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des deux petits coquillages de mer nommés le murex & le purpura ; tous les deux sont univalves, alongés en voûte, terminés en pointe, & hérissés de piquans ; ils contiennent un petit poisson, dont le suc servoit à la teinture pourpre. La pêche de ces deux coquillages se faisoit sur les côtes de Phénicie, d’Afrique, de Grece, & autour de quelques îles de la Méditerranée.

Les Grecs nommoient ἁλουργίδες, les habits teints dans cette pourpre marine, & cette couleur étoit affectée particulierement au vêtement du roi de Perse ; les autres grands seigneurs de l’état portoient à la vérité des robes pourpres, mais d’une teinture différente.

Les Tyriens excelloient dans l’art de teindre la pourpre, soit par quelques secrets particuliers, soit qu’ils donnassent à leur pourpre plus de teint qu’aux pourpres ordinaires ; de-là vient qu’on lit dans les poëtes Tyrioque ardebat murice lana. Horace appelle la pourpre par excellence lana tyria ; Virgile, sarranum ostreum ; Juvenal, sarrana purpura. La beauté & la rareté de cette couleur l’avoient rendu propre aux rois de l’Asie, aux empereurs romains & aux premiers magistrats de Rome. Les dames même n’osoient l’employer dans leurs habits ; elle étoit reservée pour les robes prétextes de la premiere magistrature. De-là viennent ces expressions vestis purpurea, pour signifier une robe éclatante, & au figuré un sénateur, un consul.

Il y avoit des pêcheurs pour le coquillage qu’on nommoit purpurarii piscatores, des teinturiers en pourpre, tinctores purpurarii, des magasins de pourpre, officina purpuraria.

Alexandre s’étant rendu maître de Suze, trouva dans le château cinquante millions d’argent monnoyé : outre une si grande quantité de meubles, & d’autres richesses, qu’on ne pouvoit les nombrer, dit Plutarque ; entr’autres effets des plus précieux, on y trouva cinq mille quintaux de la riche pourpre d’Hermion, qu’on y avoit rassemblée pendant plus d’un siecle, & qui conservoit encore tout son lustre. On concevra quelle immense richesse c’étoit, quand on saura que cette pourpre se vendoit jusqu’à cent écus la livre, ce qui feroit sur ce pié cent cinquante millions de notre monnoie. Ainsi les trésors immenses que plusieurs rois avoient formés pendant des siecles, passerent dans une heure de tems entre les mains d’un seul prince étranger.

On avoit extrèmement perfectionné chez les anciens les teintures en pourpre, dont on faisoit diverses nuances, depuis le violet mêlé de rouge, jusqu’au rouge clair le plus brillant. Les Romains vouloient que la pourpre frappât doucement & agréablement la vûe d’une maniere moins vive, que ne fait le rubis, & c’est aussi le goût moderne pour l’écarlate. La pourpre & le murex servent encore aujourd’hui en Sicile à la teinture ; on tire également cette couleur du buccin. A Panama dans le Pérou sur la mer du Sud, on tire une couleur pourpre de la coque persique que l’on appelle pourpre de Panama, & dont on teint les étoffes de coton, faites de fils de plantes. Mais toute l’Europe fait la couleur pourpre beaucoup mieux, & dans toutes sortes de nuances, avec la cochenille ou la graine d’écarlate, & un pié de pastel ; il est vraissemblable que la pourpre ancienne n’étoit pas plus belle que la nôtre, & qu’on n’a cessé de s’en servir, que parce que la pourpre moderne se fait à moins de frais, & est plus éclatante.

On trouve dans les mers des Indes occidentales espagnoles, une espece de poisson à coquille, de la gueule duquel on tire une teinture de pourpre, qui ne cede point à celle des anciens. Les îles Antilles françoises ont aussi leur pourpre marine ; le poisson dont on la tire s’appelle burgau de teinture, il est de

la grosseur du bout du doigt, & ressemble aux limaçons qu’on nomme des vignaux. Sa chair est blanche ; ses intestins sont d’un rouge très-vif, dont la couleur paroît au travers de son corps, & c’est ce qui teint l’écume qu’il jette quand il est pris ; cette écume étant reçue sur un linge, se change en un rouge de pourpre en se séchant, mais elle s’affoiblit peu-à-peu, & se dissipe entierement à mesure qu’on lave le linge qui en a été teint.

