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chinoise ; il suffit pour exercer cette profession, dit le célebre Ouang-chon-ho, d’être bien instruit des propriétés du pouls & des drogues : par ce signe bien & longuement examiné, le médecin habile est en état de décider le genre, l’espece, le caractere particulier, la nature & le siége de la maladie qui se présente ; il peut annoncer d’avance quelle sera son issue, dans quel tems elle aura lieu, comment elle se fera ; & il y puise en même tems les indications nécessaires pour l’administration des remedes. Toutes les relations des historiens s’accordent à nous présenter les Médecins de ce pays, comme merveilleux en ce genre ; les idées qu’ils ont sur le pouls, sont ou paroissent très-différentes de celles de tous les autres peuples, peut-être ces différences consistent principalement dans la façon dont ils s’expriment, dans le style allégorique peu compris qu’ils emploient ; les connoissances qu’ils ont sur ce sujet, comme sur bien d’autres sont très-anciennes ; leur origine se perd dans l’antiquité la plus reculée où elle est altérée par des fables ; une tradition constante à la Chine, fait l’empereur Hoamti, successeur de Chiningo ou Xin-num, fondateur de la Médecine chinoise, & auteur de plusieurs traités sur le pouls : mais l’époque de son regne n’est point fixée ; jaloux de leur ancienneté, la plûpart des Chinois la font remonter plusieurs siecles avant la création du monde, telle qu’elle est déterminée par les livres de Moïse ; mais ce sentiment est sans contredit faux, puisqu’il est contraire à la chronologie sacrée, la seule véritable. Il est beaucoup plus naturel, ou du moins plus sûr de croire avec d’autres, que cet empereur vivoit quelque tems avant le déluge vers le quinzieme siecle du monde ; il ne nous reste plus aucun de ses ouvrages sur le pouls, par lesquels on puisse bien constater ce fait & dont on puisse tirer des éclaircissemens ultérieurs ; quoi qu’il en soit, il est toujours très certain que les Chinois sont les peuples qui ont le plus anciennement connu le pouls & appliqué ce signe à la pratique de la Médecine. Ouang-chon-ho qui vivoit sous l’empereur Tsin-chi-hoang, ce fameux bruleur de livres, c’est-à-dire quelques siecles avant l’ere chrétienne, fait dans un ouvrage qui nous reste, mention de plusieurs traités sur le pouls, qu’il distingue dès ce tems-là en anciens & en modernes : cet ouvrage a été traduit en françois par le pere Hervien, & se trouve imprimé avec des notes destinées à l’éclaircir dans le second volume de l’histoire de la Chine, du pere Duhalde ; le traducteur pense que cet ouvrage est plutôt une compilation qu’un traité fait par un seul & même auteur ; je ne serois pas éloigné de ce sentiment, à la vûe des répétitions fréquentes & du peu d’ordre qu’on y rencontre. La doctrine des Chinois y est exposée fort au long, mais c’est un chaos impénétrable ; l’obscurité est si grande qu’on seroit tenté de croire que ni l’auteur, ni le traducteur, ni le faiseur de notes n’y entendoient rien ; il se peut aussi que les ténébres qui paroissent répandues sur cette doctrine soient l’effet de l’ignorance où nous sommes, du fond de médecine suivi par ces peuples, & des idées qu’ils ont sur l’économie animale, ignorance que n’ont pas pu détruire les historiens peu versés eux-mêmes dans les matieres qu’ils traitoient ; nous ne tirons pas beaucoup plus de lumieres du traité qu’André Cleyer a composé sur le même sujet, specimen medicin. sinic. Francof. ann. 1682. Ce traité n’est qu’une collection informe des débris de différens ouvrages ; on en trouve un extrait assez détaillé dans l’histoire de la Médecine, ou des opinions des différens Médecins, donné par Barchusen en 1710 ; enfin les éphémérides des curieux de la nature contiennent un livre du pere Michel Boyme, jésuite polonois, & missionnaire à la Chine, sur le pouls, tom. XI. ann. 1685. il est formé de plusieurs fragmens

qu’il avoit composés à Siam en 1658, mais qui étoient dispersés & presque inconnus. M. le Camus qui vante beaucoup la sagacité des Médecins chinois sur ce point, n’entre dans aucun détail de leur doctrine, il se contente d’exposer historiquement quelques pouls qui passent pour être mortels ; c’est de ces différens auteurs que nous allons extraire les matériaux de cet article ; pour exposer d’une maniere exacte & complettement toute la doctrine des Chinois sur le pouls, il faudroit donner un traité général de leur médecine, c’est-à-dire faire un très-gros volume, ce que ni le tems, ni la forme de cet ouvrage ne permettent pas : je m’attacherai seulement à donner une idée légere de leur méthode ; le lecteur pourra trouver dans les ouvrages déja cités de quoi se satisfaire, s’il est curieux de plus longs détails, & s’il ne craint pas le dégoût que produit toujours la lecture d’un livre dont le moindre mot exigeroit souvent un commentaire très-ample.

Différences des pouls ; elles ne sont déduites d’aucun principe général, ni pliées à une certaine méthode, ni enfin restraintes à un nombre déterminé ; fondées sur la différente impression que l’artère fait sur le doigt, en s’élevant ou en s’abaissant, chaque observateur peut en être différemment affecté, la comparer aux objets que lui présente son imagination, & les multiplier à l’infini ; le seul point dont ils conviennent, c’est que le pouls le plus naturel doit battre quatre ou cinq fois pendant l’intervalle de chaque respiration du médecin ; il est censé lent, tardif, tchi & contre nature, lorsqu’il bat moins de quatre fois ; on peut distinguer plusieurs degrés dans cette lenteur, de même que dans la vitesse qui s’estime par le nombre de pulsations qui se font sentir au-dessus de cinq entre chaque respiration ; ils appellent ce pouls, vîte, précipité, fou : parmi les différences qui se présentent ensuite, on en a distingué deux majeures qui se subdivisent en huit à neuf autres, ce sont les pouls qu’ils appellent externes & internes, piao & li, ces dénominations sont fondées sur ce que les uns servent à désigner les maladies internes, & les autres découvrent celles qui sont à l’extérieur ; outre cela les pouls externes sont plus superficiels, ressortent, pour ainsi dire davantage, & les internes sont plus enfoncés, plus profonds, & comme rentrans.

On compte parmi les pouls externes ; 1°. le feon nageant, ou superficiel qui paroît sans appuyer le doigt, & qui fait à-peu-près la même sensation que feroit une feuille d’oignon.

2°. Le kong ou vuide, les doigts posés sur l’artere ne sentent rien au milieu, & sentent aux deux côtés comme des bourlets, de même que si on posoit le doigt sur le trou d’une flûte.

3°. Le hou glissant ou fréquent aigu, dont les pulsations paroissent comme des perles détachées qui glissent sous le doigt.

4°. Le ché, espece de superficiel, qui n’en differe qu’en ce qu’il est plus plein, & qu’on sent comme si la feuille d’oignon à la quelle on l’a comparé plus haut étoit solide & pleine en-dedans ; Cleyer l’appelle plein solide.

5°. Le hien tendu ou trémuleux long, ses pulsations ressemblent assez aux vibrations des cordes d’un instrument nommé tceng, qui a treize cordes.

6°. Le kin ou trémuleux court, variété du précédent, qui a tiré son nom d’un autre instrument chinois appellé ken.

7°. Le hong regorgeant, exundans, dont les pulsations sont élevées & fortes.

Les pouls internes en comprennent huit especes ; 1°. le tchin profond enfoncé, qui ne se trouve qu’en pressant fortement l’artere.