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égaux & réguliers, & qu’ils quittent entierement le caractere habituel, pour prendre les modifications relatives à la maladie présente ; les pouls des tempéramens sont rendus semblables par la fievre, & le pouls pectoral d’un homme sanguin sera le même que celui du mélancholique : s’il en differe, ce ne sera que par la force, différence accidentelle qui ne change point l’espece.

2°. On peut déduire de ces considérations 1°. qu’il est beaucoup plus facile de réduire les pouls des maladies en classes particulieres, & de les ranger dans celles qui ont été exposées, que de faire la même réduction par rapport au pouls dans l’état de santé ou dans les légeres incommodités. 2°. Que l’on est beaucoup plus sûr dans le prognostic qu’on tire par le pouls dans les maladies que dans la santé. 3°. Les crises annoncées par le pouls manquent rarement lorsque la fievre a précédé & qu’il y a eu des signes de coction ; il faut toujours attendre ce tems pour faire ces prédictions, & ne négliger aucune des précautions nécessaires, sans quoi on s’expose à faire mépriser l’art & celui qui l’exerce.

3°. Quand on veut juger de l’état critique du pouls, il faut prendre garde de ne pas le tâter pendant la digestion, à la suite d’une passion vive, d’un mouvement trop considérable, après l’exhibition des remedes, les efforts de la toux, du bâillement, &c. Toutes ces causes ne peuvent manquer de déranger le pouls ; l’action des remedes suspend & masque pour quelques heures, & même pour des jours entiers, sa marche ; les saignées, les purgatifs réitérés & les lavemens dérobent quelquefois à la nature la matiere des évacuations annoncées par le pouls qu’elles suppléent rarement, quelquefois aussi ces remedes troublent l’opération de la nature & font avorter les crises ; dans le somme il le pouls est souvent moins marqué que dans la veille, on sentira quelquefois le pouls égal & non critique quoiqu’il y ait une crise prochaine ; & si on éveille le malade, & qu’on occasionne par-là quelque agitation dans le pouls, on y découvre alors la modification critique dominante : il est très-inutile d’aller chercher le pouls critique au commencement de la maladie, ou d’un redoublement, on le trouve aussi très-rarement critique dans les maladies chroniques & compliquées ; elles croisent les efforts critiques du pouls, le compliquent, & le rendent très-difficile à caractériser. Il en est de même des maladies nerveuses & des maladies convulsives des femmes ; elles rendent le pouls variable, incertain, égaré, faux, c’est-à-dire, que quoiqu’il semble d’abord critique, ou excréteur, il ne l’est pourtant pas toujours ; mais s’il se soutient quelque tems dans cet état, on doit s’attendre à quelque changement en mieux quoiqu’il n’arrive pas d’évacuation, elles sont très-rares dans ces maladies.

4°. L’on sera encore plus sûr dans la prédiction des crises par le pouls, s’il vient à se developper ; on prendra une modification critique un des jours remarquables qu’Hippocrate a notes, auxquels se fait le plus ordinairement la révolution qui détermine les crises. Ces jours sont les septenaires & les demi-septenaires ; les Praticiens, exacts observateurs, ont eu plus d’une occasion d’appercevoir la vérité de la doctrine d’Hippocrate sur ce point, sur-tout quand on la restreint aux simples faits, & qu’on la dépouille de cette prétendue influence qu’il attachoit aux nombres, ou de cette vertu particuliere qu’il croyoit inhérente à certains jours plutôt qu’à d’autres. Il est hors de doute qu’il n’y ait des périodes réglées pour la marche, la révolution, & l’issue de la plûpart des maladies ; la petite vérole en offre un exemple bien sensible que personne ne sauroit désavouer : ainsi lorsque le pouls paroîtra critique le 4, le 7, le 11, &c. d’une maladie, on est beaucoup plus fondé à attendre

l’évacuation annoncée ; mais pour quel tems faut-il l’attendre ? la réponse à cette question se tire de la même observation. Solano avoit pensé qu’il n’y avoit d’autre indice que la fréquence des pulsations critiques ; ainsi par exemple il jugeoit qu’une hémorrhagie étoit plus ou moins prochaine suivant que les rebondissemens reparoissoient après un plus ou moins grand nombre de pulsations ; il attendoit de même une diarrhée critique dans plus ou moins de tems suivant la distance des intermittences entr’elles, &c. mais ces regles ne sont pas toujours justes dans l’application ; il est beaucoup plus sûr de faire attention aux jours hippocratiques ; une crise annoncée par le pouls le quatrieme jour, par exemple, ne manque pas d’arriver le septieme, lorsque la nature n’est point dérangée par quelque accident, ou par l’inopportunité des remedes. Alors le pouls conserve sans altération son caractere critique, déterminé pendant plus d’un jour ; si au contraire la crise se trouve retardée par quelque événement, ce délai se marque sur le pouls ; la modification critique, auparavant constante & continuelle, se perd par intervalles, ne paroît pas du tout pendant quelque tems ; alors il faut attendre la crise vers le septieme jour, à compter de celui auquel les pulsations critiques se sont montrées pour la premiere fois ; lorsque le pouls se trouve composé, qu’il précede plusieurs crises, il est rare que ces différens caracteres soient également décidés & uniformément mêlés ; si cependant cela se rencontre, ces diverses crises se feront en même tems. Il est plus ordinaire que lorsque deux pouls excréteurs paroissent, il y en ait un qui soit plus fort, plus sensible, plus constant, qui ait ses intervalles plus courts, &c alors il faut attendre la premiere évacuation qu’indique ce pouls, elle aura lieu quatre ou sept jours après, suivant que les caracteres seront plus ou moins marqués & continuels.

5°. Enfin, pour donner au prognostic qu’on portera en conséquence du pouls le plus haut degré de certitude, il faut y joindre les signes qu’on peut tirer des autres phénomenes, vis unita major. Le médecin qui réunira ces connoissances, aura un avantage infini sur celui qui, n’ayant pas pû ou voulu s’exercer à saisir les différentes modifications des pouls, sera obligé de s’en tenir à d’autres signes souvent peu lumineux, & quelquefois fautifs, ou, ce qui est encore pis, n’en consultera aucun, n’ayant d’autre regle qu’un empirisme hardi & une aveugle routine.

Causes du pouls. Uniquement occupé à rassembler des faits, & à établir des regles pratiques, M. Bordeu a presque entierement négligé la partie théorique, l’étiologie du pouls ; persuadé qu’on ne peut parvenir à la connoissance des causes que lorsque les faits sont généralement connus, très-multipliés, & surtout bien constatés. Il n’a pas jugé à-propos de mettre au jour cette branche curieuse & intéressante de son système, & qui est souvent nécessaire pour exciter les petits esprits qui ne veulent croire que ce dont ils voient, ou croient voir la raison. Il se contente de faire observer que tous les faits sur lesquels porte sa doctrine sont absolument inexplicables dans les théories ordinaires des écoles, qui ne sont pas non plus trop conformes aux lois incertaines généralement adoptées de la circulation du sang, & qu’enfin on doit en chercher la cause dans la sensibilité des nerfs, du cœur & des arteres, dans l’action propre particuliere de chaque viscere, dans l’influence déterminée de chaque partie sur les organes de la circulation par le moyen des nerfs. Le pouls, dit-il, doit être mis dans la classe des fonctions dans lesquelles le mouvement est évident, & le sentiment moins évident ; chaque organe étant sensible à sa maniere, & ne pouvant exercer ses fonctions, surtout d’une maniere un peu forcée, sans faire quelqu’impression