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exceptions aux regles générales, & les précautions qu’il faut prendre dans leur application : elles roulent sur les moyens, 1°. de bien saisir les caracteres du pouls, 2°. d’en bien juger.

1°. Pour sentir exactement les modifications du pouls, il faut que la situation de tout le corps & du bras sur-tout, soit propre à laisser à l’artere toute sa liberté, & qu’elle n’en gêne point les mouvemens. Pour cela il faut que le malade soit assis, ou couché sur le dos ; le bras auquel on tâte le pouls doit être, ainsi que les doigts, plutôt étendu que plié, abandonné sans effort à son propre poids, appuyé sur toute sa longueur, & sur le bord qui répond au petit doigt : la posture du médecin ne doit pas non plus être gênée. Les regles que les Chinois prescrivent là-dessus, sont très-bonnes & très-utiles.

2°. Il est à-propos de commencer par plonger un peu les doigts, & de presser l’artere pour la bien sentir ; après quoi il faut la livrer à elle-même, & la suivre dans toutes les positions dans lesquelles on peut la saisir. Il y a des personnes qui ont l’artere enfoncée, d’autres l’ont très-superficielle ; il n’est pas nécessaire d’avertir qu’il faut proportionner la pression à la profondeur de l’artere : en se rappellant les caracteres du pouls hémorrhoïdal, on voit qu’il est nécessaire de presser l’artere un peu fortement.

3°. Il faut tâter le pouls aux deux bras, parce qu’il est très-ordinaire de le trouver différent ; ces variétés ne sont pas fortuites, elles aident à en déterminer les caracteres, & ne sont pas sans utilité dans la pratique ; elles confirment les observations des Chinois ; leur division du corps en deux moitiés latérales semble donner du poids à l’idée des anciens qui croyoient qu’on ne devoit pas faire les saignées indifféremment des deux côtés. Si le pouls étoit supérieur d’un côté & inférieur de l’autre, ne seroit-il pas plus convenable de faire la saignée, si elle étoit indiquée du côté où le pouls est supérieur ? on pourroit aussi tirer quelques lumieres de l’examen du pouls dans les autres parties.

4°. On sentira mieux les pulsations, en tâtant avec la main droite le pouls du bras gauche, & avec la main gauche le pouls du bras droit, comme font les médecins chinois ; il vaut aussi mieux se servir à leur exemple de deux ou trois doigts, que de n’en employer qu’un seul, on apperçoit beaucoup mieux tous les mouvemens de l’artere, & sur-tout les vibrations de ses parois ; on applique pour cela l’indicateur sur la partie de l’artere la plus voisine du carpe, & les suivans adosses l’un contre l’autre & paralleles par leurs extrémités.

5°. Il est très-important de tâter le pouls pendant long-tems, les modifications qui décident les caracteres ne paroissent souvent qu’après un certain nombre de pulsations ; nous ne proposons pas pour modele la lenteur excessive des Chinois, mais aussi il faut bien se garder de suivre ces médecins qui prétendent décider de l’état du pouls, pour avoir simplement posé la main sur l’artere ; il est nécessaire & il suffit de tâter cinquante ou soixante pulsations pour saisir tous les caracteres du pouls.

6°. Enfin, il convient de le tâter à différentes reprises, parce que la moindre émotion y occasionne des changemens qui pourroient induire en erreur ; & la présence du médecin produit assez ordinairement dans les malades, & sur-tout dans les personnes du sexe plus sensibles & plus impressionables, une espece d’agitation qu’on observe bien peinte sur le pouls ; on le trouve alors plus élevé, plus vîte, ou plus serré, suivant la pression qui est excitée. Les Praticiens ne perdent jamais de vûe ce pouls qu’ils appellent le pouls du médecin ; c’est pour quoi ils laissent, avant de tâter le pouls, revenir le malade de ce trouble passager qui en masqueroit le véritable état.

Après qu’on a pris ces précautions pour bien s’assurer de l’état du pouls, il faut encore beaucoup de circonspection & de prudence pour en tirer des signes certains ; il ne faut jamais perdre de vûe que différentes circonstances, outre l’effort critique, peuvent changer le pouls, & même empêcher ou déguiser les modifications critiques : ce sont ces circonstances qu’il est absolument nécessaire de connoître & d’évaluer.

1°. Il faut se rappeller que l’âge, le sexe, le tempérament, l’idiosyncrasie produisent des altérations dans le pouls, & l’éloignent plus ou moins du pouls parfait des adultes, sans que la santé en soit ou paroisse aucunement altérée ; c’est sur cette observation qu’est fondée la nécessité d’être instruit des modifications du pouls propre aux enfans, aux adultes, aux vieillards, aux femmes, à chaque tempérament, & même à chaque sujet particulier. Le pouls des enfans n’est jamais bien critique, bien développé ; la marche des maladies n’est pas aussi-bien marquée que dans les adultes, & les crises ne s’y font pas avec la même régularité. En général on tire peu de lumieres de l’état de leur pouls ; peut-être ne manque-t-il au sujet qu’un plus grand nombre d’observations mieux suivies, & peut-être pourroit-on venir à bout par ce moyen d’asservir ce pouls aux principes établis dont il paroît souvent s’écarter. Le pouls des vieillards prend difficilement les modifications critiques ; durci & ralenti par l’âge, il a beaucoup de peine à se développer ; l’intermittence est un de ses caracteres plus familiers, aussi n’est-il pas rare de les voir fatigués par des dévoiemens habituels : d’ailleurs qui est-ce qui ignore que dans les vieillards la tendance des humeurs est décidée vers les parties inférieures ? Le pouls des filles qui sont dans l’âge de puberté, & celui des femmes qui sont à la veille de perdre leurs regles, tient toujours quelque chose du caractere propre du pouls de la matrice ; cette disposition du pouls peut masquer les autres caracteres, & faire prendre le change à un observateur peu attentif. Les tempéramens sanguins ont évidemment le pouls tendant à la dilatation, au redoublement, à la force & à l’égalité, qui caractérisent le pouls supérieur ; il devient plus facilement critique lorsque les crises doivent se faire au-dessus du diaphragme, & c’est ce qui arrive le plus souvent. Les mélancoliques ont presque toujours le pouls inférieur plus ou moins serré, inégal, irrégulier, compliqué ; les bilieux & les pituiteux ont le pouls fort analogue à celui des mélancoliques ; les crises inférieures sont plus ordinaires chez eux & beaucoup mieux marquées sur le pouls. Tous ces rythmes particuliers du pouls sont des suites nécessaires de la disposition particuliere des différens sujets, & prouvent évidemment que tous les tempéramens sont dûs au plus ou moins de ressort, d’action ou de sensibilité qu’ont certains organes. L’idiosyncrasie, ou la constitution propre de chaque sujet, donne lieu à bien des variétés sur le pouls. Toutes les personnes qui ne jouissent pas d’une santé invariable, ont le pouls habituellement dérangé ; les uns l’ont toujours dirigé vers quelque organe, de façon qu’il ne peut que difficilement se plier à l’action des autres ; d’autres l’ont muet, incapable de recevoir aucune modification critique, trop fort, trop dur pour pouvoir obéir aux différentes impressions des organes ; il y en a dans qui l’artere est souvent agitée par des tremblemens, des secousses, des spasmes habituels, qui dérangent le pouls, empêchent le développement critique, & rendent par-là le pouls faux : tous ces pouls habituellement irréguliers ne sont pas critiques, comme Solano l’a déja remarqué. Quelques-uns peuvent cependant le devenir par la force de la fievre ; il arrive même souvent que des pouls inégaux, intermittens, deviennent par la fievre