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crimes, & à la prévision de ces crimes. Il en résulte encore, qu’ils croyoient que l’homme étoit pleinement libre pour choisir entre le bien & le mal ; mais voici de nouvelles preuves de l’opinion des anciens docteurs sur le libre arbitre.

Irénée déclare, l. IV. c. lxxj. « que ceux qui font le bien, recevront gloire & honneur, parce qu’ils ont fait le bien qu’ils pouvoient ne pas faire ; & que ceux qui ne le font point, recevront un juste jugement de Dieu, parce qu’ils n’ont pas fait le bien tandis qu’ils avoient le pouvoir de le faire ». Il dit dans un autre endroit, l. IV. c. lxxij. « que si les uns avoient été créés naturellement mauvais, & les autres naturellement bons, ceux-ci ne seroient point dignes de louange, parce qu’ils sont bons ayant été faits tels ; ni ceux-là ne seroient pas dignes de blâme, pour être tels qu’ils ont été faits ».

Justin martyr, Apol. I. pro Christ. pag. 83. tient le même langage : après avoir donné la preuve que les prophéties fournissent en faveur de la Religion chrétienne, il fait voir que sans la liberté, il n’y auroit ni vice, ni vertu, ni blâme, ni louange.

Clément d’Aléxandrie établit cette même doctrine en divers endroits de ses écrits : voici un passage qui est remarquable. Il dit. l. VII. p. 727. « que comme un médecin procure la santé à ceux qui aident à leur rétablissement ; de même Dieu donne le salut éternel à ceux qui cooperent avec lui pour acquérir la connoissance de la vérité, & pour pratiquer la vertu ».

A l’égard des sentimens de saint Augustin, l’on doit avouer qu’ils n’ont pas toujours été uniformes. En disputant contre les Manichéens & les Marcionites, il a soutenu que l’homme a l’empire de ses propres actions, & peut faire également le bien & le mal s’il le veut ; mais lorsqu’il eut à combattre les Pélagiens, il changea de système, & soutint que l’homme étoit redevable de ses vertus à la seule grace de Dieu ; ses disciples S. Prosper, S. Hilaire, Fulgence, & autres, défendirent la même doctrine.

Enfin, quand l’autorité de saint Augustin eut prévalu dans les écoles qui le regardoient comme le chef de l’orthodoxie, préférablement à tous les anciens docteurs, il arriva dans le concile de Trente, que les Franciscains & les Dominicains eurent de grandes disputes touchant le vrai sens des écrits de ce pere sur cette matiere.

Les principaux théologiens qui se trouverent à ce concile, adoptoient les sentimens de Thomas d’Aquin, & d’autres scholastiques, qui enseignoient que Dieu avant la création, avoit élu de la masse du genre humain un certain nombre déterminé d’hommes qui ne peut être augmenté, & qu’il avoit en même tems destiné les moyens propres à parvenir efficacement à ses fins : que ceux auxquels Dieu n’a pas destiné le salut, ne peuvent se plaindre, puisque Dieu leur a donné des moyens suffisans pour y parvenir, quoiqu’il n’y ait que les élus qui doivent être sauvés. Ils tâchoient de prouver cette doctrine par saint Augustin. Les Franciscains prétendoient au contraire qu’elle étoit injurieuse aux perfections de Dieu, puisqu’il agiroit avec partialité ; si sans aucun motif il faisoit choix des uns & rejettoit les autres ; & qu’il seroit injuste à lui de condamner les hommes à cause de son bon plaisir, & non pour leurs péchés, & de créer un si grand nombre d’hommes pour les damner.

Catarin qui tenoit un milieu entre ces deux opinions, remarquoit qu’on n’avoit point entendu parler de la doctrine de saint Augustin avant lui ; & qu’elle ne se trouvoit dans les écrits d’aucun de ceux qui l’ont précédé : il ajoutoit que son zele contre Pélage l’avoit entraîné trop loin ; & c’est une obser-

vation que beaucoup d’autres savans ont faite depuis.

Il paroît du premier coup d’œil, que les Franciscains dans l’église romaine, les disciples de Mélanchton, & les Arminiens parmi les protestans, tiennent les mêmes opinions sur la matiere des decrets ; tandis que les Dominicains, les Luthériens rigides, qui suivent Flaccus Illyricus, & infralapsaires parmi les Réformés, sont tous ensemble dans les mêmes sentimens.

Calvin se fit un système particulier, qui n’avoit été connu ni des Dominicains, ni d’aucuns des partisans des rigueurs de S. Augustin. Il supposa que Dieu avoit mis Adam dans la nécessité de pécher, afin de manifester sa miséricorde par l’élection d’un petit nombre de personnes, & sa justice dans la réprobation de tous les autres. Ce système parut très-choquant à tous les partis, & si revoltant aux Luthériens en général, qu’ils témoignerent aimer mieux rentrer dans l’Eglise romaine, que d’y souscrire. Cependant Calvin, par son crédit, le fit recevoir dans toutes les églises de sa communion ; & son système passa dans les églises étrangeres où la discipline de Genève s’établit. Calvin devint ainsi parmi les ministres réformes ce qu’avoit été le maître des sentences dans les pays catholiques. Bientôt les églises du Palatinat & celles des Pays-Bas adopterent la doctrine & la discipline de ce reformateur, dont Beze soutint fortement les opinions.

Ceux d’entre les théologiens des Pays-Bas, qui étoient de l’ancienne roche luthérienne, penchoient bien plus pour les sentimens de Mélanchton que pour ceux de Calvin ; mais connoissant l’estime extraordinaire qu’on faisoit de ce théologien chez eux, ils demeurerent long-tems sans oser les combattre. Cependant l’an 1554, Anastase Veluanus osa rompre la glace dans un livre intitulé, Hod gus laicorum, le guide des laïques, livre qui attira dans son parti un grand nombre de personnes. Mais d’un autre côté, les ministres françois eurent assez de crédit auprès de Guillaume de Nassau, prince d’Orange, pour obtenir qu’une confession de foi qu’ils avoient dressée, fût présentée à la gouvernante en 1567, & ensuite introduite par degres dans toutes les églises du Pays-Bas.

Il ne manquoit pas néanmoins de gens éclairés qui dans la conjecture présente combattirent la doctrine de la prèdestination absolue exposée dans cette confession. Jean Isbrandi ministre de Rotterdam, Gellius, Snecanus en Frise, Holman professeur à Leyde, George Sohnius professeur à Heydelberg, Corneille Meynardi, Corneille Wiggeri, Théodore Coernhert, & quantité d’autres savans se déclarerent anticalvinistes, regardant leurs adversaires comme des novateurs qui avoient abandonné la saine doctrine des Peres de l’Eglise.

Enfin Jacob Van Harmine, si connu sous son nom latin d’Arminius, mit cette vérité dans tout son jour ; il réfuta par divers ouvrages pleins de modération, & l’infralapsaire Beze, & le système rigide des decrets absolus. Obligé néanmoins de rendre compte de sa doctrine, dans laquelle il ne reconnoissoit d’autre élection que celle qui avoit pour fondement l’obéissance des pécheurs à la vocation de Dieu par Jesus-Christ, il présenta aux états de Hollande & de Westfrise une ample exposition de ses sentimens, qu’il termina par une conclusion admirable.

« Je n’ajouterai, dit-il, qu’une seule chose à leurs nobles & grandes puissances, pour dissiper tous les soupçons qu’on pourroit avoir sur mon sujet dans cette auguste assemblée occupée à des affaires de la derniere importance, dont la sûreté de nos provinces & des églises réformées dépend ; la chose dont je veux parler, c’est qu’il faudra que