque préposition peut exprimer en vertu de l’usage de notre langue. Ce détail ne peut convenir qu’à une grammaire françoise, & ne doit pas plus grossir cet ouvrage que le dénombrement des prépositions latines, grecques, hébraïques, chinoises, ou autres : l’énumération que j’ai faite des nôtres est moins un hommage rendu à notre langue, qu’un essai sur la maniere de reconnoître la nature des prépositions dans quelque idiome que ce soit, un exemple de l’attention scrupuleuse que cette étude exige, & un cannevas de prépositions bien connues pour servir de fondement à quelques remarques didactiques sur cet objet.

1°. Je crois, comme M. l’abbé Regnier, qu’il ne faut pas trop s’attacher à réduire toutes les prépositions à des classes générales ; une même préposition a reçu trop de significations différentes pour se prêter sans obstacle à des classifications régulieres. « Non seulement une même préposition marque des rapports différens, ce qui est déja un défaut dans une langue ; mais elle en marque d’opposés, ce qui est un vice ». C’est une remarque de M. Duclos. Gram. gén. part. II. ch. ij. Si l’on prétendoit donc réduire en classes le système des prépositions, on s’exposeroit à la nécessité de tomber souvent dans des redites, & de dépecer sous différens titres les divers usages de la même préposition.

Ne vaudroit-il pas mieux penser à réduire sous un point de vue unique & général tous les usages d’une même préposition ? Quelque difficile que paroisse au premier aspect la solution de ce problème, je ne laisse pas d’être persuadé qu’elle est très-possible : de quelque bisarrerie qu’on accuse l’usage, ce prétendu tyran des langues, j’ai reconnu dans un si grand nombre de ses décisions, taxées trop légerement d’irrégularité, l’empreinte d’une raison éclairée, fine, & en quelque sorte infaillible, que je ne puis croire le système des prépositions aussi inconséquent qu’on l’imagine dans notre langue, & qu’il le seroit en effet dans toutes, si la maniere commune d’envisager les choses est conforme à la droite raison. En tout cas, il est certain que si la réduction que je propose étoit exécutée, la syntaxe de cette partie d’oraison, qui a dans tous les idiomes de grandes difficultés, deviendroit très-simple & très-facile ; les connoisseurs doivent le sentir, & conséquemment entrer dans mes vues de tout leur pouvoir.

A quoi reconnoît-on, par exemple, que vers est préposition de lieu dans cette phrase, aller vers la citadelle ; de tems dans celle-ci, il est mort vers midi ; de terme dans cette troisieme, se tourner vers Dieu ? Disons-le de bonne foi : ces différentes significations ne sont point dans le mot vers : les rapports sont compris dans la signification des termes antécédens, & c’est l’ordre ; les termes conséquens de ces rapports sont les complémens de la préposition ; & la préposition ne fait qu’indiquer que son complément est le terme conséquent du rapport renfermé dans la signification du terme antécédent. Nous disons rapport de tems, quand le complément est un nom de tems ; rapport de lieu, quand c’est un nom de lieu, &c. Dans le fait, vers indique un rapport d’approximation, & l’approximation se mesure ou par la durée, ou par l’espace, ou par l’inclination de la volonté. Ce que je dis ici sur vers est un essai pour développer ma pensée, & pour diriger les vues des Grammairiens sur les autres prépositions.

2°. Ce n’est pas au reste que je prétende faire abandonner la considération des idées qui peuvent être communes à plusieurs prépositions, & de celles qui les différencient entre elles. Il me semble au contraire

que ce que je propose a pour but de généraliser encore plus les idées communes : & je crois qu’il ne peut être que très-avantageux pour cette fin, de comparer entre elle & les prépositions synonymes, & de les grouper en autant d’articles dans le traité général.

Le P. Bouhours a comparé sous cet aspect à & dans. Rem. neuv. t. I. pag. 113. & 433.

Le même écrivain (Ibid. p. 67.) a discuté la synonymie des deux prépositions en & dans. M. l’abbé Girard a traité le même sujet dans ses synonimes françois, 3. édit. p. 123.

Contre, malgré, nonobstant ont un fond commun & des différences caractéristiques, que ce même académicien expose avec netteté dans ses vrais princip. l. II. p. 193. & il approfondit encore davantage les différences de contre & de malgré, dans son livre des synonymes, p. 115. M. l’abbé Regnier en a aussi touché quelque chose. p. 626. in-12. p. 658. in-4°.

M. l’abbé Girard, syn. p. 39. a comparé les synonymes avant & devant, sur quoi l’on peut voir ce que M. du Marsais y a ajouté dans l’Encyclopédie, art. Avant, & ce qu’en a dit M. l’abbé Regnier, in-12. p. 585. & in 4. p. 617. Les prépositions opposées après & derriere sont analogues, & les différences en sont à-peu-près les mêmes.

On trouvera dans les vrais principes, p. 190. & dans la grammaire de l’abbé Regnier, in-12. p. 607. in-4. p. 639. en quoi conviennent & en quoi différent les deux prépositions synonimes durant & pendant. Il seroit bon d’examiner aussi jusqu’à quel point de peut être synonyme de ces mots quand on dit, par exemple, de jour, de nuit.

On lira aussi dans les vrais principes de l’abbé Girard, tom. II. pag. 189. ce qu’il a écrit sur les synonymes selon & suivant ; & p. 192. ce qu’il a dit d’excepté, hormis & hors.

Cet écrivain doit servir de modele à ceux qui voudront tenter la comparaison & l’explication des autres prépositions synonymes, telles que attenant, joignant, contre ; après & depuis ; avec, moyennant, & par ; attendu & vu ; entre & parmi ; envers & pour ; sur, touchant, concernant, & de, &c.

Il ne peut être que très-utile aussi d’insister sur les prépositions opposées, comme avant & après, deça & de-là, devant & derriere, sans & avec, sous & sur, pour & contre, &c. L’opposition suppose toujours un fonds commun ; & rien n’est plus propre à faire bien sortir les différences des synonymes, que celles de leurs opposés.

3°. M. du Marsais (au mot Accident) avance que les prépositions sont toutes primitives & simples. C’est une erreur évidente. Concernant, durant, joignant, moyennant, pendant, suivant, touchant, sont originairement des gérondifs : concernant de concerner ; durant de durer ; joignant de joindre ; moyennant de moyenner ; pendant de pendre, pris dans le sens de durer ou de n’être par terminé, comme quand on dit un procès pendant au parlement ; suivant du verbe suivre pris dans le sens d’obéir, comme quand on dit, je suivrai vos ordres ; touchant du verbe toucher : attendu, excepté, vu, sont dans l’origine les supins des verbes attendre, excepter, voir. Voilà donc des prépositions dérivées ; en voici de composées. Attenant (tenant à), de ad & de tenir ; hormis, qui s’écrivoit il n’y a pas long-tems horsmis, est composé de la préposition simple hors & du supin mis du verbe mettre ; malgré vient de mal pour mauvais & de gré ; nonobstant des deux mots latins non obstans. Sur quoi il est bon d’observer que ces prépositions composées le sont dans un autre sens que celui dont j’ai parlé plus haut ; chacune d’elles n’est qu’un mot, mais ce mot résulte de l’union de plusieurs radicaux.

4°. « L’usage, dit M. l’abbé Girard, tom. II. pag.