Le pere Labatte dit qu’on trouve encore aux Antilles une plante qui donne une teinture pourpre, & qu’il appelle par cette raison lianne à sang. Cette plante, quand on la coupe sur pié, jette une liqueur rouge comme du sang de bœuf, & teint les toiles qu’on y trempe d’un rouge vif ; mais cette teinture a le même défaut que celle qui vient de l’écume du coquillage dont nous venons de parler, c’est-à-dire qu’elle n’est pas durable, qu’elle se décharge & se dissipe finalement, en lavant l’étoffe de laine, de coton, ou de fil qui en est teint. (D. J.)

Pourpre, (Critiq. sacrée.) l’étoffe, l’ouvrage teint en pourpre est mis dans l’Ecriture, comme dans les auteurs profanes, pour le coquillage qui donne cette couleur. Vous recevrez d’eux de la pourpre, dit Moise. Exod. xxv. 4, c’est-à-dire les étoffes de cette couleur pour les ornemens du grand prêtre. Pourpre signifioit aussi la robe dont se servoient par distinction les rois, & ceux à qui ils accordoient cet honneur, d’où vient qu’on les appelloit purpurati ; dans la suite, toutes les personnes opulentes porterent des robes teintes en pourpre. Le mauvais riche de l’Ecriture étoit vêtu de pourpre & de fin lin. Luc, xvj. 19. les payens en revêtoient aussi leurs idoles, comme on le voit dans Jérémie, x. 9. (D. J.)

Pourpre minéral, (Chimie.) c’est ainsi qu’on nomme une couleur d’un beau rouge pourpre, qui se fait par le moyen d’une dissolution d’or précipitée par le moyen d’une dissolution d’étain. On a fait jusqu’ici un très-grand mystère de la préparation de cette couleur ; mais M. de Montamy, premier maître d’hôtel de M. le duc d’Orléans à qui les arts sont redevables de la découverte des plus parfaites couleurs pour l’émail & la porcelaine, a trouvé plusieurs moyens de faire cette belle couleur. Voici son procédé.

On fait dissoudre de l’or dans de l’eau régale faite avec parties égales d’esprit de nitre & d’esprit de sel, on garde cette dissolution pour en faire usage, ensuite on fait dissoudre de l’étain de la meilleure qualité dans un acide quelconque bien affoibli avec de l’eau, afin que la dissolution se fasse lentement.

Lorsqu’on voudra faire du pourpre minéral, on prendra de l’eau pure distillée, on en remplira un matras ou une bouteille ; sur cette quantité d’eau on mettra quelques gouttes de la dissolution d’or, on remuera bien la bouteille pour que le mélange s’incorpore parfaitement, par ce moyen l’eau ne sera presque point colorée. Alors on trempera un tuyau de verre dans la dissolution d’étain, & on le remuera dans l’eau où l’on a mis de l’or dissout. On réïterera plusieurs fois cette opération jusqu’à ce qu’on voie des nuages pourpres se former dans cette eau ; ce sera un signe que la couleur sera faite. Alors on couvrira le matras pour le garantir des ordures, & l’on donnera le tems à la couleur de se précipiter, ce qui se fera quelquefois très-lentement. Lorsque la précipitation se sera faite, on trouvera au fond du matras une fécule ou un dépôt d’un très-beau rouge pourpre qui sera plus ou moins vif, selon la nature du dissolvant dans lequel on aura fait dissoudre l’étain, & selon que l’opération aura été faite avec soin ; il faut surtout que le dissolvant de l’étain soit bien affoibli, & que la dissolution d’or soit étendue dans beaucoup d’eau.